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Geneviève Damas nous écrit de Lampedusa

Geneviève Damas, écrivain et Prix Rossel 2011, écrira dès ce samedi dans « Le Soir » une chronique par jour depuis Lampedusa. Pour donner un visage, une voix et une réalité aux migrants qui y débarquent par milliers.

Editorialiste en chef Temps de lecture: 5 min

Elle est jeune, et vibrante. Elle a fait le droit mais depuis, elle a écrit des romans, des pièces de théâtre, mis en scène. Elle a gagné des prix, le Rossel et Les cinq continents de la Francophonie. C’est elle qui nous a contactés, par un mail intitulé : « Proposition ». Et ? « Mon prochain roman parle du destin d’un migrant ballotté à travers le monde, que la famille tente de rejoindre et qui va malheureusement passer à Lampedusa. J’ai une bourse pour y passer une semaine. Je voulais vous proposer de vous envoyer chaque jour, pour Le Soir, des chroniques de là-bas. »

La voilà dans la rédaction, l’écrivaine au temps long qui vient s’informer des heures de bouclage au quotidien, pour, pendant une semaine, faire battre notre lecture au rythme de cette île où arrivent ces fameux migrants. Quand ils arrivent. « C’est Patrick Poivre d’Arvor qui m’a donné l’idée. J’étais dans le jury d’un festival littéraire avec lui et à un moment, on a parlé de Lampedusa. Et il m’a dit : je ferais le JT de là-bas si j’étais toujours en charge. C’est l’endroit où l’on peut faire la radiographie du lien entre l’Europe et l’Afrique, constater l’incapacité de l’Europe et se souvenir d’où nous venons. » Tout a démarré avec cette phrase.

Avec le Prix des cinq continents de la Francophonie, Geneviève Damas a voyagé du Sénégal en Mauritanie, de la Roumanie au Québec. « A Haïti, j’ai eu un choc incroyable. 40.000 jeunes sortent de la dernière année de la classe de philo, 10.000 ont une place à l’unif, les 30.000 autres vendent des mangues au coin de la rue. Quand je leur ai demandé ce qu’ils allaient faire, ils m’ont répondu : on va devenir de la racaille. Et donc évidemment leur espoir, c’est l’Europe ! En Mauritanie, ils ont un livre par classe et ils sont 40. Une lycéenne avait eu du mal à lire mon roman, et pour cause, le prof n’avait reçu que les pages paires ! L’Europe, pour eux, c’est la seule chance de rebondir. Nous, on est les privilégiés du monde. Et nos cultures ont l’outrecuidance de penser qu’elles peuvent tirer leur épingle du jeu, sans le reste du monde. C’est faux. »

« Voir sur place »

Il y a eu PPDA, et puis un atelier d’écriture donné pour Fedasil (Agence fédérale d’accueil des demandeurs d’asile) où elle rencontre Nicolette, une fillette de 13 ans. « Je l’ai amenée un jour à la maison. Ce fut une catastrophe. Elle m’a considérée comme une blanche, et les blancs, c’est des gens qui ne pensent qu’à eux. J’ai senti cette haine du blanc, c’était un moment horrible. » Un contact avec la section « sans papiers » de la CSC l’aide à comprendre et à prendre du recul. « Je me suis dit : il faut que j’aille voir sur place ». Elle s’adresse à la SPES, une association de mécénat, pour qu’elle l’aide à se rendre à Niagara (des migrants tentent d’y franchir la frontière canado-américaine, à main nue sur le Rainbow Bridge) ou Lampedusa.

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Son travail de préparation passe par Montréal, où elle rend visite à François Crépeau, professeur à l’université McGill et rapporteur pour le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies. Il lui montre des vidéos sordides où l’on voit des gens durant la nuit, jeter les corps des morts sur les côtes libyennes. Il lui dit que les bouées sur ces bateaux ont pour but de noyer ceux qui les portent, par leur poids. Les femmes, elles, se font violer, dans les baraquements où elles attendent ce bateau vers l’Europe. « C’est la déchéance d’une civilisation ». Elle demande à Crépeau de l’aider à entrer dans le centre de réfugiés de Lampedusa. Difficile, lui répond-il, mais il suggère : « Mettez-vous sur la plage avec un parasol et une bouteille d’eau et regardez ce qui arrive. Ils sont des dizaines de milliers. Racontez-le ».

Ce jeudi, Geneviève Damas est arrivée à Lampedusa avec son bébé de 17 mois, son PC et son téléphone portables. « L’écrivain est là pour faire de l’art avec du recul, rendre compte de ce qu’on vit, pas en termes sociologiques, mais en faisant appel à l’imaginaire et à l’émotion. » Elle cite Salman Rushdie : « La littérature permet de faire des expériences sensibles, de rencontrer des gens et de nous ouvrir à la tolérance. » ; Lyonel Trouillot, écrivain et opposant haïtien : « La vie ne s’apprend que dans la littérature et c’est pour cela que les dictateurs s’y opposent » ; Rushdie encore : « La littérature rencontre nos identités multiples. » Elle s’indigne : « Nous sommes dans un monde où les identités se réduisent et s’excluent : socialistes, libéraux, riches, ouvriers. Et cela accroît les risques de conflit. La littérature amène les gens à voyager et prendre d’autres points de vue  . »

« Chute », c’est le titre du roman dont elle n’a plus que deux pages à écrire et qui paraîtra sous peu. Qu’est-ce que Lampedusa peut y changer ? « Il va sûrement valider le roman en cours. Mais on va toujours quelque part pour se préparer pour le futur. Il faut se mettre là où cela « bat », et après, l’art arrivera, ou pas. » Pourquoi y ajouter l’écriture de chroniques dans un quotidien ? « Pour essayer de donner la parole, de rendre concret. Les gens ont déjà tellement tout vu et tout oublié. Regardez Charlie Hebdo, quatre mois plus tard, qu’est-ce qui reste ? Les fouilles de Vigipirate et des généralités bien pensantes, gentillettes, qui ne font avancer personne. »

Geneviève Damas écrira donc dès ce samedi quatre mille signes par jour qui donneront naissance à son retour à une cantate dont elle écrira le texte et le compositeur Jean-Luc Fafchamps, la musique. Ses chroniques, elle va les déposer sur le papier et sur le site : « Le but est qu’ils trouvent leur destinataire. »

 

La chasse aux passeurs attend le «go» libyen

Journaliste au service Monde Temps de lecture: 3 min

Trois cents kilomètres au sud de Lampedusa : la Libye. C’est dans les eaux de ce pays, en proie au pire chaos, que l’Union européenne prévoit de mener une opération de nature militaire destinée à « briser le business model » des trafiquants d’êtres humains, parfois liés aux réseaux terroristes, que sont les passeurs de migrants. Sans vraiment l’avouer, l’opération servira aussi à tarir le flot des arrivées. Mais, pour l’heure, le projet se heurte encore à une forte résistance des Libyens. Leur « feu vert » devrait favoriser l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. Or ce texte est indispensable pour conférer la caution juridique nécessaire à cet « assaut » inédit, formellement décidé par les Vingt-Huit le 18 mai dernier et que les ministres européens espèrent toujours pouvoir lancer, « par étapes », dans une quinzaine de jours. Mardi, l’ambassadeur libyen à l’ONU Ibrahim Dabbashi assénait à l’Agence France-Presse (pour faire monter les enchères ?) : « Je pense que cette résolution n’aboutira jamais. »

Le dossier reste au cœur d’intenses tractations. Les ministres des Affaires étrangères britannique Philip Hammond et italien Paolo Gentiloni ont rejoint mercredi à Bruxelles la cheffe de la diplomatie de l’UE Federica Mogherini pour une rencontre avec leur homologue libyen Mohammed al-Dairi. Londres « tient la plume » pour la rédaction d’un projet de résolution au Conseil, où il faudra surmonter une possible opposition de Moscou. Rome est aux premières loges : l’opération navale, qui devrait mobiliser navires de guerre et appareils de reconnaissance, est placée sous le commandement du vice-amiral italien Credendino.

Ultra compliquée mais pas désespérée

La rencontre ? « Très constructive et les contacts vont continuer » dans les prochaines semaines, ont indiqué les services de Federica Mogherini. Bref : ça coince, la situation est ultra compliquée mais pas totalement désespérée pour les Européens. « Les discussions se poursuivent avec les Libyens, a ajouté hier la porte-parole pour les Affaires étrangères de l’UE, et nous les encourageons à s’accorder sur un gouvernement d’union nationale. »

Un nouveau round de négociation entre les factions en guerre en Libye s’est ouvert mercredi à Alger, sous les auspices du médiateur de l’ONU Bernardino Leon, tandis qu’une branche libyenne de « Daesh » tente de gagner du terrain. La Libye est déchirée entre un gouvernement reconnu par la communauté internationale réfugiée à Tobrouk, dans l’est, et un autre exécutif, basé à Tripoli, qui rassemble diverses milices qui ont déclaré la guerre à l’Etat islamique. La mise sur pied d’un gouvernement d’union pourrait déclencher une aide militaire internationale à la Libye. Dans un entretien au Temps, le ministre al-Dairi s’est montré confiant hier sur la formation d’un tel gouvernement dans un avenir proche. Mais Tobrouk cherche à assurer sa place face à Tripoli, joue sa carte sur le terrain diplomatique et plaide la souveraineté nationale : d’accord pour coopérer avec l’UE mais pas question, « pour l’heure, d’une intervention militaire étrangère, ni au large ni à l’intérieur du pays », affirme le ministre. Son représentant à l’ONU précise : « Tant que l’UE et d’autres pays ne s’entretiendront pas (seulement) avec le gouvernement légitime, ils n’auront pas notre accord. » « On y travaille… », réplique la porte-parole européenne.

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