Pandora Papers: les 36 sociétés offshore du roi de Jordanie

A l’été 2020, alors que les marches de protestation se succédaient pour réclamer des mesures contre la pauvreté et anti-corruption, le Premier ministre jordanien, Omar al-Razzaz, promettait d’intensifier la lutte contre l’évasion fiscale qui, chaque année, soustrait du trésor près de 700 millions d’euros. « Protéger l’économie nationale et lutter contre la corruption est un devoir pour notre nation », insistait alors Omar al-Razzaz, ajoutant que le gouvernement ferait la chasse aux paradis fiscaux dans lesquels de riches Jordaniens dissimulent leur argent pour fuir l’impôt. Et le Roi ? Une maison face à l’océan Pacifique Les documents obtenus par l’ICIJ (www.icij.org) montrent que le roi Abdallah, qui a succédé à son père sur le trône il y a près de 22 ans, est secrètement propriétaire de maisons et d’immeubles en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Achetés entre 2003 et 2017 par des sociétés écrans, ces biens immobiliers valaient au total plus de 90 millions d’euros. On y trouve une maison à Ascot, une des villes les plus chères de Grande-Bretagne. Ainsi que des appartements valant plusieurs millions au cœur de Londres et trois appartements dans un complexe luxueux de Washington, avec vue panoramique sur le fleuve Potomac. Sans oublier trois maisons adjacentes, aujourd’hui en travaux, à Point Dume, près de Malibu (Californie). L’une d’elles compte six chambres et sept salles de bain, dont certaines ont une vue plongeante sur l’océan Pacifique : elle a été achetée en août 2014 pour 33,5 millions de dollars (25,4 millions d’euros) par le biais d’une des sociétés du Roi, Nabisco Holdings. [scald=28504335:sdl_editor_representation] Les conseillers du Roi – lequel attribue d’ailleurs chaque année un prix, qui porte son nom, de la transparence et de la bonne gouvernance –, n’ont pas mesuré leurs efforts pour dissimuler son patrimoine immobilier, comme le rapportent les Pandora Papers. Des comptables et des avocats, tant en Suisse que dans les îles Vierges britanniques, ont créé des sociétés écrans pour le compte du Roi et redoublé d’ingéniosité afin de soustraire son identité aux yeux du public, mais aussi des registres officiels. Sur deux documents, des administrateurs du cabinet Alemán, Cordero, Galindo & Lee, plus connu sous le nom d’Alcogal, affirment même qu’aucune des personnes liées à l’une des sociétés du Roi n’est active en politique. Répondant à l’ICIJ au nom du roi, les avocats assurent que cette détention de biens immobiliers par le biais d’offshore n’a rien de répréhensible. Selon les lois jordaniennes, le roi n’est pas tenu de payer des impôts, ont complété ses conseils. Aide internationale Neuf des transactions immobilières qui ont été recensées par l’ICIJ et ses partenaires, dont Le Soir, ont été effectuées après 2011. Après, donc, ce Printemps arabe qui a non seulement fait chuter les gouvernements égyptien, libyen et tunisien, mais aussi bousculé la monarchie jordanienne. Le royaume hachémite de Jordanie est un des pays les plus pauvres de la région, en manque de ressources naturelles, dépendant de l’aide internationale tant pour subvenir aux besoins de sa population qu’à ceux des millions de réfugiés qui se pressent à ses frontières. L’an passé, l’Union européenne a accepté de l’aider à hauteur de 180 millions d’euros pour atténuer les effets de la crise engendrée par le covid-19. « La situation en Jordanie n’est pas comparable à celle d’autres monarchies du Moyen-Orient, comme l’Arabie saoudite : le Roi ne peut se permettre d’y faire étalage de sa richesse », commente à l’ICIJ Annelle Sheline, experte du Moyen-Orient et chercheuse au Quincy Institute (Washington). « Si le roi de Jordanie affichait sa fortune de manière ostentatoire, ça ne ferait pas que heurter ses concitoyens, ça agacerait aussi les donateurs occidentaux. » Les avocats britanniques du roi Abdallah II affirment que celui-ci, tant pour des raisons de sécurité que de respect de la vie privée – qui ne sont cependant pas précisées –, peut légitimement détenir des biens immobiliers par l’intermédiaire de sociétés offshore sans qu’il faille y voir de l’évasion fiscale ou quoi que ce soit d’inapproprié. Le Roi, ajoutent les avocats, n’a jamais utilisé à mauvais escient l’argent public ou celui de l’aide internationale. Ils évoquent au contraire la « fortune personnelle » du roi Abdallah. Enfin, ils affirment que la plupart des sociétés offshore qui sont citées n’existent plus ou n’ont jamais été connectées au roi. De même que certaines des propriétés identifiées par l’ICIJ et ses partenaires comme appartenant au roi jordanien. Obsession de la discrétion Plus généralement, les Pandora Papers révèlent que Abdallah II a détenu au moins 36 sociétés dans des paradis fiscaux, certaines créées à des fins immobilières, d’autres gérant des investissements – non précisés – en Europe et aux Etats-Unis, d’autres, enfin, dont la motivation n’est pas du tout connue. Cette vie offshore du roi a été prise en charge aux îles Vierges et au Panama par le cabinet Alcogal dès 2007, ressort-il des documents que l’ICIJ et ses partenaires ont pu consulter. Bien qu’aux îles Vierges comme dans un grand nombre d’autres juridictions, la loi impose aux bureaux spécialisés d’identifier spécifiquement les clients « politiquement exposés », afin de lutter contre la corruption et autres délits de ce type, un des conseillers du Roi a tout mis en œuvre pour que l’identité d’Abdallah demeure secrète. Demandant à son interlocuteur du bureau Alcogal qu’il ne mentionne le Roi que sous la sibylline expression « Vous savez qui… ». Le priant aussi de ne conserver les informations relatives à ce « client sensible » que sur des copies en bon vieux papier des formulaires, afin de minimiser les risques en cas de piratage informatique ou d’erreur humaine. On ne sait pas si Alcogal a mis ce conseil en pratique. Interrogé par l’ICIJ, le bureau Alcogal a répondu qu’il vérifiait de manière renforcée les antécédents de toute personne ayant un lien politique et que les lois sur la diligence ont changé au fil du temps dans les différents pays où opère Alcogal. Contacté par nos collègues de Tamedia (Suisse) et de Société Radio-Canada, le conseiller du Roi cité ci-dessus s’est contenté de répondre qu’il était désormais retraité et ne travaillait plus pour Abdallah II. Enfin, les avocats du monarque ont soutenu à l’ICIJ que des professionnels gèrent ses sociétés afin que soient respectées les obligations légales et financières. [scald=28504127:sdl_editor_representation]

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