Procès LuxLeaks: «Rendez à Antoine Deltour son honneur»

Reprise ce mardi du procès « LuxLeaks » à Luxembourg. Raphael Halet, Antoine Deltour, et Edouard Perrin y sont toujours accusés de vol ou complicité de vol des données à l’origine de l’affaire LuxLeaks. Au menu de cet avant-dernier jour d’audience : les plaidoiries de la défense d’Antoine Deltour et du procureur. Pour Deltour, c’est Me Penning qui a pris la parole en premier. Il pose le décor : Antoine Deltour « n’est pas une taupe envoyée par les communistes à l’heure de la guerre froide. C’est quelqu’un qui, en toute modestie, vient tirer la sonnette d’alarme (…). La pureté de son geste défie notre monde des affaires trop égocentrique », entame l’avocat. « Un homme extraordinairement ordinaire » Il rappellera ensuite qu‘après un bug informatique, Deltour n’a pas dû violer le système informatique de son employeur (PwC) pour avoir accès aux précieux rulings, qui illustrent le traitement royal offert par l’État luxembourgeois à certaines multinationales. Il n’a pas non plus prémédité son acte, n’était pas conscient du tsunami que les données sur lesquelles il est tombé pourraient provoquer. Il n’a jamais cherché à les vendre, et a jugé, au moment de fournir ces documents à un journaliste, que l’intérêt général passait avant les intérêts de son ex-employeur. Tout ça pour montrer qu’Antoine Deltour est un bon gars, sorte de héros malgré lui. « Je me lève surtout, aujourd’hui, avec une émotion qui n’est pas feinte, pour défendre un homme extraordinairement ordinaire, qui est devenu à son insu un homme extraordinaire », embraie William Bourdon, second avocat de Deltour. Absolument déchaîné, l’homme interpelle à plusieurs reprises les juges, impassibles. « Vous avez l’occasion d’écrire l’une des plus belles pages de l’histoire juridique. Peut-être que vos petits enfants liront cela un jour dans leurs livres d’histoire », lance-t-il notamment. Anticipant le verdict, il part dans une envolée lyrique. « Cette décision d’acquittement, elle célébrera le Luxembourg. Elle vous célébrera aussi, comme les meilleurs ambassadeurs du droit européen (…). Rendez à Antoine son honneur. Saluez-le. Dites à tout le monde, ses parents, sa fille de huit mois, sa compagne, qu’ils ont raison d’être fiers de lui. Soyez au rendez-vous de l’histoire », conclut maître Bourdon, chaleureusement applaudi par une salle comble. « Je rappelle au public qu’il ne se trouve pas au théâtre », tempère froidement le président du tribunal. Après une interruption de séance, c’est le procureur d’État qui s’est mis à plaider, commençant par se justifier. « On reproche au ministère public d’avoir organisé ce procès », mais c’est « mon rôle d’amener les prévenus à la barre pour que le procès puisse avoir lieu », et « tant pis si personne ne me porte dans son cœur », assume le magistrat. Lui qui est payé par l’État pour faire respecter les lois n’a aucun doute : Halet, Deltour et Perrin ont commis plusieurs infractions (vol, violation du secret professionnel, du secret d’affaires). Tous les trois doivent donc être condamnés pour ces infractions, comme tout autre citoyen, aux yeux du procureur. « C’est ça, la démocratie », ajoute-t-il. « Des taupes, voleurs et délinquants de droit commun » Il a ensuite développé ses arguments. Il assimile Halet et Deltour à des « taupes », des « voleurs », ou encore à des « délinquants de droit commun ». Des « soi-disant lanceurs d’alerte » ayant avant tout « trahi » leur employeur. Ils n’ont dénoncé que des « rulings foncièrement légaux », qui sont « pratiqués dans de nombreux pays européens ». Le procureur citera même la nouvelle directive européenne sur le secret des affaires pour illustrer à quel point l’Europe est attachée à la culture du secret. Dans sa plaidoirie, le procureur n’épargne pas Edouard Perrin non plus. Il le décrit comme un journaliste « rebelle », qui pense que « tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins ». Il l’accuse d’avoir poussé au vol Raphaël Halet, même si ce Halet s’est manifesté spontanément auprès du journaliste. Puis, surprise, le discours du procureur s’adoucit.« Il faut aussi tenir compte du casier vierge, de l’acte non-rémunéré de Deltour et Halet, de la profession du journaliste qui essaye de faire son travail, du fait que certaines pratiques étaient douteuses, du fait que l’Europe a bougé depuis ». Des circonstances atténuantes, en somme. « Je vais et dois réclamer une condamnation, car il y a non-respect de la loi », reprend l’homme. Mais il veut une sanction « juste et proportionnée ». Il réclamera donc une amende pour Edouard Perrin, le félicitant au passage « pour son travail » et « son opiniâtreté ». Pour Deltour et Halet, le magistrat se montre plus rude, requérant 18 mois d’emprisonnement et une amende dans les deux cas.« Mais je ne m’oppose pas à ce qu’un sursis intégral soit prononcé », conclut le procureur. Dernière audience ce mercredi, avec les droits de réplique. Puis les juges se retireront pour délibérer de ce qui est « juste et proportionné ».

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