Philippe Gilbert: «Le plaisir vient seulement quand on gagne»

Motivé comme à ses débuts, pressé de renouer avec la victoire qui le boude depuis une étape au Tour d’Espagne, le 11 septembre 2019, le Remoucastrien entend profiter au maximum de 2022, sans se préoccuper du compte à rebours le rapprochant de la retraite sportive. Il veut profiter de chaque instant, des courses qu’il aime, notamment des classiques ardennaises chères à son cœur et à ses racines, ce qui le contraindra à faire l’impasse, vraisemblablement, sur le Ronde et Paris-Roubaix. Que peut-on souhaiter à Philippe Gilbert pour 2022 ? Simplement la bonne santé et ce n’est déjà pas mal. Je peux en parler, les deux dernières saisons ont été pénibles à ce niveau-là. Ma deuxième chute sur le genou gauche en l’espace d’un an exactement au même endroit m’a coûté beaucoup. J’aurais préféré tomber sur l’autre genou, cela aurait été plus simple ! J’ai souffert, j’ai galéré, j’espère cette fois être débarrassé des conséquences de cette double blessure. Vous êtes rétabli à 100 % ? Je ne sais pas si on revient à 100 % de ses moyens après un double problème comme celui-là mais je mentirais en disant que je ne me sens pas bien. Je suis prêt à affronter mes défis. Précisément, dans quel état d’esprit abordez-vous vos ultimes devoirs ? C’est particulier, bizarre de se dire que c’est la dernière fois. Comme mon stage de décembre dont je viens de rentrer, je sais que je ne le ferai plus à l’avenir dans la configuration d’un coureur professionnel. J’ai accumulé 30 heures de vélo en 7 jours ! Mais je roulerai en décembre 2022, pour moi, car j’adore le « process » du premier stage. C’est là qu’on jette les bases de la saison. On voit la forme s’améliorer de jour en jour, on mesure que le travail accompli va servir à quelque chose. Le stage de décembre et deux fois une semaine en janvier, c’est indispensable pour une équipe afin que chacun possède le même niveau quand les choses reprennent. On vous sent presque impatient de retourner au feu ? Clairement. Il y a une éternité que je n’ai pas gagné et je n’aime pas cela. Si je me suis entêté à poursuivre ma carrière professionnelle, c’est pour le plaisir que le cyclisme m’apporte mais le plaisir, il vient seulement quand on gagne. Or, en 2021, ce ne fut pas le cas. Je n’ai pas souvent été acteur, même dans un final. Cette frustration, je veux l’évacuer en gagnant. Au plus tôt sera le mieux dans un programme qui m’emmènera, en février en tout cas, de Majorque en passant par le Tour La Provence. Quelles évolutions vont eu le plus marqué en 20 ans de métier ? Les évolutions matérielles, bien évidemment (NDLR : lire plus loin) mais la plus marquante se situe à l’échelon des mentalités. Le milieu est devenu égoïste, le peloton est en mode de repli sur lui-même et ce n’est pas de sa faute. Je suis nostalgique de la période où, au départ, un petit parking, voire une simple rue étaient suffisants pour que les équipes s’installent. On prenait un café au village-départ, on se mélangeait entre équipes. Aujourd’hui, les bus sont des forteresses, personne n’a de contact avec la concurrence. Dans la course, idem, la convivialité s’est effacée au profit du rendement, des objectifs à atteindre. Quand je vais prendre un café dans le bus de l’équipe Quick Step pour saluer tous ceux que j’y connais, je risque de me heurter à un buzz dans la presse qui évoquerait du coup un transfert ! Difficile, dans ces conditions, d’entretenir des liens d’amitié dans le peloton ? J’ai en effet beaucoup moins d’amis, c’est comme cela. La pression est plus intense, l’attente des sponsors, qui sont bien plus nombreux et plus riches, s’est intensifiée. Il faut du rendement, de l’efficacité, des