Inno JP, le «Barack Obama du Gazon maudit» au TTO

Inno JP, ou quand la réalité rattrape le sketch. Il était écrit que l’humoriste, qui ne cesse de vanner sur son problème pathologique de ponctualité, manquerait son rendez-vous initial. Programmé au TTO dès la semaine dernière, Inno JP a dû reporter la première de son spectacle, le temps de se remettre du covid. Avec le recul, on se dit que cette quarantaine n’est peut-être qu’un clin d’œil du destin à celui qui, dans son spectacle, lie son histoire d’enfant « illégitime » à une série de retards : « La première fois que ma mère a dû constater ma présence moyennement attendue dans son corps, c’est en attendant ses règles : « Merde, je crois que j’ai du retard. » Et puis, si j’existe, c’est parce que mon père s’est retiré de ma mère en retard : comment veux-tu que je sois à l’heure alors que je suis la conséquence biologique d’un manque de timing ? » Plus tard pourtant, le décalage va s’inverser : « J’ai été adopté par deux femmes extraordinaires, deux Belges, un couple homosexuel, dans les années 80. C’est là que j’ai rattrapé mon retard parce que du coup, ça fait de moi un Noir très en avance sur son temps : le Barack Obama du Gazon maudit. Adopté par deux femmes de plus de 50 ans : je suis le fruit de leur ménopause, et ça, c’est vraiment exceptionnel ! » [scald=28727699:sdl_editor_representation] Cet été, pour écrire son portrait, nous avons remonté, avec Inno JP, le fil d’une existence cahoteuse, qui ferait flasher n’importe quel réalisateur adepte d’épopées improbables. Au script, on retrouvait Kigali, mais aussi le goûteur attitré d’un président persuadé qu’on voulait l’empoisonner, une hôtesse de l’air de la Sabena, une mère biologique qui fuit le génocide rwandais, une famille homoparentale en décalage avec les conventions de l’époque, des égarements dans les mirages de l’alcool, une révélation à l’Ecole de l’Humour de Montréal et, à l’intersection de tout cela, une vie à réconcilier ces héritages dans un corps de « bounty, blanc à l’intérieur et noir à l’extérieur. » Rien qui ne prête vraiment à rire ? Détrompez-vous ! Dans True Story, Inno JP transforme son vécu en un stand-up hilarant, où son parcours atypique devient prétexte à l’autodérision, aux digressions impertinentes, aux vannes politiquement incorrectes. Une folle cadence Inno, c’est le diminutif d’Innocent, prénom qu’on lui a donné à la naissance sans se douter que ses saillies sur scène n’auraient rien d’un angélisme immaculé. JP, c’est le diminutif de Jean-Paul, son deuxième prénom, que ses parents adoptifs préféreront utiliser pensant qu’il lui permettrait de mieux se fondre dans un Brabant wallon très « blanc ». Sauf que ce prénom et lui seront aussi bien assortis que « la choucroute et le Nutella. » Et pour parachever le tout, son nouveau nom de famille l’affuble d’un Van Geel, « de jaune » en flamand. Le destin ne manque décidément pas d’ironie. Avec un charisme désarmant, Inno JP se moque des assignations et quiproquos qui parsèment sa jeunesse, lui qui a grandi à la Hulpe avec « la gueule des enfants sur les calendriers de l’Unicef, mais sans les mouches. » A une cadence impressionnante, l’humoriste transforme ses souvenirs en anecdotes tordantes. Une virée au ski où, quand il est sur les pistes, on le croit forcément perdu : « A l’époque, on n’avait pas l’habitude de voir un Noir dans la neige, ce qui est paradoxal parce que ça se voit très bien un Noir dans la neige ! » Ses virées chez le coiffeur, dans le Brabant wallon, où il se rendait avec des photos des Back Street Boys, demandant les mêmes dégradés et mêmes brushings. « Il n’est pas au courant ? » demandait le coiffeur, affolé, à sa mère. Son enfance heureuse, à être élevé par deux retraitées, « un confinement permanent », ce qui fit sans doute de lui l’un des rares enfants à être aussi affecté par la mort de Pascal Sevran. Inno JP n’hésite pas à creuser dans les recoins les plus sombres de son histoire pour nous faire rire (jaune parfois) : « Je suis l’un des rares à avoir pu utiliser l’excuse “ma mère est morte“ trois fois pour ne pas aller au boulot ! » De son expérience sur Tinder à ses rapports « tendus » avec le porno, l’artiste ne recule devant aucun tabou. S’il se moque allègrement de lui-même, il n’épargne pas non plus le reste de la population belge : l’astrologie, l’épiderme des Blancs, notre rapport aux chats (ces « pervers narcissiques » !), les personnes « d’origine ostéoporeuse », les habitants du BéWé (« qui ne vont jamais à Liège sans faire leur vaccin »), tous les sujets sont bons pour aboutir à la tâche qu’il s’est fixée au début du spectacle : « On va apprendre à se connaître, » nous avait-il prévenus. Mission brillamment accomplie. Avec un tel talent, nul doute qu’Inno JP sera bientôt connu comme le loup blanc (et son complexe mélange de noir). Jusqu’au 31/12 au TTO, Bruxelles.

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