Violences sexuelles: elles témoignent

« Ne parlons même pas des mains aux fesses… » Clara, 29 ans (Forest) Quand j’ai commencé à sortir, vers 15-16 ans, ma mère m’a dit deux choses : « Voilà 20 euros pour prendre un taxi pour le retour » et « Ne lâche jamais ton verre ». Dans les bars, entre copines, on vérifie que l’une ne se fasse pas coller par un « vieux mec ». Quand je vois un homme très proche d’une amie, je la regarde dans les yeux. Et je peux lire ce regard insistant : « Ne me laisse pas toute seule. » Dans ces cas, tu retournes sur la piste pour danser en récupérant ta copine. On fait ça avec des inconnues aussi. Pourquoi ? Parce qu’il y a des mecs complètement saouls qui essaient de te doigter… Tout ça parce que tu as eu le malheur de mettre une robe et que tu danses. Ça m’est arrivé, bien sûr. Ne parlons même pas des mains aux fesses. « Mon meilleur ami notait le numéro de plaque du taxi » Morgane, 30 ans (Ixelles) « A l’époque, quand je sortais, mon meilleur ami notait systématiquement le numéro de plaque du taxi que je prenais pour rentrer. Il enregistrait ça sous “ “Taxi Morgane” ” à chaque coup. Et se retrouvait parfois avec plusieurs plaques sous le même intitulé. Donc je ne suis pas sûre que s’il y avait eu un souci, on aurait un jour retrouvé le type… » « Je ne porte pas de talons pour pouvoir courir » Caroline, 30 ans (Anderlecht) Lorsque j’avais la vingtaine, je ne portais jamais de jupe ou de short pour rentrer, jamais de talons pour ne pas attirer l’attention dans la rue. Encore aujourd’hui, je préfère les chaussures plates, si jamais je dois courir. Téléphone en main, je suis prête à appeler quelqu’un en cas de mauvaise rencontre. Écouteurs dans les oreilles mais pas de musique : si je croise un homme qui m’interpelle, je peux faire semblant de ne pas l’entendre. Ça a déjà fonctionné à de nombreuses reprises. Je guette les ombres et les reflets dans les vitrines, je change de trottoir si je vois une silhouette au loin. Je préfère rentrer en taxi ou en voiture partagée. « Ils se frottaient à nous » Amélia, 33 ans (Bruxelles) Un soir, on cherchait un verre au bar avec une amie. Deux mecs étaient collés derrière nous. On pensait qu’il y avait trop de monde pour maintenir une distance normale. J’ai fini par me retourner : il n’y avait personne derrière eux. Ils se frottaient à nous (frottant leur entrejambe aux fesses des femmes, NDLR). Le reste de la soirée, je me mettais derrière mon amie, ou elle derrière moi. On a fini par se retrouver dos à dos (pour éviter de se faire frotter). On voyait ces gars se marrer. Parfois, tu es un peu naïve en soirée, et vient ce rappel à la réalité. J’ai tendance à m’énerver très vite et très fort dans ces situations. Mais aucun homme ne s’est jamais excusé. « Toujours prête à appeler un ami » Lucie, 29 ans (Bruxelles) A chaque fois que je sors dans la rue, la nuit, je demande à un de mes amis masculins d’avoir son téléphone en main au cas où j’ai besoin de l’appeler. La dernière fois, mon copain avait oublié : il n’a vu mon appel que 15 minutes plus tard, alors que j’étais dans une situation un peu bizarre. Ce jour-là, j’avais fait semblant d’être au téléphone, pour qu’on ne vienne pas me déranger. J’ai pris des cours de krav-maga. Et depuis ce moment-là, je suis vachement alerte dans la rue, toujours prête à cogner. Je me dis toujours que tout peut arriver. Je me suis déjà fait suivre en rentrant… « Je prends une démarche d’homme » Lili, 36 ans (Marseille) Quand je rentre chez moi, je prends une démarche d’homme et je tiens mes clés entre mes doigts, comme un coup-de-poing américain. Et je surveille toujours mes copines, quitte à