Loi Travail: le choc de deux mensonges

En Autriche, à l’issue de l’élection présidentielle, les électeurs ont éliminé, dès le premier tour, et la droite libérale et la gauche social-démocrate. En Italie, pour l’élection du maire de Rome, droite conservatrice et centre-gauche ont été pareillement exclus. Aux Etats-Unis, on assiste à un phénomène semblable : les establishments républicains et démocrates sont battus en brèche. Il ne fait aucun doute que si l’occasion leur en était donnée, si le système institutionnel et électoral le leur permettait, les Français réagiraient de la même manière : en précipitant la gauche social-démocrate aux oubliettes tout en envoyant promener la droite conservatrice libérale. Les enquêtes d’opinion en font d’ailleurs foi : l’une attribuait 13 % des suffrages à une candidature François Hollande contre Alain Juppé et une autre 18 % à une candidature Nicolas Sarkozy contre Emmanuel Macron. Mais nos institutions sont ce qu’elles sont. Et, face à une gauche socialiste dont les Français ne veulent plus, elles permettent à une droite dont les Français ne veulent pas non plus de caresser tous les espoirs. Des acquis sociaux démantelés Cette situation, assez irréelle en soi, en suscite une autre encore plus extravagante : le gouvernement dit «socialiste», celui de Manuel Valls, est désormais doublement minoritaire : en France en général et à gauche en particulier. Pourquoi ? Entre autres raisons, parce qu’il a fait voter une loi «Travail» que rejette une majorité des Français et tout particulièrement ceux qui ont élu François Hollande. Ce que reprochent à cette loi, malgré certains adoucissements, les Français en général et plus spécifiquement les Français de gauche ? De démanteler les acquis sociaux pour répondre aux exigences du patronat, c’est-à-dire de sacrifier aux dogmes libéraux. Première absurdité : alors que les manifestants se déchaînent dans la rue contre une régression qui nous ramènerait, disent-ils, au XIXe siècle, la droite, elle, vote contre ce qu’elle devrait approuver, en arguant que, dans cette fameuse loi, il n’y a strictement rien. Le vide ! Comme si les deux fractions rivales ne vivaient pas dans le même monde. Qui dit vrai ? Personne. Les deux camps mentent de façon éhontée. D’un côté cette loi, après amendements, et telle que les syndicats réformistes l’ont avalisée, ne revêt absolument pas le caractère radicalement régressif et ultralibéral que dénonce la gauche de la gauche ; mais, de l’autre, elle contient effectivement des mesures d’assouplissement du marché du travail (la possibilité de faire prévaloir un accord d’entreprise sur un accord de branche, évolution considérable) que la droite n’avait cessé de préconiser sans jamais oser s’y risquer. Outrances et insanités Rien n’illustre mieux la schizophrénie qui affecte notre vie politique que le choc de ces deux mensonges. A gauche les outrances extravagantes et paroxystiques scandées par les manifestants chauffés à blanc de « Nuit debout » et, à droite, les insanités proférées à la tribune de l’Assemblée par l’orateur du parti sarkozyste, Christian Jacob, l’un des hommes les plus bêtes, il est vrai, qui ait jamais illustré notre vie parlementaire. Mais cette première aberration en dissimule une seconde, beaucoup plus énorme et beaucoup plus conséquente. Les Français se déclarent donc majoritairement hostiles à une loi concoctée par le gouvernement PS de Manuel Valls, mais jugée d’inspiration outrageusement libérale. En cela ils partagent l’opinion de la gauche de la gauche. En conséquence de cette cassure, désormais irréparable, au sein de la mouvance socialiste, la droite a toutes les chances de gagner les prochaines élections présidentielles, et plus encore législatives. Or que proposent, en cas de victoire, tous les représentants de cette droite ? De mener, tambour battant, une politique dix fois plus radicalement libérale que celle qu’a esquissée prudemment le gouvernement Valls et, pour le coup, de remettre brutalement en cause des acquis sociaux qui nous ferait revenir, non pas au XIXe siècle, mais quasiment à la période d’avant-guerre. En particulier : forte réduction des impôts pour les plus riches ainsi que les charges des entreprises, augmentation du temps de travail, moindre rétribution des heures supplémentaires, allocations-chômage devenues dégressives, réduction drastique du nombre de fonctionnaires, retraite à 65 ans ou plus, 100 milliards de nouvelles réductions de dépenses publiques, facilitation des procédures de licenciement, etc. Une aubaine Ainsi l’électorat de gauche pourrait découvrir qu’il risque d’y avoir pire que la trahison de Hollande : que la droite, elle, ne trahisse pas et tienne ses promesses. Au fond, pour la gauche de la gauche, l’accession au pouvoir de cette droite-là serait une véritable aubaine : aujourd’hui, les manifestations de rue, pour violentes qu’elles soient, sont des échecs. Demain, elles pourraient redevenir un must. Et, à l’extrême gauche, c’est ce que beaucoup souhaitent.

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