L’Europe accuse: Loukachenko, trafiquant de migrants

Cinq morts, en quelques jours. C’est, à ce stade, le bilan humain déploré à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Des migrants sont « pris au piège », expose la commissaire européenne aux Affaires intérieures Ylva Johansson. Ils sont pris au piège de l’attaque « hybride », lancée depuis l’été par le régime biélorusse d’Alexandre Loukachenko, « désespéré », selon la commissaire, car mis au ban de l’UE depuis la terrible répression orchestrée dans la foulée de sa réélection frauduleuse en août 2020. Mais ces personnes sont aussi prises au piège de la réaction musclée de la Pologne, qui a déployé ses forces à la frontière et tente de refouler les exilés. A l’abri des regards – des médias, des ONG mais aussi des agences de l’UE comme Frontex. Un manque de « transparence » et de coopération sur « une frontière européenne » que critique la commissaire. Johansson se rend en Pologne ce jeudi, pour des entretiens avec le ministre de l’Intérieur Kaminski. [scald=28493670:sdl_editor_representation] « La nouvelle législation polonaise (qui légalise temporairement la plupart des refoulements, strictement prohibés par le droit international, NDLR) pose plusieurs questions, que nous allons discuter avec les autorités polonaises. Nous voulons des réponses », a déclaré la commissaire mercredi, lors d’une conférence de presse au siège de l’exécutif européen consacrée à de nouvelles propositions en matière de migration. Plusieurs (autres) entorses à l’Etat de droit en Pologne font l’objet de contentieux entre Varsovie et les institutions européennes. Un signal clair La Commission tente – en vain – depuis un an de faire accepter aux Etats membres de l’UE un nouveau « pacte sur la migration et l’asile ». Faute d’accord, elle tente d’avancer par petits pas. Elle entend notamment combattre ce « nouveau défi », incarné par les agissements de Minsk : le trafic de migrants « organisé avec le soutien d’un Etat ». Ou « l’utilisation de personnes comme outil à des fins politiques », dénonce le commissaire Margaritis Schinas, en charge de la Promotion du mode de vie européen. [scald=28493667:sdl_editor_representation] Parmi d’autres mesures pour lutter contre le trafic de migrants (dont la coopération avec les garde-côtes libyens, tant décriée par les défenseurs des droits humains pour les multiples abus constatés), la Commission a ainsi proposé mercredi aux Etats membres de suspendre l’obtention facile, rapide et peu onéreuse de visas, pour les officiels (fonctionnaires, politiques, juges…) et les détenteurs de passeports diplomatiques biélorusses. « Ce serait un signal clair, aussi pour d’autres », appuie Schinas. L’accord visant à faciliter la délivrance de visas pour les citoyens biélorusses ordinaires est maintenu. Cette sanction, si elle est soutenue par les capitales, s’ajoutera à un important train de sanctions économiques et individuelles déjà adoptées par l’UE contre Minsk – 166 hauts responsables du régime sont déjà bannis d’entrée sur le territoire de l’UE, dont Loukachenko lui-même. 10.000 euros le voyage « C’est aussi un moyen pour Loukachenko de gagner de l’argent », accuse Ylva Johansson. « Cela coûte aux migrants plus ou moins 10.000 euros pour tout le voyage. Les migrants sont d’abord logés dans un hôtel confortable puis acheminés vers les frontières européennes », affirme la commissaire, sur base des témoignages recueillis par Frontex en Lituanie et en Lettonie – l’agence de protection des frontières de l’UE n’est toujours pas bienvenue en Pologne. La situation s’est toutefois « stabilisée », indique la Commission. Le chef de la diplomatie de l’UE a obtenu de l’Irak la suspension de vols directs entre Bagdad et Minsk. Fin juillet, Josep Borrell expliquait que « les migrants irakiens sont transportés par avion de Bagdad à Minsk, puis en bus jusqu’à la frontière lituanienne, qu’ils traversent de manière irrégulière. C’est la réponse de la Biélorussie aux sanctions ». [scald=28493669:sdl_editor_representation] Mais la « pression migratoire continue » et la situation reste « tendue », ajoute la Commission, avec un nombre « de tentatives d’entrée irrégulière élevé ». Au 19 septembre, 4.145 personnes (dont la moitié d’Irakiens, suivis par des ressortissants du Congo Brazzaville) avaient franchi la frontière bélarusso-lituanienne, soit 56 fois plus qu’en 2020, et 1.493 la frontière avec la Pologne, soit 23 fois plus, avec également surtout des Irakiens mais aussi des Afghans. La Lettonie a enregistré 377 arrivées. Les demandes d’asile suivent évidemment ces courbes ascendantes. Renvois forcés illégaux Si les manœuvres de Loukachenko doivent être combattues, « il faut aussi dire que l’on (l’UE) n’agit pas comme lui », avertit Johansson, interrogée sur l’attitude de la Pologne. La Pologne a décrété l’« état d’urgence » le 2 septembre à sa frontière avec la Biélorussie, restreignant l’accès des observateurs, dénonce Amnesty International dans une enquête publiée ce jeudi. Mais grâce à l’examen d’images satellite, de vidéos et photos d’incidents survenus à la frontière depuis le 12 août, l’ONG a établi qu’un groupe de 32 demandeurs et demandeuses d’asile afghans entré le 18 août en Pologne depuis la Biélorussie, « cernés par les gardes-frontières polonais », était de retour côté biélorusse le lendemain, ce qui constituerait « la preuve d’un renvoi forcé illégal ». [scald=28493668:sdl_editor_representation] « La Pologne bloque ce groupe de personnes à la frontière dans des conditions déplorables, depuis des semaines », dénonce dans un communiqué Eve Geddie, la directrice du Bureau d’Amnesty auprès des institutions européennes. « Renvoyer de force des personnes qui demandent l’asile, sans évaluer de manière individuelle leurs besoins de protection, va à l’encontre du droit international et du droit européen. L’adoption de nouvelles lois et mesures visant à légaliser les renvois forcés sommaires n’y change rien ».

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