être lourde et trop maternante. Mais bon, finalement, c’est souvent moi qui finis la plus saoule (peut-être parce que mon conjoint est avec moi). « Je couvre toujours mon verre » Florence, 35 ans (Bruxelles) J’ai souvent en tête la technique de ma mère : toujours tenir son verre par au-dessus de sorte qu’il soit couvert. Quand je veux vraiment faire la fête et un peu « trop boire », c’est uniquement bien entourée par des amis. Je checke mon application Uber avant le début de soirée pour pouvoir l’utiliser sans que ça ne pose question quand je veux rentrer (numéro de carte, mise à jour faite). Ça demande aussi d’avoir de la batterie… « Mon père vient me chercher à la sortie du Carré » Jeanne, 24 ans (Liège) Dans le Carré à Liège, mon père vient toujours me chercher juste à l’extérieur du Carré (boulevard d’Avroy). Il stationne pour éviter que je fasse un trop long trajet en dehors du Carré. Dès que j’ai commencé à sortir, mes parents me disaient « ne fais pas ce trajet de 200 mètres toute seule ». Je devais demander parfois à des copines de me raccompagner, et les quelques fois où j’ai dû le faire seule, je marchais très vite, je me retournais pour voir s’il n’y avait pas un mec bizarre, et si quelqu’un approchait, je faisais semblant de téléphoner. Avec les derniers témoignages, je fais encore plus attention à mon verre qu’avant. Si je ne me sens pas en sécurité parce que quelqu’un est derrière moi, je m’arrête et j’attends qu’il me dépasse. Avec des amies en soirée, on essaye de ne pas en laisser une seule, et si l’une s’éloigne, on essaye de la retrouver. Quand une amie part seule ou rentre, je lui demande de m’envoyer un petit message quand elle est bien arrivée. Quand on nous a tellement ancré dans la tête de faire attention, tu deviens parano ! « Les mecs te collent et se frottent à toi » Madeleine, 35 ans (Bruxelles) A force d’être agressée, j’ai pris des cours d’autodéfense verbale et physique. Ça permet d’avoir confiance en soi et de savoir comment réagir. Mais malgré tout, je ne sors plus vraiment en boîte, sur les pistes et au bar, les mecs te collent et se frottent à toi, baladent leurs mains sur tes fesses. Je préfère les petits cafés, où on reste assis. Et, comme toutes les filles je pense, j’ai les techniques habituelles : surveiller son verre, ses affaires, ne pas aller aux toilettes seules, rentrer avec une copine ou prévenir les amis que je suis bien rentrée, veiller sur les autres filles, même celles que je ne connais pas en soirée… Je ne les vois même pas comme des techniques en fait : ça me semble malheureusement être « la base » pour éviter quelque chose. Les mecs qui se masturbent en rue sur ton chemin de retour, ou qui insistent tellement pour te ramener puis qui t’insultent, j’en peux plus ! « Des sales histoires, on en a plein » Lorraine, 27 ans (Bruxelles) J’ai fait un malaise dans une boîte à 17 ans, les sorteurs m’ont dit que je faisais un coma éthylique. Je venais d’arriver et j’avais bu un verre… Je n’ai jamais compris. Maintenant avec tous ces témoignages je me demande si je n’ai pas été droguée… Mais même sans cet incident, des sales histoires mes copines et moi on en a plein : les types qui te suivent jusqu’aux toilettes, ce sont les pires ! On fait aussi attention aux filles qu’on ne connaît pas pour voir si elles ont besoin qu’on intervienne. On fait hyper gaffe sur le chemin du retour aussi, toujours rentrer avec ses colocs, tant pis si tu veux rester plus tard à la soirée ! Les seules fois où je me lâche vraiment pour faire la fête, maintenant, c’est chez moi ou chez des amis et que je reste dormir.

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