Vers une université exempte de (cyber)violences basées sur le genre
Les cyberviolences affectent les femmes académiques de tous domaines d’expertise confondus. Il faut se donner les moyens de combattre ce fléau, plaide un vaste collectif d’universitaires.

Pour qui vous prenez-vous ? »
« Grosse pétasse ridicule »
C’est avec ces mots que, trop souvent, le grand public accueille l’expertise des femmes académiques. Des mots transmis par mails ou via les réseaux sociaux. Des mots destinés, consciemment ou inconsciemment, à leur rappeler ce qui est considéré comme leur juste place : hors de la sphère publique. Car non, l’université n’est pas épargnée par le fléau des cyberviolences sexistes.
Oui, les hommes aussi sont concernés par les cyberviolences. Mais moins. Selon le European Women’s Lobby, les femmes risquent 27 fois plus que les hommes d’être harcelées en ligne. Chez nous, d’après la commission Jeunesse du Conseil des femmes francophones de Belgique, 90 % des victimes de cyberviolences sont des femmes.
Oui, les hommes aussi sont concernés par les cyberviolences, mais différemment. Des hommes académiques reçoivent parfois, eux aussi, des messages désagréables, voire des menaces, suite à leurs interventions dans la presse. Mais leurs compétences ne sont pas systématiquement mises en doute en raison de leur genre. Et ce même dans des cas où ils défendent sur des plateaux télé les mêmes idées que leurs consœurs sur les mêmes sujets. Prenons par exemple la vaccination des jeunes contre le covid. On leur dit : « Comment est-ce possible que des gens aussi responsables et qualifiés que vous en arrivent à de telles idées ? ». On ne leur dit pas : « Pour qui vous prenez-vous ? ». On leur dit : « Où est passée votre lucidité ? ». On ne leur dit pas : « J’ai honte pour vous ». Et ce qu’on ne leur dit surtout pas, en guise d’argument contre la vaccination des jeunes, c’est : « Avez-vous des enfants ? ». Cette question étant bien évidemment réservée aux expertes.
Un message très clair
Quand elle se limite à quelques commentaires isolés, et hors insultes ouvertement sexistes, la différence genrée semble subtile, certes. Mais le message qui se dessine en filigrane est très clair. Il dit : « Vous n’êtes pas à votre place ». Il sous-entend : « Parce que vous êtes une femme ». Et dans le cas d’une origine ethnique réelle ou supposée, dans ce traitement différencié vient s’imbriquer la violence raciste : « Retournez dans votre pays », litanie familière également pour de nombreux hommes issus des minorités. À chaque système d’oppression ses variantes.
Si les cyberviolences affectent les femmes académiques de tous domaines d’expertise confondus, elles sont encore plus prononcées dans deux cas de figure : quand le domaine d’expertise concerné est traditionnellement considéré comme « masculin » : la finance, l’énergie, la politique… Et quand le domaine d’expertise a trait à des questions sensibles, comme le genre et/ou d’autres rapports d’oppression, tels que le racisme ou l’homophobie.
Des étudiantes en font également les frais. Certaines se font harceler sexuellement via Teams dans le cadre d’un travail de groupe. D’autres découvrent avec effroi la diffusion de leur photo dans des groupes Facebook au nom racoleur.
Indépendamment du travail réalisé par les professeures d’université, les chercheuses, les membres de kot-à-projet dans le cadre de leur mission de service à la société, toutes les femmes sont exposées à diverses formes de cyberviolences : des myriades de micro-agressions mettant en doute leur expertise aux « comptes fisha » (dédiés à la publication de photos intimes reçues ou volées, dans tous les cas sans le consentement de la personne exposée), en passant par le revenge-porn, toutes, elles subissent les affres dues à une utilisation des nouvelles technologies à des fins de domination. Ces cyberviolences ne sont pas une réalité parallèle ; elles s’articulent aux violences sexistes dans le monde réel vécues quotidiennement.
Elargir le spectre de la loi contre le sexisme
Le 22 mai 2014, la loi contre le sexisme dans l’espace public est entrée en vigueur en Belgique. Elle condamne et sanctionne toutes les formes de harcèlement sexuel (en ce compris de rue) commis dans les lieux publics. Comme le rappelle l’
Les recherches menées dans les universités alimentent le travail des organes officiels devant légiférer sur ces questions. Mais les universités doivent également renforcer les ressources à disposition des citoyen·nes victimes de cyberharcèlement. Cela implique notamment de former aussi largement que possible les personnes impliquées dans leurs cursus, mais aussi en mettant à disposition de leurs membres les ressources internes susceptibles de les accompagner juridiquement sur la voie de la dénonciation de ces faits minimisés ET en leur proposant des accompagnements internes pour les écouter, soutenir et permettre de continuer à exercer « leurs missions de base ».
