L’Epicerie: «Beaucoup de fantasmes circulent sur notre lieu»

Odeurs de gyproc, concert de perceuses, va-et-vient d’ouvriers : le bruyant chantier à l’intérieur de l’Epicerie contraste avec le calme extérieur, dans cette partie de Molenbeek que les habitants appellent « le village ». Ancienne gare de taxis, l’Epicerie ne cesse d’être rénovée, à l’image de l’infatigable fourmilière qu’elle abrite. Subsidiée aussi bien en éducation permanente que par Actiris, l’Epicerie appâte le chaland, comme nulle autre. Formations, ateliers, job coaching : l’objectif de l’Epicerie est avant tout social ? Faire un atelier théâtre avec les jeunes, c’est travailler plein de choses : être en collectif, tenir un agenda, définir un projet ensemble. Ici, les jeunes savent qu’ils peuvent dire ce qu’ils veulent. Quand on a commencé à faire des spectacles en 2011, ils se sont dit qu’eux aussi étaient légitimes pour prendre la parole. Les maisons de quartier et les associations nous ont sollicités pour faire des ateliers. Du coup, l’administration ne sait plus si on est une compagnie de théâtre, si on fait de l’éducation permanente ou si on est un centre d’expression et de créativité. On a une logique globale. Une sorte d’esprit de famille s’est installé. S’il faut faire une lettre de recours pour untel qui a été renvoyé ou prêter un ordi pour celui-ci qui est en blocus ou héberger un jeune en galère, ça se fait naturellement. Est-ce possible d’aborder tous les sujets à l’Epicerie ou y a-t-il des tabous ? Je ne crois pas, même s’il y a des manières différentes d’aborder les sujets. Personnellement, je tiens à ce qu’il n’y ait pas de vulgarité ni d’obscénité dans mes spectacles. Parce que, même sur des sujets difficiles, j’aime que mes pièces puissent se voir en famille. Quand j’ai créé The one (et demi) man show sur le viol, j’ai senti que les gens étaient surpris, qu’ils ne nous attentaient pas dans ce registre. Dans Abraham , on parle des tabous religieux de chacun. Des projets en préparation vont aborder toutes sortes de sujets, comme le deuil ou l’identité flamande. Une rumeur a circulé sur la charte de votre lieu qui mentionnerait que les femmes doivent être habillées décemment. Il n’en est rien. Une autre rumeur prétendait que les hommes et les femmes ne pouvaient pas s’asseoir ensemble dans nos gradins. Cela vient du fait que nous avons joué, à une seule reprise, en 2014, une pièce au profit de l’Institut El Hikma La sagesse (école confessionnelle de Forest, NDLR) pour laquelle un balcon était réservé aux femmes. Nous n’étions pas les organisateurs de cet événement. Quiconque vient à nos spectacles voit qu’on s’y assoit comme on veut ! Beaucoup de fantasmes circulent, comme le fait qu’on aurait été financé par le Qatar. Quel est votre rapport à des approches « cousines » comme l’Espace Magh, les Nouveaux Disparus, les Voyageurs sans Bagage ? Nous sommes en contact, en fonction des projets. Souvent les programmateurs nous mettent dans les mêmes cases alors qu’on n’a pas la même démarche. Certains vont dire aux Voyageurs sans Bagages qu’ils ne peuvent pas les prendre parce qu’ils ont déjà pris Ras el Hanout. Alors que ça n’a rien à voir. Eux jouent du classique revisité à la sauce populaire alors qu’on est sur d’autres thématiques. Pour l’Espace Magh, on attend de voir la nouvelle direction. Je me souviens d’avoir organisé, à la VUB, une représentation de Gembloux de Sam Touzani et Ben Hamidou. Ce qui m’avait marqué, c’est qu’ils n’avaient pas les mêmes opinions, pas le même rapport à la religion mais ils arrivaient à travailler ensemble. C’est beau. Ils auraient pu être nos « grands frères », en étant plus loin dans le circuit artistique, pour nous ouvrir des portes mais ça ne s’est pas fait. Vous jouez surtout dans des lieux flamands (KVS, Zinnema, Kaaistudio). Y a-t-il une difficulté à jouer sur les scènes francophones ? Oui. Il y a une difficulté à avoir une réponse ou un rendez-vous. Alors que, côté flamand, c’est le contraire, on vient nous chercher. A un moment, on arrête de toquer à la porte. Côté francophone, si on nous prend, c’est pour nous mettre dans un festival « diversité. » On reste dans ces cases-là. Dans un lieu que je ne mentionnerai pas, ils ont programmé Ma Andi Mangoul, puis se sont rendu compte qu’un autre de nos projets avait aussi été pris dans un de leurs festivals. La programmatrice nous a répondu que, si elle avait su, au lieu de nous prendre deux fois dans la saison, elle aurait donné leur chance à des Turcs. On se dit qu’on n’a pas été pris comme choix artistique mais pour cocher la case « arabe ». Des collaborations sont possibles pourtant. Nous sommes d’ailleurs en contact avec Cathy Min Jung au Rideau de Bruxelles. Qu’allez-vous faire pour le Covid Safe Ticket ? Nous avons une capacité de 100 personnes mais on va limiter à 50. Notre public, c’est les 15-30 ans de la zone Canal. C’est un public très peu vacciné. Ce n’est pas venir à une pièce de théâtre qui va les décider à se faire vacciner. Une grosse partie de l’équipe est vaccinée mais nous nous adressons à un public qui est déjà éloigné de la culture. Notre mission, c’est de les rapprocher de la culture. Il est donc inconcevable de mettre une barrière en plus.

Votre compte

L’Epicerie: «Beaucoup de fantasmes circulent sur notre lieu»

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en Culture

Festival: dans la rue et en salles, Maelström chante poétiquement la Maison

C’est du belge: les sciences humaines, nº 2 de l’édition

Critique Jacques Abeille, Eduardo Varela, James Ellroy... Les poches des Livres du Soir

Reine Elisabeth: un imposé captivant

Reine Elisabeth: entre surprise et confirmation

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Elio Di Rupo sur le Codeco: «On va mettre le baromètre corona en sommeil»

Entretien L’épidémiologiste Julien Beauté (ECDC): «L’été est moins favorable au covid mais il faut garder BA.5 à l’œil»

Des grèves (très) possibles chez Ryanair à partir de juin

Schaerbeek: une échevine porte plainte contre un échevin pour sexisme et attentat à la pudeur

Variole du singe: un premier cas détecté en Belgique

L’envie de partir en vacances l’emporte sur le prix du carburant

6 Belges sur 10 sont de plus en plus sensibles à la politique climatique de leur emploi

« On assure la continuité du service et ça, c’est motivant »

Pâques : les Belges se sont octroyés deux fois plus de jours de congé qu'en 2020

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel