Quand le renard se laisse apprivoiser

Un cri horrible m’a réveillé, suivi de deux autres. J’en ai eu la chair de poule. Depuis que nous avons emménagé à la campagne près de Varsovie, les bruits nocturnes ont changé : aboiements de chiens, croassements de grenouilles, vrombissements de la moto du voisin. Mais ce cri ne ressemblait à rien de connu. Au début, j’ai pensé que c’était un chat auquel il était arrivé quelque chose. Mais les chats ne poussent tout de même pas des cris pareils. C’était un renard. « Notre » renard, comme nous l’avons appelé par la suite. Il ne venait pas que la nuit. On le voyait souvent en plein jour. Une fois, il est monté sur le rebord de la fenêtre et s’est mis à regarder avec curiosité ce qui se passait chez nous.Il suivait toujours le même chemin pour traverser notre terrain. Il s’était creusé un trou sous la palissade à l’endroit où il entrait et un autre à l’endroit où il sortait. Ses visites ont pris fin quand un promoteur immobilier a acheté le champ à côté pour y ériger une rangée de maisons. Kevin Parsons, un biologiste de l’évolution originaire du Canada qui travaille à l’université de Glasgow, a paraît-il été surpris de voir des renards se promener dans les rues de Glasgow. Ils ne semblaient pas avoir peur des humains. « Ils s’approchaient et les regardaient avec l’air de dire : « Pourquoi tu me fixes comme ça ? » », a-t-il déclaré au magazine Science. Les renards s’installent en ville Quand il a appris que le musée national d’Ecosse possédait une collection considérable de 111 crânes de renards, il a repensé à ces renards semi-apprivoisés des rues de Glasgow. Ces crânes ont été ramassés à Londres et dans ses environs entre 1971 et 1973, à une époque où des abattages de renards avaient lieu régulièrement pour limiter leur prolifération en ville.Ça n’a pas marché. Les renards ont gagné. En quelques jours à peine, un autre individu venait occuper le territoire de chaque renard tué. Dans les années 80, les abattages ont été abandonnés. Au début du siècle, la chasse au renard traditionnelle a également été interdite. La Grande-Bretagne compte aujourd’hui la plus importante concentration de renards des villes au monde. Des 111 crânes, 57 appartenaient à des femelles, et 54 à des mâles. L’endroit où l’animal avait été abattu était indiqué pour chaque crâne. Le scientifique savait donc si le renard vivait en ville ou à la campagne. [scald=28329856:sdl_editor_representation] Il s’est avéré que l’habitat du renard avait une incidence significative sur la forme de son crâne. Comme le rapportent le chercheur et son équipe dans le numéro de juin 2020 des Actes de la Royal Society, les renards des villes avaient des museaux plus courts et plus larges, leur boîte crânienne était de taille inférieure, et les mâles et les femelles présentaient moins de différences. Les animaux évoluaient de toute évidence, s’adaptant à un mode de vie urbain plus proche de celui des humains. Ces modifications physiologiques – le raccourcissement du museau, la diminution de la boîte crânienne (auxquelles s’ajoutent des oreilles tombantes, une queue dressée ou l’apparition de taches sur la fourrure) – apparaissent chez la majorité des animaux domestiqués, comme les lapins, les cochons ou les chiens. « Ce qui est fascinant, c’est que les renards britanniques se transforment d’eux-mêmes de la même manière que les animaux domestiques, et se mettent à leur ressembler », note Kevin Parsons. Le renard dans les traces du chat et du chien ? « Un museau long et étroit est approprié pour les renards qui doivent attraper promptement et tenir dans leur mâchoire de petites proies agiles. Mais les renards des villes ont davantage besoin de force que de rapidité », avance le chercheur. Leurs mâchoires deviennent donc plus courtes mais plus fortes, mieux adaptées pour fouiller dans les poubelles, déchirer des emballages et écraser des restes d’os laissés par les humains ou les chiens. L’environnement urbain peut aussi expliquer la diminution du cerveau, car se nourrir des restes de notre nourriture est moins exigeant que de chasser des proies vivantes qui s’enfuient. Les chercheurs insistent sur le fait que ces constatations ne signifient pas que les renards des villes britanniques soient déjà domestiqués. « Mais cette étude montre que la proximité et l’influence des humains peuvent mener un animal à la domestication », commente Melinda Zeder, archéologue émérite du musée national d’histoire naturelle de Washington. Les chiens aussi ont probablement dû vaincre leur peur des humains et s’approcher suffisamment pour pouvoir manger nos déchets. Ce qui a parfois pu entraîner de nombreuses modifications biologiques, qui ont conduit à leur domestication. Des renards de Sibérie ressemblant à des chiots La modification de la forme des crânes des renards britanniques concorde avec les résultats d’une expérience sur le long cours réalisée en Russie, dont l’objectif était de reproduire le processus de domestication du loup. Dmitri Beliaïev l’a lancée dans les années 50, et la professeure Lioudmila Trout la poursuit actuellement à l’Institut de cytologie et de génétique russe de Novossibirsk. Beliaïev a apprivoisé des renards roux sauvages (de la variété argentée, élevée en URSS pour leur fourrure) et les a fait se reproduire. A chaque portée, il choisissait les renardeaux les mieux apprivoisés et les plus doux. A chaque nouvelle génération, les renards devenaient de plus en plus amicaux, et leur apparence changeait : leurs museaux se raccourcissaient, des taches apparaissaient sur leur fourrure, leurs oreilles retombaient et leurs queues étaient de plus en plus dressées. A l’heure actuelle, la déjà 60e génération de renards n’est plus agressive vis-à-vis des humains et a pris les traits de chiots : ils ont des oreilles tombantes, remuent la queue en signe de contentement et marchent tenus en laisse. Ils ne ressemblent plus à leurs ancêtres, qui étaient méfiants et mordaient les humains. A présent, ils viennent vers eux en courant, sautent sur leurs genoux et font des câlins aux autres renards ainsi qu’aux gens qui s’occupent d’eux. [scald=28329855:sdl_editor_representation] Melinda Zeder estime que les renards ont déjà dû tendre à la domestication auparavant dans de nombreuses régions du globe. Des archéologues trouvent des ossements de ces mammifères sur l’emplacement d’anciennes communautés agricoles. Mais au contraire des chats sauvages africains, par exemple, qui sont des ancêtres sauvages de nos chats domestiques, ils n’ont jamais été complètement apprivoisés. « Nous ne savons pas pourquoi », dit Zeder à Science. Peut-être que le temps est maintenant venu, et que dans quelques décennies, un nouvel ami à quatre pattes nous tiendra compagnie dans nos maisons ? Dans les campagnes, les renards sont exterminés parce qu’ils mangent les poules et les lapins. Mais dans les villes britanniques, ils ont leurs admirateurs qui les nourrissent, les observent et publient sur internet des vidéos amusantes. Ils y ont pourtant aussi des ennemis, car ils laissent derrière eux des déjections malodorantes, dévastent les jardins (en déterrant les bulbes de fleurs), renversent les poubelles, attaquent parfois les chats, les chiens et même, de temps à autre, les humains. Du point de vue de l’évolution, la domestication peut représenter pour les renards une manière d’échapper à l’extermination. Au cours des dernières décennies, la population d’animaux sauvages diminue de plus en plus, tandis que celle des animaux d’élevage et domestiques augmente. Pourtant, une coexistence paisible mais séparée serait assurément une solution plus saine pour eux comme pour nous. Pour cela, il faudrait encore que nous leur laissions un peu de place dans la nature.

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