Abdulrazak Gurnah, Nobel de littérature, écrivain du colonialisme
Une fois de plus, l’Académie suédoise nous surprend par son choix. L’écrivain tanzanien est l’auteur, peu connu en français, d’une œuvre tendue par le colonialisme et l’exil.



Abdulrazak Gurnah, avouons-le, n’est pas un écrivain très fréquenté dans nos librairies et nos bibliothèques. Si on surfe sur Amazon, on retrouve ses œuvres, en anglais, comme son roman le plus célèbre, Paradise, qui date de 1994, et son dernier, Afterlives, sorti en septembre 2020. Mais on trouve trois de ses romans en français aussi : le fameux Paradis, chez Denoël, ainsi que Près de la mer et Adieu Zanzibar, chez Galaade. Peut-être ce prix Nobel va-t-il inciter les éditeurs français à davantage le traduire : il y a encore sept romans et un recueil de nouvelles à offrir aux francophones.
Avouons-le aussi : je n’ai pas lu Gurnah. Cette présentation est donc puisée à des sources qui, elles, l’ont lu. Comme les membres de l’Académie suédoise qui ont récompensé le lauréat pour sa narration « empathique et sans compromis des effets du colonialisme et du destin des réfugiés pris entre les cultures et les continents ».
Abdulrazak Gurnah est né en 1948 à Zanzibar. A ses 18 ans, il préfère l’exil. La minorité musulmane, à laquelle il appartenait, était persécutée. Il arrive comme étudiant en Grande-Bretagne, où il vit la vie d’exilé. Une vie réussie : il a publié neuf romans et un recueil de nouvelles, il est aujourd’hui professeur de littérature anglaise à l’université du Kent. Il étudie particulièrement les écrits postcoloniaux et les discours relatifs au colonialisme en Afrique, dans les Caraïbes et en Inde. Il a d’ailleurs publié trois volumes d’essais sur l’écriture africaine, a publié nombre d’articles sur VS Naipaul, Salman Rushdie et Zoë Wicom. Il est l’éditeur de A Companion to Salman Rushdie.
Le pouvoir de l’hybridité
Ses romans parlent donc principalement du colonialisme dans l’est de l’Afrique, s’intéressent à la vie des individus dans cette période de l’histoire, explorent les effets de la migration et du racisme, la difficulté de l’exil, le malaise de se trouver soi-même au milieu d’une vie passée vers laquelle on regarde cependant sans nostalgie, et d’un avenir à forger.
« Les écrits de Gurnah sont dominés par les questions de l’identité et du déplacement et comment elles sont formées par les conséquences du colonialisme et de l’esclavage », dit-on dans un article du British Council à son propos. « Les personnages de Gurnah sont constamment occupés à se construire une nouvelle identité pour leur nouvel environnement. Ils sont constamment en négociation entre leur nouvelle vie et leur existence passée. » Et encore : « Pour Gurnah, l’identité change constamment et ce que font les principaux personnages de ses livres, c’est précisément troubler les idées préconçues des gens qu’ils rencontrent où ils immigrent. »
Pour le critique Paul Gilroy, « les livres de Gurnah sont des méditations sur le pouvoir troublant de l’hybridité et sur les défis que celle-ci apporte aux hypothèses raciales favorisées par la présence durable de la perspective colonialiste ».
Son dernier roman, Afterlives, se passe en Afrique de l’Est, au début du XXe siècle, quand les Allemands colonisent le pays. « Son œuvre », dit le jury suédois, « s’éloigne des descriptions stéréotypées et ouvre notre regard à une Afrique de l’Est diverse culturellement et qui est mal connue dans de nombreuses parties du monde. » L’Académie a lancé qu’Abdulrazak Gurnah se trouvait dans la tradition de Shakespeare, Herman Melville, Joseph Conrad, V.S. Naipaul. Ce n’est pas rien.
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