Samuel, 3 ans: «Parce que y’a pas de maison, on dort dehors»

O n va vous distribuer des bouteilles d’eau. Il vous en faut combien pour la famille ? Cinq ? Ok, cinq. Et pour les biberons, vous avez ce qu’il vous faut pour les biberons ? » Françoise fait la distribution des premières caisses qui arrivent au Mont des Arts. En plein centre, là où les touristes qui viennent photographier l’une des plus belles vues sur la capitale belge croisent les Bruxellois qui profitent de ce premier lundi ensoleillé, une petite dizaine de familles, presque autant de poussettes, a pris place. Ce matin, vers huit heures, ils ont dû quitter le Samu social où ils ont été hébergés tout l’hiver dans le cadre du plan du même nom. Le retour du soleil marque, pour eux, le retour à la rue. La famille de Milan et Ingrid Sivak est regroupée autour d’un banc. Cela fait treize ans qu’ils sont en Belgique et alternent squats, Samu social en hiver, solutions temporaires… Venus de Slovaquie car ils y étaient discriminés en tant que Roms, ils ne peuvent accéder au statut de réfugiés, mais n’ont pas de papiers européens non plus. Dans une impasse depuis des années, ils se retrouvent une nouvelle fois à la rue. Presque tous les enfants sont nés en Belgique. [scald=984984:sdl_editor_representation] « On va manger quoi ? » « On va manger quoi ? », interroge un petit mec, pas plus de cinq ans. Le matin, ils sont partis sans rien dans le ventre. Raoul, bénévole, s’énerve quand Françoise lui explique que Samir, autre bénévole de plateforme citoyenne, décharge des litres d’eau : « Et quoi, ils vont manger de l’eau jusqu’à ce soir ? On est dans l’improvisation là ! » Ils sont cinq, six citoyens, une dizaine peut-être, de différents mouvements et initiatives à petite échelle, à mettre en place, un peu sur le tas, l’organisation de la journée. Les familles, quant à elles, en ont gros sur le Samu social : « Ils nous donnent à manger froid, des conserves. Un jour, on a eu du pain vert ! on mange périmé », prétend Valéria, jeune fille qui ne doit pas avoir plus de 18 ans, mère d’un petit garçon. « Ils nous ont pris tous les vêtements, ils ont tout jeté, dénonce la mère de famille. Pendant trois mois, nous les femmes, pas de douche ! » Maintenant qu’elles ne peuvent plus s’y rendre, les familles refusent néanmoins de rejoindre des squats, dont elles sont susceptibles d’être expulsées par la police à n’importe quel moment. « Nous voulez travailler, comme tout le monde. Travailler, maison, école pour les enfants, explique Milan dans un français approximatif. En dix ans, jamais vu argent. Juste demander dans la rue… » Francis est Belge et suit la famille depuis cinq ans, depuis qu’il a rencontré Valéria. « Ils ont postulé à Bruxelles Propreté. Vous leur donnez du travail demain, n’importe quel travail et demain, ils y vont ! » « Le CPAS, ça ne m’intéresse pas ! Je veux travailler ! » Gazmir ne dit pas autre chose : « Je ne veux rien d’autre qu’un petit papier pour pouvoir travailler. Le CPAS, tout ça, ça ne m’intéresse pas ! Je veux juste travailler pour ma famille, c’est tout. » Cet Albanais, père de quatre enfants presque tous nés en Belgique, entre trois et six ans, a d’abord vécu deux ans dans une maison sociale à Charleroi, en attente de leur procédure d’asile. En 2013 déjà, ils se sont retrouvés à la rue pendant un mois. Ils ont dormi avec leurs enfants à la gare du Nord. Pour ce soir, ils ne savent à nouveau pas comment ils vont se débrouiller. Il reste quatre chambres pour la nuit dans les abris bruxellois. Tous doivent téléphoner à 20 h 30. « C’est tard, déplore la mère, Lindita. D’habitude, quand on peut y aller vers six heures, les enfants peuvent faire les devoirs, manger, se laver. Cette semaine, ils n’ont pas école à la fin. On ne sait pas ce qu’on va faire avec eux toute la journée, dehors. A l’école, au moins, ils mangent. On n’a jamais pensé la vie comme ça… » « Trop fatiguée pour pleurer » Margarita et Robert Sivak s’inquiètent aussi de la présence de leurs enfants, plusieurs