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Et si le tort de Jean-Luc Crucke était d’avoir oublié l’électorat de son parti?

Il faut se réjouir du souhait de la Wallonie d’exercer les compétences qui sont les siennes dans le souci de l’intérêt régional. Mais tout le monde n’est visiblement pas de cet avis, estime le professeur Marc Bourgeois.

Carte blanche - Temps de lecture: 4 min

Lundi dernier, le ministre wallon du Budget, M. Jean-Luc Crucke, annonçait, non sans une certaine amertume, le renvoi à l’arriéré – et donc, le retrait sine die – du projet de décret « portant diverses dispositions pour un impôt plus juste ». Son vote était a priori programmé au plus tard à la fin de cette année civile, en vue d’une entrée en vigueur dès le mois de janvier 2022. Le texte en question est le fruit de plus d’une année de travail préparatoire, accompagné de multiples avis, dont ceux du Conseil d’Etat et du Conseil wallon de la fiscalité. Sa mouture finale a été validée par l’ensemble des membres du gouvernement wallon, dont les ministres MR ! Des amendements permettant de répondre à certaines préoccupations relatives au champ d’application temporel des nouvelles règles ont même fait l’objet d’un accord au sein du gouvernement et du parlement.

Et pourtant, comme la presse le révèle, ce sont les députés appartenant au même parti politique que le ministre qui, paradoxalement, bloquent son adoption en toute dernière minute. Les motifs invoqués sont surprenants, voire déroutants : il s’agirait de protéger les intérêts des classes moyennes – comprenons : les potentiels électeurs de cette formation politique – et d’attendre les résultats de l’étude dite « budget base zéro » lancée par le même ministre et dont l’objectif est d’allouer les ressources de la manière la plus efficace possible en « repensant » chaque dépense, en ce compris fiscale. D’aucuns invoquent encore la nécessité d’une réforme plus globale de la fiscalité – dont il faut préciser, à toutes fins utiles, qu’elle n’est pas prévue par la Déclaration de politique régionale –, ou encore… le souci d’éviter que le parti réformateur soit le seul de la majorité à faire un effort budgétaire dans ses compétences et face à son électorat.

Rien de révolutionnaire

A l’analyse toutefois, le projet de décret n’a rien de révolutionnaire. Il se limite, au moyen d’une mesure générale et de règles plus ciblées, à rappeler ce qui désormais ne fait plus débat dans les autres collectivités politiques de Belgique, ainsi qu’à l’étranger : les normes fiscales se doivent d’être mises en œuvre conformément non seulement au texte qui les consacre, mais aussi aux objectifs (clairement identifiables) qui les sous-tendent. En ce sens, l’initiative gouvernementale ne fait rien d’autre qu’aligner la fiscalité wallonne, en cours de développement, sur la tendance qui caractérise, depuis quelques années déjà, le droit fiscal fédéral, européen et international, ainsi que, dans le cadre des compétences qui nous occupent ici, le droit applicable en Région flamande. Il pose, enfin, au niveau wallon, les fondements d’un système fiscal digne de ce nom, non seulement modernisé et éthique, mais aussi efficient.

Bien que la Région wallonne ait acquis de substantielles compétences en matière d’impôts ces vingt dernières années, force est de constater le faible degré d’appropriation de celles-ci par les gouvernements successifs. Aucun « plan » de réforme fiscale d’envergure n’a été mis en application ni même initié. Cela, en dépit des constats régulièrement formulés d’inéquité et d’inefficacité des règles actuellement en vigueur. Les déséquilibres caractérisent le contenu des normes mais aussi la manière dont elles sont appliquées sur le terrain. Le consentement des contribuables à l’impôt est ainsi toujours davantage mis à mal.

