Jacky Ickx: «Hamilton fait de la résistance, Verstappen a la jeunesse pour lui»

Ce doit être un héritage de son glorieux passé, la synthèse de son incomparable palmarès notamment jalonné de deux titres de vice-champion du monde de F1, de 8 victoires en Grand Prix, ou encore de six succès aux 24 H du Mans. Mais c’est en tout cas une réalité tenace : il n’est pas facile de faire dévier Jacky Ickx de sa trajectoire ! À bientôt 77 ans (le 1er janvier), quand « Monsieur Le Mans » a quelque chose à dire, on l’écoute. Passionnément. Mais s’il ne veut pas répondre à votre question, il le fera avec la même détermination. Démonstration. Qui va gagner dimanche ? Ça ne vous regarde pas ! Tout le monde a un avis sur cet incroyable duel quand même ! Vous avez vos convictions ? Bon OK, je vais bien l’admettre, je n’en sais rien ! Et ça m’est d’ailleurs bien égal. Ce qui me plaira dimanche, c’est d’assister à une belle course, en espérant que personne ne se fasse mal. Comment, vous aussi, vous entretenez l’idée d’un accrochage entre ces deux cadors ? Et d’un si beau championnat qui se terminerait en queue de poisson ? Combien de Grands Prix cette année n’ont-ils pas été perturbés par des accrochages ? Tout peut arriver… [scald=28727790:sdl_editor_representation] Le syndrome Prost-Senna ? Des accrochages, il y en aura toujours ! Cela dit, et même si ce championnat met également en exergue la rivalité entre deux écuries et deux camps, je ne crois pas à l’intention d’accrochage volontaire (NDLR : rappelons que si les deux concurrents restent à égalité, Verstappen serait sacré pour avoir gagné un GP de plus qu’Hamilton). Je ne veux pas aller jusque-là. Je vous rappellerai en revanche que la F1 est un sport mécanique, et qu’il faudra qu’aucune panne ne vienne perturber cet ultime duel. À la lumière de ce que l’on a vu à Djeddah, Max Verstappen y va-t-il trop fort ? Bien sûr qu’il est agressif ! Il a du culot, mais il faut aussi reconnaître qu’il canalise cette agressivité avec maestria. Et puis ne tournons pas autour du pot : même si Lewis Hamilton est sans doute à considérer comme le plus grand pilote de tous les temps, il n’a rien à envier à son rival. Il ne fait aucun cadeau, lui non plus ! Mais que veut-on ? Des courses ou des balades ? On assiste aux GP pour avoir des émotions. Et avec ces deux-là, on est servis ! Vous semblez cependant très admiratif de Lewis Hamilton… Deux choses me plaisent chez lui : d’une part, il ne dit jamais « JE », tant il sait combien ses records, dont je doute qu’ils seront battus un jour, dépendent du travail de son équipe ; et d’autre part, il n’a pas peur de prendre position, de s’engager. Et ça, à mes yeux, c’est peut-être sa plus grande qualité. Il a fait dans le monde automobile ce que personne n’avait fait jusqu’ici. Quel éloge ! Et Verstappen, dans tout ça ? Pour le moment, il suscite la passion car il est capable de rivaliser avec Hamilton, ce que très peu de pilotes ont fait ces dernières années. Mais je suis certain qu’il sera, lui aussi, un grand de la F1, car le seul jugement, c’est le chrono ! Et là, il est désormais plus rapide qu’Hamilton ! Mais quoi de plus normal ? La jeunesse finit toujours par triompher. Quand j’ai gagné pour la première fois le Mans en 1969, au sprint face à Hans Herrmann, j’avais 24 ans et lui 41 ! Pas étonnant que j’avais sans doute osé plus que lui. J’étais en pleine ascension alors qu’il était au crépuscule de sa carrière, comme Verstappen et Hamilton : l’un monte et l’autre descend. Pour le moment, Hamilton est un super champion qui fait de la résistance, mais le temps court irrémédiablement contre lui. C’est le temps qui, petit à petit, vient vous grignoter vos aptitudes. Aujourd’hui, c’est Verstappen qui freine 10 cm plus tard que lui. Et prend plus de risques dans ses dépassements… Ils prennent tous des risques ! Car ils sont tous obligés de le faire… Ça fait 20 ans qu’on réfléchit à améliorer les choses pour favoriser les dépassements. Sans beaucoup de succès. Et en même temps, on autorise aux pilotes qui sont devant de changer de direction pour bloquer leurs adversaires ! C’est un non-sens, doublé d’un geste antisportif. Du coup, on assiste à des dépassements par l’extérieur qui, souvent, se terminent mal. Le fruit d’un règlement mal fait, surveillé par des commissaires sportifs peu inspirés ? Vous voulez parler de ces soi-disant bénévoles tellement heureux de voyager en business class, qui viennent perturber les débats dont ils ne peuvent pas comprendre grand-chose vu qu’ils n’ont jamais pris les commandes d’une F1, mis à part le seul pilote qui les conseille ? Bien sûr, leur boulot n’est pas facile,. Mais en foot par exemple, l’arbitre ou les juges de ligne ont joué avant d’embrasser cette fonction. Vous voulez dire qu’ils n’ont rien à faire là ? Je ne doute pas de leur bonne volonté. Mais ils le font en consultant un carnet de priorités ou d’amendes – révoltantes d’ailleurs, pour ce qui est de leur montant. Et du coup, ils agissent comme des policiers installés au bord d’une route. Qui est ce Monsieur Masi ? D’où vient-il ? Ce que je lui reproche, c’est de gérer un incident de F1 comme un accident de la circulation ! Or, nous ne sommes pas à Aalter, sur la bretelle de l’autoroute, que je sache ! Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Alors Messieurs, arrêtez d’intervenir dans des choses que vous ne pouvez pas comprendre aussi bien que des pilotes capables de faire des choses hallucinantes à 300 km/h. Avec ce type d’approche, on serait capable de disqualifier un boxeur qui a mis son rival KO, au prétexte que la vitesse d’exécution de son crochet était trop élevée ! C’est ridicule ! D’accord, mais il faut quand même bien un arbitre ! L’arbitrage, les écuries s’en chargent ! Ne vous inquiétez pas : un pilote qui est à côté de la plaque sera vite oublié en vertu des points ou des opportunités qu’il aura fait perdre à son écurie. Très sincèrement, le sport automobile, c’est mon monde, et je suis heureux des progrès qui y ont été effectués. Ça n’a plus rien à voir avec la course que j’ai pratiquée, et tant mieux, c’est merveilleux ! Mais je suis frustré de ces interventions. C’est castrateur ! Cela revient à demander à ces gars de rouler la peur au ventre. On touche à l’esprit de la course ? Exactement ! Et ce pouvoir sportif représente ce que la vie en société est devenue, dans la non-acceptation de la fatalité. Ainsi que la peur de prendre le moindre risque. Or, une course, c’est un combat d’hommes ; des hommes qui ont accepté de prendre ces risques. En 1974, l’autre année où deux pilotes (Clay Regazzoni et Emerson Fittipaldi) sont arrivés au départ du dernier GP de la saison à égalité, toutes ces questions ne se posaient pas… Là, en effet, c’était la course et rien que la course. Sans DRS pour dépasser ni changements de pneus ou ravitaillements. C’était moins médiatisé aussi, ou pas de la même manière : sans télé ou réseaux sociaux. Alors, la fougue de Verstappen ou l’expérience d’Hamilton ? Au revoir Thierry…

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