Le maître du crime

Bienvenue à notre nouveau chroniqueur : Jacques Pradel rejoint « Soir mag ». Il déborde de projets. Journaliste d’investigation, écrivain, animateur, homme de radio et de télé, Jacques Pradel ne tient pas compte de ses 74 ans. Il reste passionné par l’aventure humaine, notamment quand elle dérape. Il est venu à Bruxelles boucler ses premiers enregistrements pour RTL-TVI. Nous en avons profité pour évoquer avec lui ses multiples activités avant de le retrouver dans les pages du magazine pour des histoires vécues à frémir debout ! [scald=28681445:sdl_editor_representation] Vous avez raconté de nombreux crimes à l’antenne : qu’est-ce qu’ils vous ont appris sur la nature humaine ? D’abord qu’elle est imprévisible. En cas de crime, quand on interroge les proches, les voisins, les collègues de travail, même la famille, on entend parler d’un être « normal », d’un bon copain, d’un employé modèle. Puis on découvre des failles, comme dans toutes les vies. Ce qui m’intéresse dans ces crimes de Monsieur et Madame Tout-le-monde – je ne parle pas de la criminalité organisée – c’est le mystère du passage à l’acte. Que se passe-t-il dans la vie d’une personne pour qu’un jour elle franchisse la ligne jaune ? Heureusement, la majorité d’entre nous n’outrepassent jamais cette limite, même si on a tous eu parfois des envies de meurtre ou de faire passer X ou Y par la fenêtre. À l’occasion, certains ne trouvent pas d’autre solution que de supprimer le responsable de leur problème. Les enquêtes ne donnent pas toujours toutes les réponses, même avec des aveux et un procès. On parle de la vérité judiciaire mais il reste toujours une petite zone d’ombre jamais éclairée à 100 %. Cet angle-là m’intéresse particulièrement. Vous avez cinquante ans de carrière dans différents médias : quel est votre carburant ? La passion ! La curiosité. Le plaisir de toucher le public. J’ai commencé à la radio, qui demeure essentielle pour moi. J’aurais du mal à m’en passer. J’ai arrêté « L’heure du crime » il y a un an sur RTL après une décennie d’émissions. Je continue mes « Chroniques criminelles » sur TFX, une chaîne du groupe TF1. Avec « Histoires de familles », RTL-TVI me fait maintenant un cadeau formidable en m’accueillant chaque semaine dans l’équipe de Sabrina Jacobs. Je peux enfin dire ce que je pense de telle ou telle affaire. Je ne me contente pas de décrypter. Il m’a rarement été donné de pouvoir le faire. Pour les téléspectateurs belges, vous restez l’animateur de « Perdu de vue » et de « Témoin numéro 1 » dans les années 90 : un succès écrasant. Comment l’avez-vous vécu, et notamment ce procès en impudeur ? Jusque-là, j’exerçais tranquillement mon métier de journaliste. J’étais content d’apprendre que mon boulot était apprécié par beaucoup. Mais là, une notoriété énorme m’est tombée dessus. Je ne veux pas faire pleurer dans les chaumières, mais quand je lisais les réactions sur « Perdu de vue », j’avais l’impression qu’on parlait de quelqu’un d’autre. Tout le monde se lâche : certains vous adorent, d’autres vous détestent. Il faut s’habituer. Heureusement, j’ai le cuir un peu épais. J’accepte par principe les réactions négatives du public. J’essaie de m’en servir pour évoluer. J’avais le sentiment de ne plus m’appartenir, que tout le monde avait un avis sur ce que je faisais. Ce n’est pas un drame, non plus. Parfois, on tombait dans l’excès. Ces réactions étaient normales car on parlait d’affaires de famille. Qui peut rester insensible à la disparition d’une personne, de son plein gré ou pas, de façon inquiétante avec un crime à la clé ? Certains s’évaporent sans raison apparente. Leur absence pèse sur les proches. Or, nous avions besoin du public pour glaner des informations ou des pistes pour retrouver la personne. Je partais du principe qu’il