2022 vue par Eric Deffet: Quand l’eau aura coulé sous les ponts

Prenons les paris : le 14 juillet prochain (et sans doute plus tôt pour tenter de doubler la concurrence), tous les journaux du pays, mais aussi les radios et les télévisions, marqueront le premier anniversaire des inondations catastrophiques et dramatiques de l’été précédent. Au cœur de la belle saison, il y aura sans doute une célébration, un hommage, quelque part, ce serait la moindre des choses. L’inauguration d’une plaque commémorative ou d’un monument, pourquoi pas ? La nécessité de reconstruire a désormais pris le dessus dans les discours et les actes, ce sera toujours le cas. Mais il faudra se souvenir qu’une quarantaine de personnes ont perdu la vie dans cet événement inédit, et que des milliers de personnes ont souffert. C’est un devoir pour l’année qui va débuter. Cette célébration, pourquoi pas à Esneux ou Tillf où l’Ourthe a fait de terribles ravages ? A Rochefort et Jemelle où la Wamme et la Lhomme ont noyé des quartiers entiers ? On n’oublie pas ces communes du Hainaut qui ont également souffert. Mais à coup sûr, c’est dans la vallée de la Vesdre que l’émotion devrait être la plus forte un an après des crues qui ont tout ravagé sur leur passage, laissant des paysages en ruines. Conserver les témoignages Il est impossible d’oublier ce qui s’est produit ces jours-là. Dès le 15 juillet, nous avons sillonné Verviers et les communes voisines traversées par la Vesdre. Nous y sommes retournés souvent, jusqu’à ces derniers jours. Bien sûr, la situation s’est améliorée, mais des rues par dizaines gardent les stigmates de ces funestes journées, à commencer par leurs habitants qui vivent souvent dans des conditions précaires et affrontent les rigueurs de l’hiver après les pluies de l’été. Pour 2022, il faut d’abord souhaiter que le flot continu de l’information, la course folle de nos vies et nos souvenirs souvent défaillants n’effacent pas la trace de ces événements et les visages des victimes. Leur rendre hommage, c’est d’abord garder la mémoire des journées des 14 et 15 juillet, ainsi que des suivantes, celles des constats, des travaux, des leçons à tirer pour éviter un bis. Comme le rappelle le Commissariat spécial à la reconstruction, près de 100.000 personnes ont été touchées par les inondations. Autant de drames, de malheurs, de tranches de vie douloureuses et de combats contre la fatalité dont il faut absolument conserver la mémoire. Parce que, tous ensemble, ces microrécits composent une des pages les plus importantes de l’histoire de la Wallonie, n’ayons pas peur des mots. [scald=28767756:sdl_editor_representation] Pour tenter de comprendre le phénomène de l’été et mesurer ses conséquences, des tas d’analyses, de recherches et de rapports fournissent déjà une documentation essentielle. Mais la Région wallonne veut aller plus loin et rassembler les témoignages individuels, les images et les souvenirs pour que les « petites histoires » vécues par chacun finissent par constituer la grande histoire de cette tragédie. Il s’agit à la fois de conserver la mémoire des inondations et de créer un fonds d’archives pour les générations futures et les chercheurs, mais aussi de collecter un maximum d’informations de première main qui aideront à baliser les décisions à prendre au cours des prochains mois : nouvelle cartographie des zones inondées et inondables, règles de construction, scénarios d’inondation, mesures de prévention… Le Service public de Wallonie a établi un formulaire d’enquête (1) où chaque témoin proche ou éloigné de la crise est invité à livrer les informations en sa possession. Une fois traitée, cette matière brute sera diffusée vers le plus grand nombre (2). Au fond, ne pas oublier ce qui s’est produit en pleines vacances, c’est garder le souvenir des victimes. Avant les inondations Conserver la trace de ces journées horribles permettra aux populations sinistrées de faire le deuil du drame qui les a frappées. Un autre exercice pourrait s’avérer salutaire : faire ressurgir du passé les images d’avant les inondations, celles des temps heureux, particulièrement dans la vallée de la Vesdre où les décors d’autrefois ont été transformés par l’eau et les déchets qu’elle a charriés. Souvenez-vous… La Vesdre n’est pas ce monstrueux torrent boueux qui a tout dévasté, depuis Eupen jusqu’aux portes de Liège, projetant carcasses démantibulées de voitures, meubles de jardin en miettes ou arbres déracinés sur les berges en pagaille. La rivière descendue des Fagnes a du caractère, c’est exact. A plus d’une reprise, elle avait déjà quitté son lit de manière intempestive, les gens du coin vous le diront. Les prairies qui la bordent sont parfois noyées sous l’eau et les canards y trouvent refuge. Mais pas de quoi enlever des vies, détruire des maisons, des commerces ou des entreprises, et même tuer hommes et animaux au plus profond de la vallée. La Vesdre respire d’abord le grand air, celui des hauts plateaux où elle prend sa source. Une source qui aurait pu filer vers l’Allemagne, au fond, personne ne lui en aurait voulu. Mais elle a choisi la Belgique, la Wallonie et Verviers, et longtemps, les hommes n’ont pas eu à s’en plaindre. L’eau, c’était la vie, le travail (de la laine, surtout), le pain quotidien pour le plus grand nombre, la fortune pour quelques-uns. La Vesdre sent la transpiration, celle des ouvriers courageux occupés par milliers dans les ateliers construits à même ses berges et qui rentraient chaque soir dans de modestes maisons alignées entre route et eau et qui n’ont pas toujours résisté aux flots de l’été. Au hasard d’une rue étroite ou d’une boucle de la petite rivière, il n’est pas rare d’admirer un vestige du passé industriel, aujourd’hui encore. La Vesdre enfin ne manque pas de charme. Entre les bourgs de Pepinster, Trooz et Chaudfontaine, il arrive que le paysage s’ouvre entre deux collines et montre la beauté de la vallée, plus verte qu’il y paraît. A pied, à vélo ou à moto, les amateurs de belles promenades ne s’y trompent pas. La mémoire de cette Vesdre-là, belle et paisible à la fois, comme les témoignages des habitants confrontés à l’inimaginable, aidera à passer le cap, pour éviter que les inondations deviennent un vague et lointain souvenir, quand tant d’eau aura coulé sous les ponts de notre mémoire. (1) www.wallonie.be/inondations/mémoire (2) www.wallonie.be/inondations [scald=28767755:sdl_editor_representation]

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