François Ost: «Il y a une menace de ségrégation plutôt qu’une ségrégation avérée»

La perspective d’une vaccination obligatoire pour les soignants a fait bondir des syndicats belges, qui appellent au débrayage. Ailleurs en Europe, en Autriche, un confinement pour les non-vaccinés, suivi quelques jours plus tard par une généralisation à toute la population et de l’obligation de se vacciner, creuse un fossé dans la population. [scald=28671649:sdl_editor_representation] Cet automne de reprise épidémique pousse les gouvernements européens à reprendre des mesures de restriction. Les Belges, comme les Européens, ont désormais l’habitude de ces mesures sanitaires, qui restreignent les libertés individuelles pour pouvoir sauver des vies face au covid. Entre confinement, couvre-feu, pass sanitaire, obligation vaccinale et confinement différencié, faut-il s’inquiéter pour les libertés publiques ? Le Soir a posé la question à François Ost, juriste et philosophe, professeur émérite à l’université Saint-Louis (1). Il est également l’auteur de De quoi le covid est-il le nom ? Une partie des personnes qui ne souhaitent pas se faire vacciner parle de ségrégation, notamment en parlant du confinement des non-vaccinés en Autriche. Pensez-vous que ce terme est approprié ? Je dirais qu’il s’agit plutôt d’une menace que d’une réalité avérée. En matière de libertés publiques, tout est question de mesures d’équilibre, de caractère temporaire, sélectif. En vue de réduire la propagation du virus, les gouvernements, sans jamais imposer absolument la vaccination, ont multiplié les mesures incitatives. Le pass sanitaire qui conditionne l’accès à énormément d’activités et donc l’exercice de beaucoup de libertés, est un incitant très fort. On peut penser qu’une forme de ligne rouge est franchie à partir du moment où, comme en Autriche, on confine une partie de la population. On ne l’a pas franchie chez nous. Peut-être peut-on craindre que, les pays s’inspirant les uns des autres, cela donne des idées à certains. [scald=28671671:sdl_editor_representation] Quand un pays fait tomber un tabou (comme la vaccination obligatoire ou le pass sanitaire), les autres suivent-ils ? Il y a un effet de contagion ou d’imitation. Mais on peut aussi s’inspirer des bonnes pratiques. Au début de la pandémie, l’Allemagne, par exemple, avait un système de santé public plus robuste, notamment parce qu’elle disposait de systèmes de traçage qui a permis des confinements plus sélectifs. Et pour regarder un peu plus loin que l’Europe, des pays démocratiques comme Taïwan ou la Corée du Sud s’en sont fort bien sortis parce qu’elle s’était mieux préparé. On peut prévenir mieux les prochaines épidémies. Comment analysez-vous le chemin pris depuis deux ans ? Il faut essayer d’éviter de durcir l’opposition entre des pôles irréconciliables avec l’individu d’un côté, qui se retranche derrière sa liberté avec un grand L, et la société, le pouvoir ou le système d’un autre, qui serait totalitaire par peur, par nature ou par vocation. La vie sociale implique une dialectique entre ces deux pôles. On dit souvent : « Ma liberté s’arrête là où commence celle des autres. » Je pense que c’est une expression individualiste d’un monde qui exacerbe l’individualisme et je penserais plutôt à cette formule l’idée : « Ma liberté s’accroît avec celle des autres. » Je ne peux pas être libre tout seul. L’exercice de ma liberté se doit d’être responsable. Les termes du débat, c’est l’accommodement des libertés individuelles aux responsabilités sociales. Du côté du pouvoir, il s’agit de faire adopter des mesures les moins restrictives possible. Et surtout, en soumettre l’application à discussion et aux tribunaux de faire leur travail de contrôle. Du côté des individus qui, à juste titre, réclament la protection de la liberté individuelle, il s’agit de s’accommoder de restrictions nécessaires à la protection de la santé d’autrui. [scald=28671672:sdl_editor_representation] L’argument de l’urgence était audible au début de l’épidémie. Mais est-il toujours valable près de deux ans plus tard ? Il a vieilli. Il devient évident pour tout le monde qu’il faudra vivre avec le virus. Eradiquer complètement le virus est une illusion dont il faut faire le deuil. C’est bien pour cela qu’il était nécessaire d’adopter une loi pandémie qui améliore quelque peu les garanties démocratiques. Le grand danger de l’urgence, c’est qu’on durcit l’arsenal de répression pénale en invoquant des circonstances exceptionnelles, comme lors des attentats terroristes. Au fur et à mesure des mois, ces mesures s’intègrent dans l’arsenal classique du droit pénal et deviennent pérennes. [scald=28671670:sdl_editor_representation] A-t-on déjà vu des régimes démocratiques aller aussi loin dans des mesures de restriction de libertés et revenir en arrière ? Vous connaissez peut-être cette boutade : « Les libertés, c’est comme le dentifrice. Une fois qu’il sort du tube, il ne revient plus jamais à l’intérieur. » Quand la situation se normalisera, gestes barrières, confinement, passes sanitaires seront levés. Mais ces mesures sont rodées et figurent en bonne place dans notre arsenal législatif. A la prochaine crise ou pandémie, on les ressortira. Avec d’autres constitutionnalistes, je plaide pour une révision de l’article 187 de notre Constitution. Il interdit que la Loi fondamentale soit suspendue en tout ou en partie. On fait comme si l’État de droit était pérenne et on considère par exemple que les mesures prises en 2020-2021 au fond, ne portaient pas atteinte à l’État de droit. Je crois que c’est une pieuse hypocrisie. On ferait mieux d’accepter que la Constitution puisse être suspendue en partie à condition que cette opération s’opère au grand jour. La Convention européenne des droits de l’homme prévoit dans son article 15 une hypothèse : le danger public menaçant la vie de la nation. Et elle prévoit précisément un régime d’exception, mais encadré. Il interdit de porter atteinte à certains droits fondamentaux, et les atteintes qu’il tolère sont strictement limitées, nécessaires et surtout temporaires. (1) François Ost est également président de la Fondation pour les générations futures

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