résultats. Lors de notre premier stage, les discours allaient d’ailleurs en ce sens. En résumé, au prix où nous sommes payés, nous sommes redevables de résultats, élément que je ne peux contester même si le sport de haut niveau dépend de beaucoup de paramètres extérieurs au monde de l’argent. Le tout se passe aussi exclusivement en anglais, une sacrée différence, là encore, par rapport à mes débuts. Vous en reprendriez pour 20 ans si vous débutiez aujourd’hui ? Jamais ! J’ai débuté dans une petite structure, conviviale, j’ai connu Lotto dans un cadre, là encore, plus familial qu’aujourd’hui. Je ne pourrais pas supporter, mentalement en tout cas, ce qu’on impose aux coureurs dans l’ère moderne. Or, j’ai besoin de toute ma tête pour être au top, pour apprécier mon métier et en retirer du plaisir. Dès lors que de très jeunes coureurs s’imposent rapidement, cela ne facilite pas les choses pour les plus anciens… Pour les jeunes professionnels non plus. Vous me citez Pogacar, Evenepoel, Pidcock, tous n’ont pas ce niveau ! Et l’erreur serait de croire que si on ne fait pas comme eux, on ne serait pas dans le bon. Ces trois-là sont de purs phénomènes, tous les néo-pros n’ont pas leurs qualités, ce qui ne doit certainement pas les empêcher de croire en leurs chances et d’accéder au métier. Dont vous êtes un fidèle, phénomène devenu rare, comme Valverde… Je ne suis pas certain d’être une rareté, j’ai le souvenir d’autres coureurs qui ont eu aussi une longue carrière. La motivation est là, intacte, mais je ne voudrais pas, comme Davide Rebellin, évoluer en marge d’une structure de top niveau, sans moyens, pour courir à tout prix dans des épreuves anonymes. J’aime mon sport mais pas au point de redevenir amateur. Jusqu’au bout, j’aurai le privilège de concourir au plus haut niveau. Votre directeur sportif, Maxime Monfort, vous intime à penser à vous en priorité en 2022 avant de devenir un guide pour les jeunes. Qu’en pensez-vous ? Il a raison, si je veux gagner, il n’y a pas d’autre solution. J’ai suffisamment roulé au profit des autres, ces dernières saisons, pour en profiter à mon tour. Mais ce n’est pas si simple. Il convient de trouver le soutien d’équipiers, du staff, pour atteindre ses objectifs. Je l’ai demandé pour les courses où on m’attend, j’espère l’obtenir. A propos d’évolutions, et même de révolutions, quelle est celle, du point de vue matériel, qui vous a le plus enchanté ? Le changement de vitesses électronique. Il nous gratifie d’un confort incroyable. Je me souviens de certaines courses où, les doigts presque gelés, on devait pousser la poignée pour changer de vitesse, c’était parfois la galère. Ici, c’est facile, agréable, performant. C’est une avancée considérable dans l’évolution de notre sport. On vous posera de nombreuses fois la question dans les semaines à venir : le défi du cinquième « monument », Milan-Sanremo, vous y pensez toujours ? Evidemment, d’autant qu’il s’agira de mon dernier essai ! Sinon, je ne demande pas une sélection et je reste chez moi. J’espère être bien, déjà, pendant la semaine qui précède, à Paris-Nice en l’occurrence. J’ai déjà évoqué le sujet avec l’équipe, il me faudra du soutien, car je veux me donner un maximum de garanties. Je n’ai pas encore perçu un grand return de ce côté-là mais, le 19 mars, c’est encore loin, nous avons le temps d’y penser. A l’époque où l’organisateur avait placé la côte des Manie, après le Turchino, la sélection était beaucoup plus sévère en amont. J’ai réussi mes meilleures éditions de la Primavera dans ce contexte-là. Et j’ai donc loupé le coche à cette période-là, je n’ai pas pu saisir ma chance. Il existe pourtant… 1000 options pour rendre Milan-Sanremo plus sélectif, je connais les chemins