Force de résistance (ou d’inertie)

On ne pouvait donc qu’applaudir la volonté d’un ministre, et par voie de conséquence le gouvernement auquel il appartient, de développer une « vision » du système fiscal wallon et de le préparer aux enjeux budgétaires, économiques, sociaux et environnementaux futurs. Ainsi nous réjouissions-nous de constater le souhait désormais affiché par la Wallonie d’exercer les compétences qui sont les siennes dans le souci de l’intérêt régional et d’une cohérence accrue des politiques. Ainsi pouvait-on espérer le déclenchement d’une dynamique positive et modernisatrice et de futures initiatives ambitieuses en la matière.

C’était sans compter sur la force de résistance (ou d’inertie) de ceux qui persistent à penser qu’un ministre doit servir uniquement les intérêts de son électorat et non ceux de l’ensemble des citoyens.

Un académique ne doit pas tenter, sous sa casquette d’expert, de faire passer subrepticement ses propres jugements de valeur. Telle est une conviction profonde qui guide ma carrière depuis déjà plus de quinze ans. Les arbitrages incombent aux femmes et aux hommes politiques. Ce qui s’est déroulé lundi dernier au cœur même du Parlement wallon m’incite néanmoins, une fois n’est pas coutume, à déroger à cette ligne de conduite. Une certaine manière, à la fois digne et constructive, de faire de la politique est en effet là sérieusement mise en péril et il serait dommage de ne pas le dire, tout simplement.

 

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4 Commentaires

  • Posté par J.-M. Tameyre, lundi 10 janvier 2022, 18:29

    La classe moyenne ce sont les 4e à 6e déciles de revenus. Elle compte pour 60% de la population mais rapporte 75% des revenus fiscaux (OCDE 2019 pour la Belgique). Et M. Crucke veut, dans un des pays les plus taxés au monde, et dans une Région dont la dette publique n'arrête pas de croître, sous prétexte de "justice fiscale", taxer encore et une fois la classe moyenne. Et par-dessus le marché, cet argent "clair" taxé quand il est gagné (IPP), taxé quand il est dépensé (TVA, accises), taxé quand il est investi (précompte mobilier, TOB) doit encore être taxé quand on le *donne* pour aider ses enfants ? Il y a des gens au CPAS qui roulent en Jaguar, des chômeurs qui possèdent un patrimoine immobilier, des "réfugiés" qui retournent chaque année dans leur pays d'origine, des fainéants qui cumulent toutes les aides possibles quand les travailleurs pauvres, eux, vivent moins bien que les premiers. La "justice fiscale" façon Crucke est vomitive.

  • Posté par Lambert Guy, samedi 11 décembre 2021, 11:14

    Quand un politique tente de viser l'intérêt général et pas seulement une idéologie particulière, il se fait taper sur les doigts par son propre parti ...et se fait traiter presque de "traitre" par des citoyens qui s'empresseront par après de regretter que les politiques ne visent pas assez l'intérêt général.

  • Posté par stals jean, mardi 7 décembre 2021, 18:54

    Les normes fiscales se doivent d’être mises en œuvre conformément non seulement au texte qui les consacre, mais aussi aux objectifs (clairement identifiables) qui les sous-tendent. De cela, le Bouchez de Mons n'en à juste rien à foutre, il est président des libéraux du parti libéral, pas présidents du PS, pas le président des écolos et moins encore le président du PTB. Plus de justice sociale, plus de justice fiscale, ce populiste libéral au dents longue, qu'un Reynders et sa haine viscéral de la "classe ouvrière" n'est pas prêt de renier, n'en a juste rien à foutre, moins que rien, l'idéologie politique qui dicte un ultra libéralisme économique, qui engendre la dictature de l'Actionnariat et tout ce qui met le monde à feu et à sang, c'est son crédo, il ne s'en cache même pas...

  • Posté par Fonder Daniel, mardi 7 décembre 2021, 16:51

    A chacun son ingénierie: fiscale pour le MR, sociale pour les socialistes ... Vouloir mettre de l'ordre pour redresser la Wallonie sans taper sur l'ingénierie de l'autre et protéger celle de son électorat c'est être trop honnête, pas bon en politique ...

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