Jacques Hereng, témoin d’une autre époque olympique

Le premier contact avec Tokyo est assez brutal. On est loin de la carte postale classique avec geisha, jardin fleuri et Fuji Yama. Tout au long de la nouvelle autoroute qui mène vers le centre, ce ne sont que chantiers, grues et entrepôts poussiéreux. Malgré la gentillesse éternellement souriante de ses hôtes, notre touriste olympique est déçu. S’il n’apercevait pas à l’horizon le scintillement des gigantesques enseignes en caractères japonais, il aurait tout simplement l’impression d’avoir atterri dans la banlieue industrielle d’une grande ville britannique. » Le 6 octobre 1964, quatre jours avant l’ouverture des (premiers) Jeux olympiques de Tokyo – que l’on écrira donc « Tokio » du début à la fin dans nos colonnes –, Jacques Hereng, l’un des rares journalistes belges présents et le seul envoyé spécial du Soir, entame de cette manière son premier article de la quinzaine. Moins de 20 ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale qui a mis le Japon à terre, dans cette ville qui a pansé ses plaies et qui est en train de devenir la mégalopole moderne qu’on connaît aujourd’hui, il va suivre, à 29 ans, ses deuxièmes Jeux, quatre ans après ceux de Rome et le contraste entre les deux est, pour cet italianophile convaincu, on ne peut plus grand. Il ne ressent pas la même chaleur humaine ni la même communion d’esprit que dans la capitale italienne. « C’était nettement moins drôle, beaucoup plus rigoureux », dit-il encore aujourd’hui, à 86 ans. Avec Antoine Blondin… et Dalida A l’époque, il a accepté la mission du journal « parce que ça ne se refusait pas » alors que son épouse Monique, qui attend leur premier enfant, est enceinte de sept mois. « Pour communiquer avec elle, ce n’était pas évident. On s’écrivait tous les 3 ou 4 jours. Il arrivait aussi que le secrétaire général du journal, Walter Schwilden, invite mon épouse au journal à une heure bien précise, quand il savait qu’on allait me téléphoner, afin que nous puissions nous parler. » Pour envoyer ses textes à la rédaction, Jacques Hereng doit faire appel au seul moyen de transmission de l’époque, à savoir le téléscripteur (ou télex) qui reproduit à distance un texte écrit sur une machine à écrire via une bande passante percée de trous en fonction des différentes lettres. « Au début des Jeux, nous devions rédiger nos textes nous-mêmes parce qu’aucun télexiste au centre de presse ne pouvait lire notre alphabet ! Heureusement, ils ont fini par en dénicher qui venaient d’ailleurs que du Japon… » Par proximité culturelle, il dîne aussi régulièrement avec ses collègues français, dont ceux de L’Equipe. Parmi eux, il y a le célèbre écrivain Antoine Blondin, présent aux JO comme il l’est sur le Tour de France pour rédiger une chronique quotidienne imparable. « Je me souviens qu’il était régulièrement accompagné de… Dalida ! » Au village comme dans un moulin Ces JO, les premiers à être organisés en Asie, n’ont pas encore la taille qu’on leur connaît aujourd’hui. A peine 5.081 athlètes venus de 93 pays sont présents ; aujourd’hui, ils sont plus de 15.000 en provenance de plus de 200 comités nationaux olympiques. On est également encore très loin de l’égalité entre les sexes, les femmes ne représentant que 13,4 % des compétiteurs. En la matière, le Comité olympique belge est l’un de ceux qui prône le plus le mauvais exemple : sur ses 61 sélectionnés, il n’y a qu’une femme, la gymnaste Veronica Grymonprez ! « C’est exact, maintenant que vous le dites, je me souviens que cela m’avait étonné à l’époque ! », indique Jacques Hereng. « Nous allions au village olympique tous les jours pour prendre le pouls de la délégation. Il se trouvait dans un parc de la ville et il n’y avait aucun contrôle pour y accéder. » Un village où le Comité olympique belge (COB) achète une perche aux Américains pour le perchiste Paul Coppejans quelques jours avant son concours, et où il arrive au marathonien Aurèle Vandendriessche de partir pour une sortie de 30 km à 6 heures du matin. Autres temps… Les cyclistes, eux, qui avaient annoncé fièrement qu’ils remporteraient quatre médailles – et ils en remporteront finalement deux via Patrick Sercu (or) et Walter Godefroot (bronze) –, se trouvaient à Hachiogi, un village situé à 45 km de Tokyo. « L’atmosphère crispante qui règne à la veille des Jeux s’apaise à mesure que l’on s’éloigne de Tokyo », avait écrit l’envoyé spécial du Soir en allant à leur rencontre. « Je m’appelle Alexandre de Mérode » Au milieu de la quinzaine, un homme se présente à lui. C’est le prince Alexandre de Mérode, qui vient d’entrer au CIO à la place du prince (et futur roi) Albert. « Il m’a dit qu’il voulait s’investir dans la lutte antidopage et, comme il était lecteur du Soir, m’a demandé si je pouvais l’aider », précise Hereng. « Le problème commençait à devenir de plus en plus évident. Quatre ans plus tôt, à Rome, un cycliste danois, Knud Jensen, était mort pendant l’épreuve du 100 km contre-la-montre par équipes et son entraîneur avait avoué qu’il avait pris des produits dopants. Je lui ai proposé de rencontre le docteur Albert Dirix, qui était déjà une sommité en la matière, et après avoir convaincu Avery Brundage, le président de l’époque, il a créé la commission antidopage un peu plus tard. » La petite délégation de journalistes belges sera également conviée à la fête pour célébrer la médaille d’or de Gaston Roelants sur 3.000 m steeple, qui est organisée à l’ambassade de Belgique à Tokyo. « Cela s’est terminé dans une franche rigolade générale quand la princesse Paola, qui était présente, est allé embrasser Gaston, qui était fou de joie ! »

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