La mémoire du génocide juif n’a pas flanché face au covid

Les enseignants pourront bientôt se procurer sur la plateforme de la Fédération Wallonie-Bruxelles un dossier pédagogique intitulé « L’enfant caché ». Ces mots désignent les garçons et les filles de confession juive recueillis secrètement durant la Seconde Guerre mondiale par des familles qui leur ont évité la déportation vers les camps de la mort. Ces « Justes » les ont cachés au péril de leur vie. [scald=28493372:sdl_editor_representation] Dans un texte posthume que l’on peut lire dans la réédition de Histoire et mémoire des juifs d’Anderlecht (lire ci-dessous), Maxime Steinberg qualifiait l’enfant caché de « dernier témoin de la Shoah à prendre la parole dans le discours de la mémoire ». Il rappelait que c’est au début des années 90 que les associations d’anciens enfants cachés s’étaient constituées, en commençant par les Etats-Unis. Ils devaient ensuite se fédérer en Belgique. « Leur position, écrivait l‘historien décédé en 2010, est somme toute paradoxale. Ces orphelins de la Shoah survivent à un génocide dont ils auraient été les premières victimes si leurs parents ne les en avaient pas détournés, avant leur propre voyage fatal à Auschwitz-Birkenau. » Un changement d’époque Le temps a passé et les « enfants cachés » sont fatalement moins nombreux à témoigner. « Mais ils nous donnent une version positive de l’Histoire car ils sont là malgré les horreurs qu’a vécues l’humanité », explique la députée bruxelloise Isabelle Emmery (PS) qui relate ses rencontres avec une dizaine d’entre eux, précisément dans Histoire et mémoire des juifs d’Anderlecht. « Nous sommes ici davantage dans l’intime, dans l’affection, dans le récit du choix fait par certains Belges de participer au sauvetage et à l’éducation d’enfants qui étaient destinés à mourir dans les camps. » La question de la perpétuation de la mémoire de la Shoah n’en reste pas moins posée. « Il est clair que l’époque où les survivants du génocide juif venaient témoigner en classe arrive à sa fin », explique Marc Romainville (UNamur) qui travaille au futur tronc commun de l’enseignement obligatoire francophone. Il va falloir passer à une dimension plus livresque, en recourant à des documents, mais cela ne veut pas dire que les élèves se montreront moins sensibles… » [scald=28493373:sdl_editor_representation] Ici aussi, la crise sanitaire a compliqué la donne. En 2020, les 75 ans de la libération des camps ont connu une résonance moindre en raison des confinements et de l’omniprésence du virus dans le débat public et les médias. Des commémorations ont été reportées, des publications repoussées, les cours d’histoire donnés dans les conditions difficiles du distanciel, etc. D’où la question : finit-on par desservir la compréhension du passé à force de se concentrer sur le présent ? « La réflexion n’est pas anodine. Il suffit de penser à la présidentielle française », relève Marc Romainville. A l’époque des fake news et des réseaux sociaux, mieux vaut être bien armé pour comprendre les enjeux politiques du moment, à commencer par la joute qui vient d’opposer Eric Zemmour à Jean-Luc Mélenchon. Jean-Philippe Schreiber (ULB) évoque pour sa part une « séquence très différente de celle que l’on a connue lors de célébrations précédentes, notamment en 1994. Cette année-là, on a commémoré les 50 ans de la libération. Par ailleurs, il y avait le génocide rwandais. La référence au passé allait de soi. Aujourd’hui, au contraire, nous sommes projetés dans un monde qui n’en appelle plus à la mémoire de la Seconde Guerre mondiale et du génocide. Elle mobilise moins. » [scald=28493374:sdl_editor_representation] Toutefois, ce ne sont pas le covid et sa parenthèse qui poussent le philosophe à dresser ce constat. Concernant le rôle de l’école dans la perpétuation de la mémoire du génocide, il pointe plutôt « la difficulté qu’ont les enseignants à aborder avec sérénité une question aussi sensible dans la mesure où elle peut susciter des réactions en sens divers », le tout dans une « concurrence victimaire ». Paradoxalement, le travail de mémoire est aujourd’hui institutionnalisé via un décret communautaire datant de 2009. Celui-ci prévoit de favoriser « principalement auprès des jeunes générations la réflexion critique, le développement d’une citoyenneté responsable et la promotion des valeurs démocratiques ». Le futur tronc commun consacrera ainsi une place au génocide juif dans un cours d’histoire décryptant la menace que constituent les totalitarismes pour les régimes démocratiques. La menace et ses origines : stigmatisation de l’autre, stéréotypes racistes, absence de contrepoids politiques… Hommage aux Justes Mais sera-ce suffisant pour éviter une dilution mémorielle à un moment où la planète reste braquée sur le virus ? Isabelle Emmery se veut rassurante. Elle voit dans les confinements anticovid passés un possible « moment d’introspection », notamment pour les jeunes. « Mettre en perspective les crises contemporaines avec l’histoire sera important pour aller accrocher leur attention. Le fait qu’ils aient vécu le covid dans l’enfermement peut les amener à se pencher sur le passé. Le virus a aussi créé chez les jeunes de la solidarité, l’envie d’aller vers l’autre ». Philippe Markiewicz, le président du Consistoire central israélite, rejoint cette perception. « Le covid nous réunit tous, dit-il. Il n’a pas étouffé la mémoire du génocide. Et, contrairement à la guerre, il n’oppose pas le bien et le mal ». Le 7 novembre, un hommage national sera rendu aux Justes à la grande synagogue. Une jauge de 200 personnes sera de mise. Mais la cérémonie sera retransmise par la RTBF, adaptant l’enjeu mémoriel aux circonstances de l’époque.

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