Comment l’Iranien Saeid Mollaei a brisé la malédiction du Gardien de la Révolution

Il y a deux ans, aux championnats du monde, alors qu’il se trouvait dans la même salle qu’aujourd’hui, les choses avaient très mal tourné. Le jour des demi-finales et de la finale, son téléphone portable avait sonné. C’était le vice-ministre des Sports, Mohammad Reza Davarzani, ancien commandant des Gardiens de la Révolution et futur président de la fédération iranienne de volley-ball. Il avait ordonné au judoka de perdre en demi-finale pour éviter un très probable duel contre l’Israélien Sagi Muki, qui évoluait dans la même catégorie des moins de 81 kg. Jusqu’alors, personne n’avait refusé une telle demande, les athlètes iraniens comprenant immédiatement où les autorités veulent en venir. La plupart du temps, il n’y a même pas besoin de coup de fil car les athlètes qui subissent un lavage de cerveau depuis de nombreuses années n’ont eux-mêmes aucune envie d’affronter des représentants d’Israël, dont l’Etat n’est pas reconnu par l’Iran. Depuis 40 ans, c’est-à-dire depuis la chute du Shah en 1979 et l’instauration de la République islamique par les ayatollahs, les Iraniens évitent à leurs athlètes d’être en compétition avec leurs homologues israéliens afin de ne pas faire de bruit et de ne pas les exposer à la disqualification pour avoir évité une confrontation pour des raisons de race ou de religion. Les subterfuges sont variés : défaite dans une compétition où l’adversaire suivant est susceptible d’être israélien, pseudo-blessure, dépassement de la limite de poids, etc. En plus de quatre décennies, aucun Iranien n’a affronté d’Israélien. « J’aurais pu être champion du monde » Saeid Mollaei non plus n’a pas refusé. Mais après avoir perdu contre le Belge Matthias Casse, il a vidé son sac publiquement. Il en avait assez car, après tout, il travaillait dur pour gagner. Et il savait qu’il croiserait souvent la route de Muki – ou, à défaut, d’un de ses coéquipiers – pendant les grands événements. L’Israélien a été sacré champion du monde. [scald=28315242:sdl_editor_representation] Mollaei savait qu’il ne pourrait plus rentrer en Iran après cette déclaration : « J’aurais pu être champion du monde, mais je n’ai pas été autorisé à combattre à cause des lois de mon pays. J’avais peur des conséquences pour ma famille en Iran ». Et tant mieux pour lui. Un mois après le championnat de Tokyo, les Iraniens ont envahi les rues pour protester contre le gouvernement. Un an plus tard, le lutteur Navid Afkari a été condamné à mort et exécuté, officiellement pour avoir attaqué un Gardien de la Révolution, mais très probablement pour avoir simplement pris part aux manifestations. Avant sa mort, il avait raconté avoir été torturé dans un enregistrement sorti clandestinement de la prison de Shiraz. Saeid Mollaei a quitté Tokyo pour se réfugier en Allemagne, où il a obtenu l’asile. Toujours en 2019, le président mongol Khaltmaagiyn Battulga, ancien lutteur, pratiquant de sambo et président de la fédération mongole de judo, lui a accordé la citoyenneté. Un an après la fuite de Saeid Mollaei, l’Iranien, déjà sous les couleurs de la Mongolie, a reçu une invitation au Grand Chelem de Tel-Aviv. Il devait y affronter Muki pour la première fois. Et il l’a effectivement rencontré, sauf que ce n’était pas sur un tatami, mais à l’aéroport Ben Gourion – à titre exceptionnel, le pays étant fermé en raison de la pandémie. Quatre avions remplis d’entraîneurs, d’arbitres et de judokas, dont Mollaei, ont atterri. Muki est venu et a pris un selfie qu’il a diffusé en ligne. Les Israéliens ont soutenu Mollaei, qui a finalement perdu en finale contre l’Ouzbek Sharofiddin Boltaboev. A ce moment-là, il était déjà clair qu’Hollywood s’intéressait à l’histoire de cet Israélien et de cet Iranien. Médaille d’argent pour Mollaei Dans sa patrie, il est considéré comme un traître, point final. « Il s’est à jamais couvert de honte », a tranché le président de la fédération iranienne de judo, l’ancien champion Arash Miresmaeili. Ce dernier s’était illustré aux Jeux olympiques d’Athènes en 2004. Sachant que le hasard du premier tour le mettrait face à l’Israélien Ehud Vaks, il s’était gavé de nourriture juste avant la pesée officielle pour atteindre un poids de 68 kg, au lieu du poids réglementaire de 66 kg. Il n’était plus en mesure de combattre. [scald=28315240:sdl_editor_representation] Plus tard, il a déclaré qu’il avait agi ainsi par solidarité avec le peuple palestinien. Il était alors double champion du monde et favori pour la médaille d’or, ainsi que le porte-drapeau de l’équipe nationale. L’ancien président iranien Mohammed Khatami avait alors déclaré que l’acte du judoka serait « inscrit en lettres d’or parmi les plus grandes réalisations de l’histoire de l’Iran », tandis que le maire de Téhéran et ancien président de la République islamique, Mahmoud Ahmadinejad, connu pour son discours anti-israélien et antisémite, avait attribué à Miresmaeili une « gloire éternelle ». Outre cette gloire éternelle, l’athlète s’est enrichi de l’équivalent de 125.000 dollars, soit le montant que le gouvernement iranien réservait aux médaillés d’or olympiques. Mais le délire ne s’arrête pas là. A Tokyo, deux athlètes de pays musulmans, un Algérien et un Soudanais, ont décidé d’éviter le combat avec l’un des judokas israéliens. Mollaei a quant à lui tiré un trait sur ce passé. Il n’a pas pu affronter Sagi Muki en finale car l’Israélien a été éliminé au début du tournoi. Il a failli prendre sa revanche sur le Belge Casse, mais ce dernier a lui aussi perdu en demi-finale. Grâce à des victoires au repêchage et à une petite finale, le Belge a remporté la médaille de bronze. [scald=28315242:sdl_editor_representation] Mais l’Iranien a battu trois de ses quatre adversaires par ippon jusqu’à la finale contre le Japonais Takanori Nagase, médaillé de bronze à Rio. Dans le temps additionnel, le Japonais a gagné par ippon, ce qui a valu à la patrie du judo une cinquième médaille d’or.

Votre compte

Comment l’Iranien Saeid Mollaei a brisé la malédiction du Gardien de la Révolution

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

1 Commentaire

Aussi en LéNA

Récit LVMH: l’année de tous les records pour le géant français du luxe

Reportage L’Autriche, havre de paix pour les milliardaires russes: «Nous condamnons la guerre en Ukraine, mais…»

L’Iranienne Sara Khadem retire le voile: «En le portant, je n’étais pas moi-même»

Entretien Le Nobel de chimie 2022: «Nous avons inventé une tondeuse miniature pour les cellules cancéreuses»

Depuis 250.000 ans, l’homme a des enfants plus tard que la femme

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

L’inflation en Belgique est en baisse à 8,05%

Manifestation: voici les perturbations attendues à Bruxelles ce mardi

Le train 9% plus cher, un mauvais signal?

Coronavirus: l’OMS maintient le niveau d’alerte maximal

Analyse Coupe du monde de hockey: une médaille d’argent au goût très amer pour les Red Lions

Aéroport de Liège: trois ours décèdent dans un avion cloué au sol par le froid

L’indemnité vélo pour tous les travailleurs belges dès le mois de mai

Quels sont les avantages du travail intérimaire ?

Température du bureau et pause sanitaire : vos droits en tant que travailleur

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel