Amérique latine: retour à gauche?
Dimanche dernier, Gabriel Boric, à la tête d’une alliance de gauche, a remporté les élections au Chili, face au candidat d’extrême droite. Cette victoire tourne-t-elle la page de l’héritage de Pinochet, et, au-delà, celle du néolibéralisme sur le continent latino-américain ?

La victoire de Gabriel Boric aux élections chiliennes revêt une importance stratégique et symbolique, non seulement pour le pays, mais aussi pour toute l’Amérique latine. Elle a d’ailleurs été lue en ce sens par de nombreux commentateurs, qui ont fait le lien avec l’arrivée récente au pouvoir, au Pérou et au Honduras, de candidats du changement.
Au lendemain de son triomphe, Boric a affirmé que le Chili fut le berceau du néolibéralisme, et qu’il en sera son tombeau. Préfiguration, deux décennies après le virage à gauche, marquée entre autres par les gouvernements de Chavez au Venezuela, et de Lula au Brésil, suivi du retour en force de la droite ces dernières années, à un nouveau tournant continental ?
Avec la victoire de Xiomara Castro, première femme élue présidente au Honduras, pourrait se refermer la parenthèse ouverte par le coup d’État de 2009, renversant le président Manuel Zelaya. L’élection du syndicaliste et instituteur, Pedro Castillo, au Pérou, porté par le vote rural et populaire, ouvre l’hypothèse d’une rupture avec trente ans de néolibéralisme. Si on y adjoint le retour au pouvoir du Mouvement vers le socialisme, un an plus tôt en Bolivie, l’air d’un changement se précise.
Il existe pourtant des contre-exemples, dont le plus évident est celui de l’Équateur, où le dauphin de l’ex-président, Rafael Correa, Andrés Arauz, a été battu par l’homme d’affaires Guillermo Lasso, figure représentative de la droite libérale. En élargissant le spectre à la séquence électorale de 2019-2020 – du Guatemala en Uruguay –, le paysage politique latino-américain se caractérise plutôt par le statu quo .
Surtout, la réalité d’un nouveau virage, ne pourra se vérifier, qu’en 2022, avec les deux figures tests que constituent les élections en Colombie et au Brésil. Jamais peut-être dans le premier cas, allié historique des États-Unis, la gauche n’a eu autant de chances de gagner. Et, dans le plus grand État latino-américain, la joute électorale semble devoir s’incarner en un affrontement programmatique et personnel entre l’ex-président Lula et Jair Bolsonaro.
Affinités et divergences
L’année 2022 déterminera donc les limites et contours de ce nouveau tournant. Il est d’ores et déjà possible cependant d’en souligner les différences. Le second tour des élections chiliennes, opposant José Antonio Kast, ouvertement défenseur du régime de Pinochet, à Gabriel Boric, a été présenté comme l’affrontement des extrêmes. Mais, cela relève plus de la mise en scène médiatique que de la réalité.
Les élections chiliennes confirment, par contre, le protagonisme d’une extrême droite décomplexée. Gouvernant au Brésil et en Colombie, faisant irruption sur la scène électorale argentine, dans un contexte de polarisation, elle capte une partie grandissante des voix de la droite traditionnelle, en se présentant comme un rempart face à la menace de la « subversion communiste », du « chaos » et de « l’idéologie du genre ».
Boric est à la tête d’une vaste alliance, qui va du parti communiste au centre gauche, et qui, pour gouverner, va devoir s’élargir encore. Et son programme – réforme du système de retraite (entièrement privé) et de la fiscalité (d’un pays très inégalitaire), meilleur accès à la santé et à l’éducation, etc. –, s’apparente à un projet de type social-démocrate ; non à une révolution.
Cette double caractéristique – un agenda de moindre intensité, porté par une force politique moins hégémonique et plus hétéroclite – se vérifie aussi dans les cas péruvien et hondurien, et fait émerger des figures d’ outsider . Cette rénovation du personnel politique se double, au Chili, d’un renouvellement générationnel : Gabriel Boric sera ainsi le président le plus jeune (il a 35 ans) de l’histoire du pays.
La soif de changements
Gabriel Boric doit largement sa victoire à l’augmentation significative de la participation au second tour, des jeunes, en général, et des jeunes femmes, en particulier, dont plus des deux tiers votèrent pour lui. Certains des aspects les plus originaux de son programme – la protection de l’environnement et la défense de l’agenda féministe – entendent faire écho à cette jeunesse, en partie issue du soulèvement populaire de 2019, à l’origine de l’Assemblée constituante.
Le pari de Boric, ancien représentant du mouvement étudiant, est de pouvoir donner une issue gouvernementale à cette insurrection. Rien n’est moins sûr pour autant. La défiance envers la classe politique demeure importante, alors que son gouvernement sera tiraillé entre les revendications du mouvement social et la frilosité des partis traditionnels. Or, la distance, sinon la rupture, entre la rue et la politique, est encore plus marquée dans les autres pays.
En fin de compte, ce qui distingue la situation actuelle des années 2000, réside avant tout dans la recomposition des mouvements sociaux. Et cette recomposition est en partie liée à l’expérience même des gouvernements d’alors, portés par la mobilisation sociale. Celle-ci s’est, en effet, fracturée à la pratique du pouvoir, entre soutien et cooptation, autour de questions telles que l’extractivisme.
Ces dernières années, la montée en puissance du féminisme, des organisations indigènes et d’une jeunesse urbaine, précaire et souvent d’esprit libertaire, a entraîné une reconfiguration de la protestation sociale, qui s’est manifestée avec éclats dans les soulèvements populaires de 2018-2020, en Haïti, en Colombie, en Équateur et au Chili. Ce mouvement social porte en lui l’exigence d’une autre politique, mais aussi de faire la politique autrement .
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