jeunes adolescentes, à l’école : « Tous scolarisés !, souligne le père. Tous les jours ils vont à l’école, sauf aujourd’hui. Mais difficile : comment aller à l’école alors que pas laver les mains, la bouche, sales… » Victoria, Ougandaise, a perdu son titre de séjour en 2014. Elle qui a étudié le tourisme en Belgique et qui avait un emploi comme secrétaire a d’abord perdu le titre de séjour, puis son travail et son logement. Elle a aussi, avec son fils de trois ans, passé l’hiver au Samu social, avec toutes ces familles. Elle s’inquiète de ne pas savoir où elle passera la nuit : « Il n’y a que quatre chambres. Qui vont-ils faire passer en priorité : une petite famille ou une grande famille ? » Les cheveux attachés, sans une mèche qui dépasse, ses petites boucles d’oreilles : Victoria a un profil un peu différent des autres familles. Elle semble aussi étrangement calme, digne : « Je suis trop fatiguée pour pleurer », lâche simplement cette jeune divorcée avec un accent anglais. Son ex-mari vit aux États-Unis. [scald=984985:sdl_editor_representation] Il est midi et des caisses de nourritures arrivent. Quelques citoyens se sont cotisés pour acheter des petits jus, des sandwichs et de quoi les garnir. Et des petits gâteaux industriels. De quoi contenter Antonio, trois ans : « Non, pas sandwichs ! Biscuits ! », réclame-t-il. Fièrement accroché à la petite trottinette que tous les gamins se partagent, il explique : « Parce qu’il y a pas de maison, on dort dehors. » Les bénévoles tentent d’organiser la distribution des repas. « Nous sommes dans une situation d’urgence, observe Raoul. Il y a ici 105 personnes, dont 53 enfants. Le plus jeune a sept mois ! Et il y a des enfants malades, qui sont sans médicaments. » Un jeune homme intervient. Il fait partie du collectif Nuit Debout, qui a pris ses quartiers sur les marches du Mont des Arts également. Ils ont été prévenus la veille dans la nuit et tentent eux aussi de se mobiliser. Lui travaille dans un centre médical : « Le plus urgent, ce sont les soins. Je vais voir ce que je peux faire. » Un autre de ses comparses a quant à lui amené de simples crayons de couleur et des feuilles, pour occuper les enfants.« Ce qui me choque le plus, c’est le mépris total des autorités qui vont à l’encontre des droits de l’homme ! », s’emporte le jeune homme. « Voir ça dans la capitale européenne, cela me fait honte !, renchérit Samir, qui a œuvré au sein de la plateforme citoyenne. L’objectif pour nous n’est pas de trouver une solution pour deux, trois nuits, nous voulons que les autorités prennent leurs responsabilités. » « Que la population belge se réveille ! » Plusieurs textes internationaux ratifiés par la Belgique, comme la Convention internationale des droits de l’enfant, imposent en effet à un pays de protéger les enfants présents sur son sol, qu’ils soient belges ou non. Depuis des années cependant, les différents niveaux de pouvoirs se renvoient la patate chaude de ses familles sans statut. La Région, à l’œuvre avec le Samu social, suit son plan hiver. Et estime qu’il revient au secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration de clarifier le statut de ces personnes. Chaque année le scénario se répète et des familles entières, avec enfants en bas âge, se retrouvent à la rue. Le Samu social, pris en tenailles, rappelle que « La problématique de familles en errance dépasse très largement les capacités d’action du Samusocial de Bruxelles. Il s’agit d’une problématique nationale, voire européenne ». Et de préciser à quel point la situation est difficile pour les familles, mais aussi pour les équipes, qui travaillent avec ces familles depuis des mois... Ce lundi soir, la Croix Rouge devrait apporter des repas chauds au Mont des Arts. Le reste demeure incertain. « Il faut que la population belge se réveille !, interpelle Françoise, une des bénévoles qui provient d’un collectif d’action pour Calais. Les gens sont endormis. Ce n’est plus possible ! »

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