Carte blanche: «Saisir l’opportunité de faire passer la gestion de crise au niveau supérieur»
Dans une carte blanche, Leïla Belkhir, Yves Coppieters, Hugo Marynissen, Marc Sabbe et Julien Draillard Losada reviennent sur la manière dont la gouvernance belge a tenté de contrôler l’épidémie de covid et proposent la mise en place d’une agence interfédérale de gestion de crise.

Le rapport final de la Commission spéciale covid-19 de la Chambre des députés a été finalisé au sein du Parlement fédéral. L’objectif de cette commission était d’enquêter sur la manière dont la gouvernance belge a tenté de contrôler l’épidémie de covid-19. En tant qu’experts externes, notre rôle consistait à rassembler les conclusions et les analyses des nombreuses auditions et des centaines de documents, puis de proposer des suggestions politiques. Désormais, il appartient au Parlement et au gouvernement de traduire les recommandations du rapport en actions. Selon nous, deux questions essentielles se posent :
1. En tant que société, quels risques voulons-nous contrôler et quels risques ne nécessitent pas cette approche ?
2. Comment envisageons-nous de contenir la prochaine crise de grande ampleur ? Car si cette pandémie du Coronavirus nous a enseignés quelque chose, c’est que le déroulement réel d’une crise est par définition imprévisible et ne suit que rarement, voire jamais, un plan de lutte élaboré à l’avance.
En ce qui concerne la première question, nous devons nous demander s’il existe une volonté politique, sociale et économique nécessaire pour couvrir les risques que nous voulons contrôler par des mesures de précaution ? Et si oui, comment allons-nous faire ? Allons-nous élaborer toutes sortes de plans spéciaux d’urgence et d’intervention, créer des stocks de médicaments pour toutes les maladies et épidémies possibles, adapter en profondeur notre législation et nos règlements d’urgence, etc. ? Cela coûte très cher, et n’offre aucune garantie que tout ira bien. Vu la complexité de notre société, il est illusoire de penser que nous pouvons préparer une solution spécifique pour chaque incident possible. Ce serait un travail sisyphéen sans précédent qui paralyserait notre pays. Par ailleurs, moins vous êtes familier avec des processus ou des directives spécifiques, plus vous risquez de manquer la cible au moment de crise. Néanmoins, nous constatons que nous nous sommes toujours préparés à la crise précédente… Et si nous ne prenons pas garde, nous ferons les mêmes erreurs après cette pandémie.
La deuxième question, à savoir, comment voulons-nous faire face à la prochaine crise de grande ampleur, porte essentiellement sur les structures nécessaires pour réagir le plus efficacement possible en situation d’urgence. Dans notre pays, cela s’est traduit par un certain nombre d’arrêtés royaux qui déterminent la manière d’agir au niveau communal, provincial, régional ou fédéral face à une crise. Au début de la pandémie de covid-19, la structure de coordination fédérale a été mise de côté et remplacée par différents groupes de travail, task forces et comités. Mais l’enchevêtrement de task forces, comités et groupes de travail n’a pas non plus débouché immédiatement sur une action coordonnée et efficace.
L’une des raisons est que cette structure existante est destinée aux urgences à court terme. Comprenez une inondation, un bâtiment qui s’effondre, une conduite de gaz à haute pression qui explose ou une collision entre deux trains. Dans environ 90 % de ces catastrophes, nous pouvons facilement nous en sortir avec la structure de coordination fédérale existante. Cependant, lorsqu’il s’agit de maladies infectieuses transmissibles, d’urgences nucléaires, d’attaques malveillantes sur des réseaux informatiques ou d’une grave perturbation du réseau électrique (les 10 % restants qui affectent la société dans son ensemble), les conséquences sont susceptibles de nous faire basculer vers une crise systémique similaire, voire pire que la crise du coronavirus. Par rapport à 90 % des situations, le Centre de crise national, les gouverneurs et les services d’urgence peuvent apporter une excellente réponse avec la structure et les ressources actuelles. Concernant les 10 % restants, les structures existantes sont inadéquates, tout simplement parce qu’elles sont autorisées à apporter leur soutien, d’après le législateur, que lors de crises impliquant les pompiers, la police et la protection civile (qui relèvent du SPF Intérieur). Dès que d’autres parties prenantes sont appelées à être mobilisées pour faire face aux conséquences d’une crise systémique (santé publique, économie, éducation, etc.), il faut aller au-delà de la simple coordination des services d’urgence. Surtout dans un pays à la structure étatique complexe comme la Belgique.
