Adélaïde Blavier: «Le suivi psychologique des victimes doit être mieux structuré»

Professeure à l’ULiège, Adélaïde Blavier est spécialisée dans les psycho-traumatismes. Exceptionnel par son ampleur et la persistance de ses effets dans le temps, le traumatisme psychologique généré par les inondations rend indispensable à ses yeux la création d’une approche plus structurée. « La France est beaucoup mieux organisée », assure-t-elle. En quoi les inondations ont-elles créé une situation exceptionnelle, sur le plan psychologique ? D’abord, en raison du nombre de victimes, qui est d’une ampleur inédite. Certaines d’entre elles, bien qu’étant en détresse psychologique, n’ont peut-être pas encore été identifiées en tant que telles, ce qui est différent des attentats de Bruxelles par exemple puisque nous parlons ici de dizaines de milliers de personnes. L’événement est aussi exceptionnel en raison de sa durée. Lors d’un événement traumatisant, les victimes plongent dans les semaines qui suivent dans un stress aigu, qui peut éventuellement générer un stress post-traumatique par la suite : cette séquence est connue, et nous savons comment la gérer. Dans le cas des inondations, un grand nombre de victimes ne sont pas encore sorties de l’urgence matérielle, restant plongées dans les travaux, l’incertitude sur l’avenir : le temps s’est étiré, de sorte que certaines victimes ne commencent à se préoccuper de leur détresse psychologique que maintenant, d’autres n’étant pas encore en mesure de le faire. On n’a donc pas encore d’idée du nombre de personnes qui devraient être aidées ? Non, car toutes les victimes ne se sont pas encore manifestées en dépit des nombreux psychologues qui restent actifs sur le terrain. C’est parfois par le biais d’une direction d’école, par exemple, qu’on en arrive encore à découvrir que des parents sont en détresse, bien davantage que leurs enfants qui ont retrouvé un cadre, des amis, une forme de sécurité. C’est ce qui nous a conduits à lancer avec l’UCLouvain une vaste enquête auprès des sinistrés, afin de tenter d’objectiver l’ampleur du traumatisme et des besoins. Comment la détresse se manifeste-t-elle ? Le sentiment de perte de sécurité est traumatisant, de même que celui d’impuissance. L’être humain a besoin de contrôle, de vivre dans un monde prévisible, ce qui pour certaines victimes est encore impossible en raison des incertitudes qui perdurent, et génère chez elles beaucoup d’anxiété. Beaucoup de victimes revivent aussi le traumatisme sous la forme de cauchemars, de flashbacks, par le biais d’événements en principe anodins comme voir la pluie tomber par exemple. Certaines personnes n’osent plus retourner dans leur cave, voire dans leur maison, ou témoignent d’une hyper-émotivité. Quels sont les risques à long terme ? Un stress post-traumatique peut générer des conséquences très lourdes. Des personnes peuvent s’enfermer dans des stratégies d’évitement qui les conduisent à se couper de toute vie sociale, d’autres sont victimes d’anhédonie, ne ressentent plus le plaisir qu’elles éprouvaient auparavant, d’autres encore deviennent hyper-méfiantes, ou deviennent dépressives voire songent au suicide. La reprise du travail est parfois très compliquée, des couples peuvent en arriver à se séparer en raison de ce changement de personnalité. Il existe en outre des facteurs aggravants, comme la fragilité socio-économique, comme l’existence ou non d’un réseau social riche et diversifié, comme aussi l’émergence d’un éventuel traumatisme secondaire sous la forme d’un sentiment d’injustice vis-à-vis de la société, si la victime ne se sent pas reconnue et aidée en tant que telle. Le suivi psychologique s’est organisé dans l’urgence. Faut-il davantage le structurer ? Force est de constater que, si les bonnes volontés se sont manifestées rapidement, le soutien psychologique s’est effectivement organisé de manière informelle : il n’y a pas de plan d’urgence, pas de structure identifiée en tant que telle même si nos réseaux ont très bien fonctionné. La France est beaucoup plus avancée sur le plan, ayant mis en place des cellules d’urgence psychologique comprenant des personnes qui sont spécifiquement formées à la prise en charge des psycho-traumatismes. Le dédommagement est aussi mieux organisé chez nos voisins, des indemnités financières étant rapidement débloquées au profit des victimes, ce qui leur permet de se libérer de certaines contraintes matérielles et d’éprouver le sentiment, très important, d’être d’emblée reconnues en tant que telles.

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