par cœur, mais les organisateurs ne veulent plus changer, la course est donc devenue presque facile, sans surprise, sans possibilité d’anticipation. Vous songez déjà à l’après, dans un peu moins d’un an ? Absolument pas. J’évoquerai ma reconversion au moment voulu, je l’étudie mais cela ne me prend pas la tête. Je resterai en tout cas sportif, j’ai besoin de bouger, de m’entraîner, de me fixer des objectifs et donc… de me lever. Je ne conçois pas l’oisiveté, j’ai besoin de m’épanouir, de réfléchir, de bouger. Qu’est-ce qui est le plus dur à 40 ans, qui l’était moins à 30 et forcément à 20 ? Retrouver la condition physique. En trois coups de pédales, façon de parler, un jeune est en forme très tôt. A partir d’un certain âge, il faut rouler bien plus longtemps, en heures et en kilomètres, pour atteindre le niveau espéré. La plénitude physique, je l’ai atteinte entre 27 et 33 ans. Donc, si Tadej Pogacar l’atteint aussi à cette période-là, je souhaite bien du plaisir à ses adversaires ! (rires) Vous n’avez jamais connu une période de ras-le-bol, l’envie de tout laisser tomber ? A l’époque, le mot « burn out » n’existait pas encore mais l’hiver 2011-2012 fut difficile, je suis resté six semaines sans vélo car j’avais tout, sans doute trop donné. J’ai morflé, ensuite, pour retrouver ma condition chez BMC, une équipe ambitieuse où la pression était déjà palpable… en décembre. Puis beaucoup plus récemment, mes deux premières années chez Lotto ont été les plus compliquées de ma carrière, dues à un ensemble d’éléments pas seulement liés à la pandémie ou à mes problèmes de genou. Vous verra-t-on au Tour de France fêter votre 40e anniversaire, le 5 juillet, le jour de l’étape Dunkerque-Calais ? Je veux en être ! Et donc mériter ma sélection car depuis que j’ai découvert le parcours du Tour, je l’ai tout de suite aimé. Il y a des étapes qui me conviennent, beaucoup d’opportunités et puis cette ambiance de la plus grande épreuve du monde. Je n’ai jamais eu l’intention de me réserver pour un calendrier minimaliste sous prétexte que c’est ma dernière saison. Je travaille pour être compétitif dans les épreuves de haut niveau, même si je suis aussi enthousiaste au départ de courses plus modestes. Vous avez prévu une date-butoir, une fête, un critérium ? Non ! On verra cela plus tard. Je n’exclus pas d’aller jusqu’au bout du bout, et donc jusqu’au Chrono des Nations, aux Herbiers, où j’ai de bons souvenirs (NDLR : maillot jaune du Tour de France en 2011) et beaucoup d’amis.

Votre compte

Philippe Gilbert: «Le plaisir vient seulement quand on gagne»

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en Route

Analyse Tour d’Italie: lutte finale dans les Dolomites

Tour de Norvège: succès d’étape pour Haller, Evenepoel conserve le maillot jaune

Tour d’Italie: Koen Bouwman s’offre la 19e étape, son deuxième succès sur ce Giro

Remco Evenepoel frappe fort en Norvège

Circuit de Wallonie: Pasqualon surfe sur la vague

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Le Real Madrid fait chuter Liverpool avec un Courtois héroïque et remporte sa 14e Ligue des champions (0-1, vidéo)

Débordements avant la finale de la ligue des champions: l’UEFA réagit

Festival de Cannes: les frères Dardenne et Lukas Dhont récompensés, la Palme d’Or pour Östlund (vidéo)

Portrait A 93 ans, il a participé à toutes les éditions des 20 km de Bruxelles

Ces conférences qui sèment le trouble à l’université

Vidéo Felice Mazzu à Anderlecht: c’est fait!

Tout savoir sur le pécule de vacances

Plus de 6 travailleurs belges sur 10 se disent capables de trouver un emploi ailleurs assez rapidement

Déclaration d'impôts : 5 erreurs à éviter

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel