#balanceTonBar: comment les bars et discothèques luttent contre les agressions

On a eu les fermetures à cause du coronnavirus, maintenant le pass sanitaire qui vide les caisses et voilà encore un nouveau choc. » Liza Miller, la patronne du Pantin, institution de la place Flagey à Ixelles, ne s’est pas encore tout à fait remise de la polémique autour d’un barman violeur officiant à deux kilomètres à vol d’oiseau de son café. Dès le départ, elle a alerté ses collègues via le groupe whatsapp qui réunit les commerçants du coin. « Il y a eu très peu de réactions, c’était noyé dans tout le reste et on ne connaissait pas encore le fond de l’affaire. » Cela n’a pas empêché la gérante d’aborder la question avec ses équipes. « Je travaille surtout avec des étudiants qui sont assez conscientisés par la problématique. J’avais déjà alerté la commune il y a plusieurs années sur le fait qu’il fallait faire quelque chose. La plupart de mes employés ont commencé à réfléchir à des affiches de prévention mais on ne veut pas non plus fustiger les femmes en disant que c’est seulement à elle de faire attention. Après nos barmans font aussi super-gaffe. Quand quelqu’un laisse son verre et sort fumer une cigarette, ils vont poser un carton dessus par réflexe. » Des pistes assez proches de ce que proposent les directions du Waff et du El Café, les deux bars incriminés par la polémique, dans un communiqué commun publié vendredi. Outre une communication claire des règles de vigilance, ils promettent d’installer des caméras sur l’espace préparation du bar, de proposer des tests antidrogue et de former les équipes sur « ce genre de situation ». Un talkie pour « Monsieur pipi » Chez Madame Moustache, à deux pas de la Grand-Place, on est déjà bien plus avancé. La gérante, Maud Partouche, assure qu’en douze ans elle n’a jamais reçu de plaintes. « On fait très attention. Si notre clientèle est à 70 % féminine, c’est parce qu’elles s’y sentent bien. » Dans cette discothèque qui dispose du label « quality night » comme la plupart des grands clubs bruxellois, tout le personnel est équipé de talkie-walkie. Même le « Monsieur pipi ». « Il est impossible qu’une fille se fasse violer dans nos toilettes », assure Maud Partouche. « S’il voit deux personnes qui entrent, il va prévenir les videurs et elles seront mises à la porte. Cela ne plaît pas à ceux qui veulent se droguer mais c’est comme ça. » Être « safe » (en sécurité) de l’entrée aux toilettes, cela passe aussi par la présence des gérants, glisse encore Maud Partouche. « Dès qu’ils s’en vont, c’est la débandade. La clientèle change. Or, si tu veux que les choses se passent bien, tu dois être là pour tenir ta barque. J’ai vu des lieux supers se dégrader très vite parce que les patrons étaient aux abonnés absents. » Une patronne, pas d’alcool À Saint-Gilles, Ludivine De magnanville passe aussi beaucoup de temps dans son bar à cocktail Jolie Joli. Elle ne juge toutefois pas nécessaire de mettre en place de nouvelles mesures suite à la polémique du Cimetière d’Ixelles. Pour elle, avoir une « patronne » aux manettes a déjà un énorme impact sur la sécurité du lieu. « J’ai du mal à penser que quelqu’un qui accepte de travailler sous les ordres d’une femme puisse commettre ce genre d’acte. Puis, je suis une ayatollah de l’alcool au travail. Je n’ai jamais de barman ivre. Ils doivent avoir une bouteille avec de la grenadine toute prête au cas où des clients leur proposent de faire des shots. Je vois bien que cela choque lors de certains entretiens d’embauche… » Celle qui est par ailleurs la seule femme administratrice de la Fédération Horeca Bruxelles veut surtout que l’on célèbre la libération de la parole. « J’ai un profond respect pour les jeunes filles qui ont mis cette situation en lumière. Elles doivent être fières. Un serveur qui aura été sensibilisé via tout ce mouvement sera plus attentif. Il faut encourager les filles à porter plainte et que cela puisse se faire très facilement. Comme on se l’est dit au moment de l’affaire Dutroux pour la pédophilie, cela ne peut plus exister. » Le taxi ? Pas si sûr Sauf qu’une partie des violences ne se passe pas dans les bars, mais à la sortie. Chez Madame Moustache, comme dans la plupart des clubs bruxellois qui disposent du label « quality night », de l’eau et des préservatifs sont proposés gratuitement. Si une personne a trop bu, elle est isolée dans la cuisine où « la lumière est très forte ». Et à sa sortie, les responsables de la sécurité n’hésitent pas à leur ordonner d’attendre avant de s’aventurer dans les rues du centre-ville, parfois à les mettre dans un taxi. Sauf que tous les sorteurs connaissent au moins une histoire de taxi malveillant. « Même moi je n’en prends plus », reconnaît Lisa Miller. « Et puis, ils peuvent aussi refuser les personnes dans cet état. » D’où cette réflexion de la patronne du Pantin : « On est responsable de l’alcool qu’on sert mais que faire d’une jeune fille totalement saoule ou droguée ? J’ai déjà des barmans qui les ont raccompagnées chez elle, mais il faudrait plutôt qu’au niveau de la commune ou des associations, on puisse avoir un point de contact. Du moins, une structure pour les accompagner. Je ne sais pas si on a le droit d’appeler la police. » « Responsabiliser les équipes » Le patron du Belga, où l’on défile nuit et jour pour danser, s’enivrer mais aussi pour bruncher, se fait plus philosophe. « La solution ne passera pas que par les bars », assure Paul De Béthume actif dans le secteur depuis trois décennies. « Ce qui s’est passé me choque mais n’est pas une surprise. Il n’y a pas non plus toujours un grand méchant face à une fille trop gentille. Rien ne changera parce qu’on met des autocollants. Cette libération de la parole m’a conforté dans l’idée qu’il faut responsabiliser ses équipes. De toute façon, si des barmans se comportent mal, cela aura un impact ne fût-ce que commercialement. » Une sorte de fatalisme contre lequel lutte justement Maïté, la jeune femme à l’origine du #balanceTonBar, sur Instagram. En plus de relayer les dizaines de témoignages qui lui parviennent sur son compte, elle a décidé d’agir dans la « vraie vie » en s’alliant avec le patron du You, encore une institution des nuits bruxelloises. Au départ, ils avaient l’ambition d’annoncer la création d’une ASBL visant à fournir des solutions concrètes aux bars et discothèques. Suite à une entrevue avec des patrons, patronnes mais aussi la représentante d’une association féministe, ils ont décidé de revoir leur copie et de voir comment ils pouvaient contribuer à des initiatives déjà lancées. Parallèlement, la commune d’Ixelles travaille avec le secteur à l’élaboration d’un protocole pour rendre l’ensemble des établissements « woman-friendly ». Reste à savoir si cette ambition ixelloise fera tache d’huile car l’insécurité des femmes la nuit (et aussi le jour…) est une réalité qui ne connaît aucune frontière.

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