fallait parler des victimes, donc en passer par l’émotion, par un portrait. Les larmes venaient. Tout cela donnait de l’épaisseur au personnage avec son passé et son profil. Le système de l’émission reposait sur une circulation importante d’émotions. Malgré les critiques parfois violentes, je n’ai pas changé ma manière de faire. On touchait des zones sensibles, en réveillant pas mal de douleurs, refoulées ou pas. L’année prochaine, sur scène Tout ce matériau va-t-il déboucher sur des Mémoires ? C’est en route. Je prépare un livre pour la rentrée d’automne 2022 avec les éditions « Les Arènes ». On me demande de raconter ma vie. J’ai d’abord refusé pour le côté nécrologique. Je me dévoile un peu. Ce livre sera une addition de moments. Je n’ai pas le titre. Quand je regarde dans le rétroviseur, je constate une certaine cohérence. Quand j’avais 18 ans, je voulais devenir comédien. Mes parents prônaient les diplômes d’abord. Et voilà : l’année prochaine, je vais monter sur scène pour raconter mon parcours dans un dialogue avec le public, comme l’ont fait d’autres animateurs avant moi. La boucle sera bouclée. Ma vie a été une succession d’heureux hasards, comme cette nouvelle page sur RTL-TVI. Pour le reste, je ne me regarde jamais à l’antenne sauf pour des questions professionnelles. Mais restons lucides : ce n’est jamais qu’un parcours de journaliste. Vous écrivez depuis la Corse. Vous êtes comme Stéphane Bern qui n’aime plus Paris ? J’ai quitté Paris il y a une dizaine d’années parce que ma compagne est corse. Je voulais desserrer l’étau. Mes activités étaient très prenantes et je voulais changer de rythme. On est installé dans un village de moyenne montagne, sur la côte orientale, près d’Aléria. Je fréquente l’île depuis les années 70. L’héritier de Bellemare, le maître du récit Vous vous êtes mis aux podcasts : pourquoi ? TF1 a eu cette idée pendant le confinement. Les gens regardaient beaucoup la télé pour s’informer. TFX m’a proposé ces podcasts à partir des émissions de télé. Ça marche très bien. J’ai un autre projet avec Sébastien Cauet. Lundi, j’ai enregistré pour lui un premier podcast. Il s’agit de mini-séries autour d’affaires criminelles ou de faits divers. Le premier, de 20 minutes, traite d’un hold-up dans le ciel, en 1970, aux États-Unis. Un gars est monté dans un avion d’une ligne régionale, muni d’une bombe dans sa mallette. Il a mis le marché en main : on se pose, je veux 200.000 dollars et deux parachutes. Il était très ferme et la compagnie a décidé de ne pas prendre de risque. Elle accède à sa demande. L’avion redécolle sans passagers. Le type connaissait bien l’aéronautique et a sauté en vol au-dessus d’une région très montagneuse et isolée. On ne l’a jamais retrouvé, ni la rançon. Au fond, la vie regorge d’histoires extraordinaires, vous êtes le nouveau Pierre Bellemare ! En fait, je dirige depuis un an une petite collection aux Éditions JPO. On publie régulièrement des histoires que je commande à des avocats, des gendarmes ou des magistrats. On décrypte des affaires criminelles avec des gens qui ont participé à l’enquête. On vient de sortir le 6e volume, « Les fiancés de Fontainebleau, la faillite de la Justice », sur un double meurtre non élucidé. J’y demande dans une lettre ouverte au ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, l’imprescriptibilité des crimes de sang au nom des familles condamnées « au chagrin à perpétuité ». J’ai eu le privilège de bien connaître Pierre Bellemare. À l’inverse de moi, il n’a jamais mené d’enquêtes lui-même mais il possédait un formidable talent de conteur. Il demeure une icône absolue, comme Alain Decaux. Je les ai croisés tous les deux. Ce sont de grands maîtres. « Dossiers criminels », chaque lundi, à 20h15, sur AB3.

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