L’expert: «On attend des Tuche qu’ils nous parlent de ce qui nous entoure»

Professeur à l’école de communication à l’UCLouvain, spécialiste en cinéma, auteur notamment de La comédie cinématographique à l’épreuve de l’Histoire, Sébastien Fevry a été l’un des innombrables spectateurs des Tuche 1, 2, 3, mais avec un regard affûté par la question du « comique ». S’il n’a pas encore vu les Tuche 4, il décrypte néanmoins le phénomène. [scald=28738480:sdl_editor_representation] Pourquoi les Tuche sont-ils devenus culte ? Il n’y a pas qu’une raison. On qualifie souvent ces films de comédies populaires. Et ça amène à réfléchir sur ce qu’est le populaire. Dans les Tuche, il y a au moins trois notions du populaire. C’est un succès populaire, chaque film touche un large public. Les personnages sont des gens du peuple, ils n’appartiennent pas aux élites de la société française. Ils font délibérément preuve de mauvais goût et revendiquent une culture populaire qui vient mettre à mal la culture qui se voudrait installée, légitimée. Ce qui permet de ne pas être dans quelque chose de trop formaté tout en restant mainstream. Le carrefour entre ces trois notions de populaire donne une situation forte. Ils s’essaient à un transfuge de classes, notamment quand Donald part aux Etats-Unis. Mais on voit qu’au final, il y a réaffirmation des valeurs qui les constituent. C’est très caractéristique de la culture populaire. Pourquoi la notion de cinéma passe au second plan ? Le clivage au niveau des critiques et des spectateurs que provoquent ces comédies françaises moins psychologiques qui lorgnent vers des films outre-Atlantique comme ceux des frères Farelly est intéressant car il pose la question de ce qu’on va voir au cinéma. Pour répondre à votre question, tout dépend de comment on définit la notion de cinéma. Si le cinéma, c’est une expérience collective dans l’obscurité devant un film, les Tuche remplissent le contrat. Ce sont des films efficaces. Mais c’est plus qu’une comédie. C’est également une satire et une parodie. Il y a un triple niveau comique. Pour certains passages, on est dans du très burlesque, du très visuel. Cela met à profit un montage, un champ-contrechamp, une punchline sur une bonne réplique. En fait, j’ai remarqué que les scénaristes viennent de la mouvance Canal +, les Guignols de l’info, la chaîne Comédie de Farrugia, le Burger Quizz. C’est paradoxal puisque les films sont produits par TF1. C’est intéressant car ceux qui travaillaient notamment aux Guignols de l’info ont une vision assez fine et satirique de l’actualité, de la société. Cette filiation n’est pas anodine et elle infuse à certains degrés dans les films, et je pense plus spécialement à l’épisode où Jeff Tuche devient Président. Diriez-vous que Les Tuche, les Bodin’s, les Ch’tis, même combat ? Je n’ai pas vu les Bodin’s en Thaïlande mais je pense que ces films revendiquent une même notion de territoire, une décentralisation par rapport à Paris. Il y a une volonté de faire les choses à partir d’un lieu qui n’est pas très représenté sur les écrans français. Les Tuche 1 faisait 1,5 million de spectateurs en France. Les Tuche 3, c’est 5,7 millions de spectateurs et le démarrage des Tuche 4, alors que les cinémas sont contraints à une jauge, le pass sanitaire et le port du masque obligatoire, est comparable à celui des Tuche 2. Comment analysez-vous ce succès grandissant ? Le vrai démarrage a eu lieu après le premier volet, grâce à la sortie DVD, au passage à la télévision. Il y eut un emballement après la première sortie cinéma. La saga n’est pas monolithique. Au fur et à mesure des films, on arrive à des personnages et plus seulement à des archétypes du burlesque. Les personnages sont approfondis. Cette évolution est intéressante. Il y a aussi cette dimension de revisiter. Dans les Tuche 2, on revisite le road movie. Dans les Tuche 3, on revisite « Vis ma vie » et dans les Tuche 4, j’ai l’impression, même si je ne l’ai pas encore vu, qu’on revisite le conte de Noël. L’effet sériel fonctionne. Ils ont réussi à créer un rendez-vous. Il y a aussi le fait qu’on attend quelque chose des Tuche à chaque fois. Ce qu’on attend des Tuche n’est pas juste une suite mais c’est qu’ils nous parlent dans la veine satirique, parodique de ce qui nous entoure. Vous me dites que Les Tuche 4 ont une tendresse avec en toile de fond la grande distribution/l’artisanat local, donc le rendez-vous est bien là pour découvrir une autre facette de notre société vue sous le prisme déformant de cette famille. Cette famille Tuche a-t-elle des ascendants cinématographiques ? Oui, même si je le dis de manière prudente car les contextes nationaux et sociaux ne sont pas les mêmes. Quand on pense comédie populaire, la comédie italienne vient tout de suite à l’esprit. Les films de Scola comme Affreux, sales et méchants qui avait un rapport très décalé et jouait sur l’enracinement dans un territoire et un comique burlesque, voire scatologique. Il y a cette idée que la comédie vient parfois prendre la première place dans l’actualité. Comment expliquez-vous que certains médias comme Le Parisien fassent leur mea culpa vis-à-vis des Tuche qu’ils ont descendus à l’origine ? Difficile à dire. Ce rétropédalage est-il dû à une maturation des derniers épisodes ? Ou est-ce de se dire qu’on a raté quelque chose et qu’il faut réévaluer le geste critique posé initialement ? L’enjeu est glissant car si on méprise les Tuche, méprise-t-on ceux qui regardent les Tuche ? Pour moi, le vrai non-dit se joue à ce niveau-là. Peut-on dire que ce qui traverse essentiellement toute la saga des Tuche, c’est l’envie d’être heureux tout en préservant les valeurs fondamentales de la famille, même s’ils sont subversifs ? Oui et j’ajouterai la notion de solidarité, même s’il y a des tentations comme le désir d’aller à Monaco, aux Etats-Unis, à l’Elysée… Rester unis. Et les Tuche restent centrer sur les valeurs familiales.

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