Par cette carte blanche, nous souhaitons rappeler que la lutte contre les violences ne peut être que collective. Vous qui vous apprêtez à rédiger un commentaire dénigrant sur les réseaux sociaux, vous qui likez ou partagez ce même commentaire, vous qui êtes sur le point de diffuser des photos intimes de votre ex : abstenez-vous. Vous qui voyez votre collègue de travail ou de cours se décomposer, ne minimisez pas les violences qu’elle subit et encouragez-la à s’adresser aux services compétents. Vous qui subissez ces comportements : vous n’êtes en aucun cas responsable de ce qui vous arrive et vous n’êtes pas seule. C’est ensemble que nous construirons une université sûre pour toutes et tous.
* Liste complète des signataires :
Sara Aguirre, chercheuse (ULB) ; Aurélie Aromatario, doctorante (ULB) ; Diane Bernard, Professeure (USL-B) ; Catherine Bourgeois, Chercheure au Groupe de recherche sur l’action publique et Striges (ULB) ; Caroline Closon, Professeure (ULB) ; Gily Coene, Professeure en éthique et philosophie et Présidente du centre de recherche RHEA sur le genre et la diversité (VUB) ; Anne-Sophie Crosetti, collaboratrice scientifique FNRS (ULB) ; Véronique Bragard, professeure (UCLouvain) ; Florence Caeymaex, philosophe, chercheuse FNRS (ULiège) ; Annalisa Casini, Chargée de cours (UCLouvain) et Coprésidente de Sophia, réseau belge des études de genre ; Natacha Chetcuti-Osorovitz, Sociologue, ENS Paris-Saclay (France) ; Mona Claro, Chargée de cours en sociologie (ULG) ; Anne-Sophie Collard, Professeure (UNamur) ; Florence Degavre, Professeure (UCLouvain) ; Elise Degrave, Professeure (UNamur) ; Chloé Deligne, Historienne, Chercheuse qualifiée du FNRS/ULB ; Sarah Demart, sociologue, Observatoire du sida et des sexualités, Striges (ULB) ; Marie Deridder, MSCA fellow et chercheure associée (UCLouvain) ; Sandrine Detandt, Professeure et directrice de l’Observatoire du sida et des sexualités (ULB) ; Marie-Sophie Devresse, Professeure (UCLouvain) ; Valérie Dufour, Maître de recherche FNRS et professeure (ULB) ; Marie-Laure Fauconnier, Professeure ordinaire (ULiège) ; Isabelle Ferreras, Maitre de recherche FNRS et Professeure (UCLouvain) ; Aurore François, professeure (UCLouvain) ; Asuncion Fresnoza-Flot, Chercheure qualifiée FNRS, LAMC (ULB) ; Nathalie Frogneux Professeure ordinaire (UCLouvain) ; Chiara Giordano, chercheuse (ULB) ; Caroline Glorie, Collaboratrice scientifique (ULiège) et administratrice de l'asbl Sophia ; Gloria González Fuster, Professeure chercheuse (VUB) ; Nathalie Grandjean, philosophe, Chargée de recherche FNRS (Université de Saint-Louis) et administratrice de Sophia, réseau belge des études de genre ; Pauline Grippa, doctorante (ULB) ; Agnès Guiderdoni, Professeure, Maître de recherche FNRS (UCLouvain) ; Maud Hagelstein, chercheuse FNRS (ULiege) ; Dr Marion Hallet, Collaboratrice scientifique, Film Studies (UNamur) ; Chloé Harmel, assistante en droit (UCLouvain) ; Julie Henry, doctorante en informatique (UNamur) ; Marie Jadoul, doctorante au Crid&p (UCLouvain) ; Coline Leclercq, Attachée au genre et à la diversité (UNamur) ; Andreia Lemaître, Professeure (UCLouvain) ; Sophie Lucas, Professeure ordinaire (UCLouvain) ; Berengere Marques-Pereira, Professeure invitée (ULB) ; Claire Martinus, Chargée de cours (UMons) ; Jacinthe Mazzocchetti, professeure (UCLouvain) ; Emmanuelle Mélan, Chargée de projets (UCLouvain) ; Lise Ménalque, doctorante (ULB) ; Carine Michiels, Vice-rectrice à la recherche (UNamur) ; Moïra Mikolajczak, Professeure (UCLouvain) ; Julie Minders, Doctorante au Germe (ULB) ; Astrid Modera, assistante et doctorante (UNamur) ; Emilie Moget, Chargée de cours invitée (UCLouvain) ; Maria Moreno, Référente Direction des affaires académiques (ARES) ; Justine Muller, assistante (UCLouvain) ; Sarah O'Neill, Professeure (ULB) ; Isabelle Ost, Professeure (USL-B) ; Nouria Ouali, professeure (ULB, Faculté de Philosophie et Sciences Sociales) ; Charlotte Pezeril, anthropologue (ULB) ; Valérie Piette, Doyenne de la Faculté de Philosophie et Sciences sociales et Professeure (ULB) ; Eva Pigeon, Co-présidente de l'Assemblée Générale des étudiant
Pour poster un commentaire, merci de vous identifier.
Vous n’avez pas de compte ? Créez-le gratuitement ci-dessous :
S'identifier Créer un compteQuelques règles de bonne conduite avant de réagir1 Commentaire
Étonnamment, pas de commentaires sexistes dans cet partie du journal. L article semble produire son effet.