Une agence interfédérale de gestion des crises
Une solution consiste à mettre en place un système de gestion de crise qui nous permette d’affronter tout danger ou risque de manière appropriée. Nous avons pour cela besoin d’une structure qui puisse garantir que toutes les parties nécessaires pour y faire face soient réunies rapidement et efficacement, qu’elles travaillent ensemble plutôt que les unes en parallèle aux autres, et qu’elles le fassent sur la base de la meilleure expertise en matière de gestion de crise. Dans nos suggestions aux décideurs politiques, nous appelons cette structure BEMA, ou « Belgian Emergency Management Agency ». Il s’agit d’une agence interfédérale de gestion des crises qui veille à ce que le pays reste sur le qui-vive, pendant et après une crise, afin de détecter rapidement les signaux d’alerte, de mettre tout le monde sur la même longueur d’onde et de réunir les bonnes personnes et institutions à travers les services et les départements existants, pour faire face à toute crise de façon adéquate. Il s’agit d’une nouvelle agence de coordination qui met en relation des personnes, des institutions ainsi que des gouvernements, indépendamment de tout département du gouvernement fédéral. Elle prend ensuite des décisions éclairées pour contenir une crise systémique ou offrir une expertise dans des situations moins complexes. De préférence, elle le fera sur la base d’une approche « bottom-up » (de bas en haut), en intégrant, par exemple, les enseignements de la campagne de vaccination réussie (essentiellement une action des administrations locales) ainsi que l’expérience des interventions loco-régionales aux crises très fréquentes. En outre, nous recommandons également que chaque ministère (fédéral et régional) mette en place, forme et déploie une cellule de crise à part entière dans une situation nécessitant leur expertise. La structure BEMA se situe à un niveau supérieur car il implique toutes les parties (communes, provinces, régions et gouvernement fédéral ainsi que des experts et des réservistes) et peut prendre des décisions rapides et appropriées pour gérer une crise.
Si nous profitons de l’élan et optons dès maintenant pour une structure BEMA, nous devons être prêts à corriger certains mythes sur la gestion des crises et à adapter notre approche en conséquence. Le premier mythe est que le comité ministériel (kern), doit s’occuper de la gestion (opérationnelle) de la crise. Les ministres, et par extension ceux qui ont une responsabilité au niveau politique, doivent fixer un cap et un horizon clair, définir la voie à suivre pour y parvenir et indiquer clairement les stratégies mises en place afin d’affronter les conséquences des mesures prises. Des mesures opérationnelles doivent être prises par les experts de la gestion de crise. Lors de la crise du covid-19, les décisions relatives à l’intensification de l’activité dans les hôpitaux ou à l’achat d’équipements de protection individuelle (pour ne citer que ces exemples) auraient dû être prises par une structure BEMA. Le rôle des politiques est de trouver des solutions sur la manière de soutenir ensuite la société par du chômage technique, des primes et des initiatives à long terme pour renforcer le tissu social sous tension.
Le deuxième mythe est que nous pouvons tout contrôler. Cette idée est profondément ancrée dans tant de gouvernements et d’administrations que même aux premiers signaux de la pandémie du coronavirus, personne n’a vraiment pris de mesures proactives et adéquates, ni au Centre de crise national, ni au SPF Santé publique, ni aux gouvernements fédéral et régionaux. Pourtant, de nombreux événements survenus ces dernières années montrent que notre société devient de plus en plus complexe et que les conséquences peuvent avoir un immense impact sur son fonctionnement. Il suffit de voir comment l’augmentation des menaces terroristes, les changements géopolitiques et la volatilité des marchés financiers ont eu des conséquences désastreuses. Il y a donc très peu de choses sous contrôle, et l’illusion d’une crise systémique que nous pouvons « gérer » semble plus éloignée que jamais.
« Nous devons et pouvons agir très rapidement »
Ces deux mythes renvoient également à notre point de départ : quels risques pouvons-nous et voulons-nous gérer, et comment agirons-nous face aux prochaines grandes crises ? Si nous sommes d’accord pour dire qu’une société sans risque est une illusion, alors nous devons adopter un état d’esprit qui nous permet de faire face aux situations inattendues de façon agile et résiliente. Le meilleur moyen d’y parvenir est d’agir avant que la prochaine crise ne nous rattrape. De préférence en toute connaissance de cause et dans le cadre d’une structure en réseau qui rassemble toutes les connaissances et compétences nécessaires pour apporter le meilleur soutien possible à la société. Si le coronavirus nous a enseignés quelque chose, c’est qu’en tant que société, nous devons et pouvons agir très rapidement. Saisissons dès à présent l’opportunité de changer les choses à travers, entre autres, la mise en place d’une agence interfédérale de gestion de crise.
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S'abonnerQuelques règles de bonne conduite avant de réagir1 Commentaire
Aucune chance que cette réflexion intelligente aie quelque effet: les politicards, ça décide d'abord selon l'humeur du moment (c'est MOI qui décide), et en fonction de l'humeur supposée de l'électeur (faut que je sois réélu, je ne sais rien faire d'autre), et pas en fonction de l'avis de gens intelligents, puisqu'ils n'ont pas les moyens intellectuels nécessaires pour comprendre - la preuve, ils faut 9 ministres de la santé pour faire un demi cerveau...