Patricia Vendramin (UCLouvain): «L’exigence des candidats reflète celle de la société»

Professeure à l’UCLouvain, Patricia Vendramin est spécialiste des mutations du travail. Son regard sur le rapport des jeunes à l’emploi dédouane ces derniers du reproche qui leur est parfois adressé d’être très exigeants avant d’accepter un emploi. « Les promesses des employeurs ont changé », assure-t-elle, de même que les conditions de travail dans la société. La question du sens semble devenue centrale. Pourquoi travaille-t-on ? C’est une question fondamentale, qui permet de comprendre une partie de l’évolution actuelle du marché de l’emploi. Quelles sont les attentes vis-à-vis du travail ? Les études démontrent qu’elles sont instrumentales (un salaire, de la sécurité), sociales (être inséré dans un collectif) et expressives (de la reconnaissance, du sens, du développement personnel). Un emploi, aujourd’hui, doit répondre à ces trois types d’attentes. Ce n’était pas le cas auparavant ? Ces trois attentes ont toujours été présentes mais, pendant longtemps, elles n’ont pu être exprimées dans leur globalité que par une partie seulement de la population. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale, avec l’émergence de la sécurité sociale et d’une forte croissance économique parallèlement à l’élévation du niveau d’éducation, qu’une part croissante de la population a pu se détacher de la seule attente instrumentale et espérer retirer de son travail davantage qu’un salaire. La jeune génération n’espère-t-elle pas davantage que les précédentes ? Les attentes des jeunes ont forcément toujours été plus élevées, parce qu’ils abordent le marché du travail avec enthousiasme, mais en ignorant la réalité de son fonctionnement. Mais leur expression n’est-elle pas plus forte dans la jeune génération actuelle ? Ce qui distingue cette génération des précédentes, c’est le rapport à l’employeur qui ne s’inscrit plus dans la durée, mais dans l’immédiateté. Auparavant, et ce fut le cas en particulier pour celles et ceux qui sont retraités ou proches de l’être, on pouvait s’inscrire dans une promesse sur le long terme : on acceptait plus facilement de renoncer à certains espoirs au départ car existait la perspective d’une carrière qui allait permettre de les rencontrer par la suite. La réalité du marché est très différente aujourd’hui : les jeunes sont davantage soumis aux stages, aux CDD, aux contrats d’intérim, certains d’entre eux ont aussi vu leurs parents contraints de renoncer à leurs ambitions en raison de la crise qui les a poussés vers le chômage. Les employeurs reçoivent-ils dès lors en quelque sorte la monnaie de leur pièce ? Je récuse l’expression car ce n’est pas le fruit d’une volonté, d’un mouvement conscient. Les entreprises fonctionnent elles aussi dans un environnement différent, qui rend plus complexe la projection dans le long terme. Tout le monde vit aujourd’hui davantage dans le présent. Autrement dit, c’est essentiellement l’évolution de la société qui justifie cette mutation du marché de l’emploi ? L’exigence des candidats est plus expressive, plus immédiate, plus cohérente aussi non seulement parce que le rapport à l’employeur a changé, mais aussi parce que la société elle-même s’est profondément transformée : l’exigence des candidats reflète celle de la société. Si un employé pouvait se permettre auparavant de ne pas être trop regardant sur l’emprise de sa vie professionnelle sur sa vie privée, c’est parce qu’il y avait une épouse à la maison qui ne travaillait pas ou dont la carrière était considérée comme complémentaire à la sienne. Et ce, dans tous les milieux : des ouvriers pouvaient se permettre de cumuler des heures supplémentaires mieux rémunérées, des chirurgiens pouvaient se permettre d’affirmer que l’hôpital était leur maison. Ce schéma est évidemment fortement bousculé aujourd’hui. Quand on travaille seul ou quand les deux partenaires travaillent sur un pied d’égalité et commencent à partager les tâches domestiques ou relatives à l’éducation des enfants, une meilleure adéquation entre vie professionnelle et vie privée est naturellement beaucoup plus activement recherchée. Quête de sens, limitation de l’emprise du boulot sur la vie privée, entre autres : ces souhaits sont-ils peu ou prou liés à un niveau de diplôme, à un type de formation ? Elles traversent, à des degrés divers, tous les types de profils, de métiers. Que l’on soit jardinier, électricien, cadre dans une multinationale ou professeur d’université, on a tous besoin de sens et de reconnaissance, d’éprouver le sentiment du travail bien fait, le sentiment d’être utile à la société. Nombre de burn-out, aujourd’hui, trouvent une partie de leur justification dans le fait de ne plus se sentir en capacité de produire ce travail bien fait et d’en être satisfait.

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