Les immeubles Damseaux placés en offshore

A force de monter des sociétés-écrans, cela devait arriver un jour : en mars 2014, la société luxembourgeoise Experta, qui a créé plus de 1.600 offshores pour ses clients (cfr. nos éditions du 9 avril) ne sait plus au juste quelle est l’adresse du siège social de l’une des sociétés qu’elle a pourtant créée, et la cherche de toute urgence. Où diable est logée Talgarth Holding Inc. ? Ce n’est pourtant pas n’importe quelle offshore. Celle-ci abrite du patrimoine meuble et immeuble de la famille Damseaux, dont le parcours se confond avec l’histoire du Congo belge, du Zaïre puis de la République démocratique du Congo. Depuis la première implantation de Joseph Damseaux au Congo belge en 1931, la montée en puissance du fils William après-guerre jusqu’au passage de flambeau en 2013 au petit-fils Jean-Claude, la famille Damseaux incarne un parcours exemplaire dans l’agro-alimentaire, l’importation et la distribution de vivres, au point d’avoir tenu à plusieurs reprises dans leurs mains le sort alimentaire de Kinshasa. Au début de cette décennie, les neuf sociétés du groupe Damseaux représentaient encore 63.000 têtes de bétail, 400 frigos industriels et 72 véhicules poids lourds, soit le deuxième importateur alimentaire du pays. Mais on ne nourrit pas durant plus de quatre-vingt ans un pays comme le Congo sans créer quelques envieux et, paradoxalement, quelques ennemis. Aujourd’hui retiré des affaires, William Damseaux, 89 ans, permettra à l’entreprise familiale Fridam (frigos Damseaux) de passer à travers l’indépendance puis la zaïrianisation – une nationalisation qui leur sera douloureuse et ouvre une période d’instabilité juridique que les Damseaux n’ont pas oublié. Dans la foulée de cette zaïrianisation nait le groupe qui les rendra célèbres jusqu’à ce jour : Orgaman. Pour juger de l’instabilité à laquelle les Damseaux ont été confrontés, rappelons quelques faits : sous Mobutu, de 1973 à 1975, de la nationalisation à la rétrocession, les Damseaux vont perdre 9.000 têtes de bétail sur 14.000. Lorsque Laurent-Désiré Kabila prend le pouvoir, c’est leur maison privée qui est confisquée. En janvier 2001, lors de l’assassinat du père Kabila, le franc congolais s’effondre et les prix des aliments grimpent : le fils William et le petit-fils Jean-Claude Damseaux sont alors brièvement emprisonnés pour les forcer à diminuer artificiellement le prix des denrées. Ajoutons à cette liste de déboires, dans les années septante, une longue détention au Congo de William Damseaux pour des transferts de fonds vers l’Europe, à l’époque officiellement interdits. Est-ce en raison de l’arbitraire du pouvoir congolais que les Damseaux ont jugé adéquat de se doter d’une société offshore pour héberger immeubles et comptes bancaires ? Les Panama Papers révèlent l’existence d’une société de droit panaméen, Talgarth Holding Inc. créée en février 1984 par un intermédiaire genevois mais dont William Damseaux prend la direction de manière certaine dès 2002, au début du règne de Joseph Kabila. Agit-il au départ du Congo ? Non. Au départ d’Experta Corporate & Trust Services SA à Luxembourg. Bref, c’est la filiale de Dexia qui ouvre à William Damseaux les portes d’un paradis offshore. A l’heure actuelle, Experta est toujours le prestataire de service qui intervient pour la gestion de cette offshore au bénéfice des Damseaux car, oui, l’offshore est toujours active en ce mois de mai 2016. Dans la foulée du retrait des affaires de William Damsaux en 2013, l’offshore est depuis 2014 dirigée en ligne directe via le Luxembourg par les enfants de William, à savoir Jean-Claude, Dominique et Clara. Que couvre cette offshore ? Des biens immeubles en Belgique et au Congo, dont un appartement bruxellois longeant le parc du Cinquantenaire, et au moins deux comptes bancaires : l’un ouvert au nom de la panaméenne auprès de Dexia Banque Internationale de Luxembourg, l’autre ouvert auprès de la Fortis (aujourd’hui BNP Paribas) au nom du bien immeuble bruxellois. En termes fiscaux, aucun des Damseaux n’est officiellement résident belge, et selon Jean-Claude Damseaux, « tous les biens sont déclarés et enregistrés auprès des services compétents, et toutes les impositions officielles dues sont acquittées normalement ». Cela n’a pas empêché en 2003 l’Inasti (Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants) d’identifier cette société panaméenne Talgarth Holding Inc. et de s’interroger sur son fonctionnement. De fait, l’immeuble bruxellois de la panaméenne comporte un raccordement téléphonique au nom de Damseaux, ce qui est un indice de résidence... Une employée de l’Inasti poussera la témérité jusqu’à adresser à Panama un « détail des sommes restant dues au titre de cotisations à charges de société ». Il existait donc bien une ambiguïté. A l’époque, les deux hommes de paille hispanophones qui assuraient la direction de la panaméenne auront beau jeu de répondre que Talgarth Holding Inc. « n’est pas une société belge, ne possède aucun siège en Belgique et n’y exerce aucune activité. Dès lors, nous vous prions d’annuler le décompte de cotisations que vous nous avez envoyé. » Passez muscade.

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