Les frères Dardenne: «Ce sont les femmes qui font bouger les choses»

Pour leur septième sélection en compétition, les frères Dardenne proposent un film sombre et sobre qui pose la question de la responsabilité de chacun. Un film qui scanne subtilement les réalités sociales, croit en l’action individuelle pour faire changer les choses et défend la vie. Après la première projection de presse cannoise de « La fille inconnue », les avis de la presse internationale sont partagés. [scald=1055414:sdl_editor_representation] « C’est bien que notre personnage reste un peu incompris » Nous retrouvons les frères dans l’après-midi, stressés par la montée des marches du soir alors qu’on pourrait croire qu’ils ont dépassé cela par habitude. « On nous a dit que ça avait un peu bataillé à la fin de la projection du matin, c’est chouette » dit Luc. « Le Fils, Rosetta ont eux aussi soufflé le chaud et le froid. C’est bien que notre personnage reste un peu incompris. Car c’est ça qu’on cherche. Jenny est possédée par cette fille inconnue. Elle n’a pas ouvert sa porte et pour elle, c’est grave. Un médecin est là pour soigner et faire reculer la mort au maximum des possibilités dans la dignité de la personne et soulager la souffrance. Il est là pour être du côté de la vie. Or Jenny ne l’a pas été et elle a difficile de l’accepter. D’où sa quête. » Quand on évoque le mot « Palme d’or », ils se rétractent, disent qu’ils n’y pensent pas et surtout affirment : « Le Festival ne prendrait jamais ce risque. Et il y a la jeunesse qui est là quand même ! » Cannes étant à sa manière une caisse de résonance du monde, quel message les frères ont-ils voulu faire entendre cette fois ? « On est content d’être à Cannes en compétition mais quand on fait un film, on espère qu’il ait une vie au-delà de Cannes, qu’il rencontre les spectateurs plus normaux dans les salles. Nous on pense que le spectateur peut dialoguer avec le film, on lui donne une place et que le film voyage dans sa tête. Avec cet espoir que ça le fasse bouger peut-être » avoue Jean-Pierre. « On doit se sentir en dettes par rapport aux autres » précise Luc. « On ne parle pas d’une culpabilité morbide, religieuse ou dogmatique. Jenny n’a pas ouvert sa porte et s’en veut, c’est aussi simple que ça. Mais tout le monde, quelle que soit sa croyance ou non-croyance peut se sentir concerné. C’est tout simplement humain. » « On fait un film pour libérer un propos et un désir » La première scène de leur film montre cette jeune femme médecin écoutant la respiration d’un patient avec son stéthoscope. Et de nous mettre d’emblée au plus près du corps et à l’écoute. On y voit un parallèle avec leur façon de faire du cinéma. « A l’écoute oui dit Jean-Pierre, pour pouvoir trouver dans la mise en scène la bonne distance avec ce qu’on film et ceux qu’on filme pour que la parole que Jenny rencontre puisse se libérer. Comment filmer ça ? Elle donne la réponse quand elle dit à son stagiaire : « On peut avoir des émotions mais ne pas se laisser envahir. A nous donc de trouver notre bonne distance. Jenny est une oreille à l’écoute de la vie. » Luc ajoute : « C’est une vieille histoire le fait que les hommes et les femmes se libèrent par la parole de choses difficiles à vivre. Et effectivement, on fait un film pour libérer un propos et un désir. Jenny agit sans être une justicière ou une guerrière. En tout cas, c’est ce qu’on a essayé de montrer.» « Les femmes font bouger et feront bouger les choses » A nouveau donc, un très beau portrait de femme. Une femme calme, posée qui refuse de ne pas voir. « On a toujours pensé que Jenny sait que la mort qui nous domine pour l’instant va de toute façon perdre et que la vie va gagner. » Important à dire par les temps qui courent même si l’histoire n’a rien à voir avec les attentats terribles vécus près de chez nous comme de par le monde. On glisse aux deux cinéastes qu’il n’y a pas qu’Almodovar qu’on peut qualifier de « cinéaste des femmes ». Eux aussi offrent de beaux rôles de femme et en font le pivot central de la plupart de leurs films. Sourire du duo et Luc de lancer : « Qu’est-ce que le XXe siècle, sa grande vague révolutionnaire qui a fait bouger les choses, c’est le mouvement des femmes ! En occident. Et prenez les cultures musulmanes, ce sont les femmes qui font bouger et feront bouger les choses. Ce sont elles qui prennent les risques et qu’on tue. Sans qu’on en parle trop d’ailleurs. C’est anthropologique. On aime s’intéresser à ces femmes car le fait qu’elles bougent après des siècles et des siècles de domination parce qu’elles sont le mouvement. »

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