Les directeurs d’école ont déjà fait leur rentrée: «Nous sommes pressés comme des citrons»

Le nez plongé dans ses dossiers, Pierre-Michel Damay recompte pour la énième fois le nombre total du capital périodes auquel son établissement à droit. Il ne faudrait pas se tromper. Il en va de l’encadrement des enfants et du maintien des postes en place. « Deux vérifications valent mieux qu’une. Si les comptes sont mauvais, l’école doit engager sur fonds propre. On préfère éviter. » Au four et au moulin depuis le 16 août, la machine est déjà bel et bien en marche dans l’école du village de Chapelle-lez-Herlaimont. [scald=28393901:sdl_editor_representation] Pourtant, l’établissement situé à quelques kilomètres de Charleroi a encore des allures d’institution en vacances. Le silence règne. On y entend presque les mouches voler ; les élèves ne feront leur rentrée que le 1er septembre. Les enseignants aussi, même si la plupart viennent déjà ranger leur classe. Pierre-Michel Damay, lui, est comme chaque année le premier à rouvrir la porte après un mois de vacances. « Légalement, le directeur est tenu de travailler jusqu’au 5 juillet et d’être présent le premier jour ouvrable qui suit le 15 août. Pourtant dans l’opinion publique, on a deux mois de vacances », sourit l’ancien instituteur primaire devenu directeur il y a douze ans. « Lundi, j’ai donc commencé par dépouiller une fameuse pile de courriers accumulés durant plus d’un mois. » A côté du courrier, il y a l’arrivée du flot de circulaires. Des dizaines et des dizaines de pages à lire et parfois à déchiffrer. « Depuis le début de la crise sanitaire, leur nombre a considérablement augmenté. Là, on est contents parce que pour une fois on a reçu les infos en même temps que les médias. » Le directeur fait référence à la circulaire concernant les modalités de rentrée sous la seconde ère covid. « D’habitude les parents nous téléphonent en panique sans que l’on puisse répondre à leurs interrogations. Nous sommes alors en première ligne pour recevoir les critiques. » Les règnes en solitaire La sonnerie de l’école retentit signalant l’arrivée de la pause de 10 h. Pas de cohue dans les couloirs. Le directeur en profite pour nous faire visiter les lieux. Tout est désert. « La première semaine, c’est assez calme », indique-t-il. « Comme c’est ma douzième rentrée en tant que directeur, je me permets de faire des demi-journées au début. On développe des automatismes. Mais je n’en menais pas large lors de ma première rentrée. » Il est d’ailleurs fréquent que les jeunes collègues viennent se renseigner auprès de leurs pairs plus expérimentés. « On organise régulièrement des réunions. Heureusement parce que c’est un métier aussi individuel qu’extraordinaire. » Une solitude exacerbée avec la crise sanitaire. « Les réunions en visioconférence ont fait disparaître le côté convivial. Impossible de décompresser un peu avec les collègues. » Le directeur n’est pas amer de devoir reprendre le boulot à la mi-août. « Cette année s’annonce plus légère. Même si je reste inquiet par rapport aux élèves qui reviennent de zone rouge, je suis content de revoir les collègues et ma secrétaire. Sans sa présence, ma rentrée serait bien plus stressante. » Cela fait quelques années à peine qu’il peut compter sur une aide administrative. « La manne financière a légèrement augmenté, mais nous restons bien en deçà de l’aide apportée à l’enseignement secondaire. » Pierre-Michel a fait les comptes. Avec 400 élèves dans ses trois implantations du fondamental, il bénéficierait d’un secrétaire de direction à temps plein ainsi que de trois éducateurs. Un calcul hypothétique, bien sûr. « C’est donc au directeur et aux enseignants de faire visiter l’école aux parents lors des inscriptions. » [scald=28393900:sdl_editor_representation] Dans les classes, la peinture est encore fraîche, les chaises encore sur leur bureau. « Les ouvriers font les peintures durant l’été. Fin du mois, je recevrai les commandes ; il faudra les dispatcher entre les profs », détaille Pierre-Michel Damay. « Le rôle du directeur est de s’assurer que les enseignants et les enfants rentrent dans des conditions optimales. » Des réunions en série Une semaine plus tard, nous retrouvons Pierre-Michel Damay à la même place. Entre une réunion avec ses collègues directeurs de La Louvière, la rentrée académique avec le diocèse du Hainaut et la formation aux nouveaux référentiels, les derniers jours furent assez chargés. « Notre école fait partie de la vague 3 du plan de pilotage. Normalement, notre plan aurait dû être mis en place pour cette rentrée, mais il a été reporté d’une année en raison du covid. Ces réunions prennent énormément de temps. » Dans le cadre du Pacte d’excellence, chaque établissement doit établir un « contrat d’objectifs » avec la Fédération Wallonie-Bruxelles. [scald=28393902:sdl_editor_representation] Dans l’école, la valse des enseignants a débuté. A tour de rôle, ils viennent aménager leur classe pour la rentrée, ranger les fournitures scolaires. Impatients de retrouver leurs collègues et leurs élèves. Dans la salle de sport, Christophe, le prof de gym, teste son nouveau matériel. « Comment se sont passées tes vacances ? », lui lance Pierre-Michel. Ces échanges entre deux portes sont l’occasion de discuter des futurs projets de chacun. « Une réunion plus formelle se déroulera le 30 août pour déterminer les lignes directrices de la rentrée. » Un métier aux mille casquettes Devant le bureau du directeur, des enseignantes font la file. Grâce aux périodes covid, il va pouvoir engager un instituteur ou une institutrice en renfort. « C’est exceptionnel », s’exclame-t-il. « Malheureusement, ce sera pour une durée de quatre mois. Nous aurions préféré que ce soit maintenu toute l’année afin de garder une certaine stabilité. » Pour une fois, Pierre-Michel a l’embarras du choix. Un fait assez rare pour être souligné. « En début d’année, nous avons la chance de prendre le temps pour trouver la bonne personne, celle qui conviendra au cadre de l’école. Plus les années passent, plus la pénurie d’enseignants se marque tôt dans l’année scolaire. Dès le mois de novembre, voire d’octobre, nous arrivons en période de pénurie. On doit alors bricoler. Parfois en engageant des personnes qui n’ont pas le diplôme d’enseignant. » Responsable des ressources humaines, gestionnaire des travaux, conseiller pédagogique. Le métier de directeur nécessite une sacrée dose de polyvalence. « C’est davantage le cas dans le fondamental en raison du manque de moyen. Lorsque l’on signe le contrat, on ne sait pas à quelle sauce on va être mangé. C’est pour cela que de nombreux directeurs décident de retourner à l’enseignement. Sans compter que la tension barémique est relativement faible », déplore Pierre-Michel. Comme de nombreux directeurs, il regrette la part de plus en plus grande accordée au travail administratif. Ce qui laisse peu de temps pour l’encadrement pédagogique dans les classes. « On est pressés comme des citrons », lance Pierre-Michel. « Quand je ferme l’école le 6 juillet, je suis en vacances mais, en cas de pépin, je dois pouvoir le régler. J’ai toujours mon ordinateur avec moi pour répondre aux mails urgents. Même à l’autre bout du monde. On a toujours l’école en tête. Cela fait partie du job. » Jusqu’au 1er septembre, le stress va monter crescendo. « Quoi que l’on dise, cela reste un métier passion », conclut le directeur.

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