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«Ultracrépidarianisme» est le nouveau mot de l’année 2021

Les internautes du « Soir » et de la RTBF ont plébiscité un terme qui n’est pas propre à la crise sanitaire mais dont l’essor colle à celle-ci.

Journaliste au service Forum Temps de lecture: 4 min

Il y a eu « match » comme disent les commentateurs sportifs. Mais au bout du compte, avec 1.018 votes, c’est ultracrépidarianisme qui l’emporte et devient ainsi le mot de l’année 2021, devant iel (800 votes) et nutriscore (678 votes).

Ultraquoi  ? Ultracrépidarianisme  ! Soit ce comportement qui consiste à donner son avis sur des sujets à propos desquels on n’a pas de compétences, si l’on veut tenter de le définir le plus précisément possible.

En anglais, ultracrepidarianism existe avec un sens analogue depuis le XIXe siècle. Le terme a attendu très longtemps avant de franchir la Manche. « En français, il apparaît d’abord avec une première mention, isolée, en 2014, puis une diffusion croissante qui coïncide avec la pandémie actuelle », relève le linguiste Michel Francard, qui porte avec toute son énergie l’opération du nouveau mot de l’année.

Un terrain propice

Il y a en effet de fortes chances pour que la crise sanitaire ait offert un terrain propice à la diffusion de ultracrépidarianisme. Avec l’immense incertitude qui la caractérise, les débats d’experts qui la traversent, les désaccords passionnés qu’elle provoque… « La crise sanitaire a confronté l’humanité à des défis nouveaux et a suscité une médiatisation inédite d’experts en tous genres », analyse Michel Francard. « Vu les incertitudes persistantes sur de nombreux aspects de la pandémie, les avis de ces experts ne s’accordent pas toujours ; cela entraîne des débats passionnés, mais aussi, dans le grand public, une possible suspicion à l’égard de ces paroles “expertes”. Une autre dérive est observée : les experts surexposés à la médiatisation en arrivent parfois à s’exprimer sur des sujets en dehors de leur zone d’expertise, au risque de perdre tout crédit. À proprement parler, ultracrépidarianisme désigne ce type de comportement, qu’il s’agisse d’experts reconnus ou de pseudo-experts. »

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Des personnalités publiques comme le scientifique Etienne Klein ont pu, au cours des derniers mois, déplorer l’ultracrépidarianisme de certains. De la même manière, des médias généralistes ont repris le terme pour pointer un des maux de l’époque, participant à sa diffusion et imposant l’évidence de son utilité. « Derrière le succès du terme, je n’exclus pas une autre motivation, plus spécifique aux internautes qui participaient à l’élection du nouveau mot de l’année. Un nombre important de ceux-ci ne souhaitaient pas soutenir des propositions qui leur paraissaient un choix politique (comme iel ou wokisme, par exemple). Ultracrépidarianisme est un nom ressenti comme peu engageant d’un point de vue idéologique », souligne Michel Francard.

Une plus-value de distinction

Des termes proches existent de longue date en français. Michel Francard cite ainsi cuistrerie, pédanterie, toutologie. Selon lui, toutefois, ceux-ci présentent une différence de sens importante avec ultracrépidarianisme  : « Le travers dénoncé n’est pas celui d’un savoir qu’on affecte de posséder ou d’un vaniteux étalage d’érudition : c’est une prise de position ou un avis énoncé par quelqu’un qui prétend conserver son expertise alors qu’il n’est plus dans son domaine de compétence. En définitive, c’est peut-être avec une expression familière bien connue que l’on peut faire un rapprochement : Chacun son métier, les vaches seront bien gardées »

Ultracrépidarianisme a-t-il une chance de s’installer durablement ? S’il a donc l’avantage d’enrichir le français, il a peut-être le défaut de « traîner » une forme alambiquée. « Sa forme complexe est, à l’évidence, une difficulté pour sa mémorisation et donc pour son emploi », fait remarquer Michel Francard. « Mais la pandémie a montré que nous sommes capables de nous approprier un vocabulaire compliqué lorsque nous en avons besoin (gel hydroalcoolique, test antigénique, etc.). De plus, on sait combien certains francophones affectionnent les formes tarabiscotées parce que leur usage confère une plus-value de distinction. Rien d’impossible donc à ce que cet ultracrépidarianisme s’installe dans des contextes formels… et dans certains cafés du commerce où sévissent les ultracrépidarianistes de tout poil. »

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Les résultats des votes

Ultracrépidarianisme : 1.018 votes

Iel, ielle : 800 votes

Nutriscore (nutri-score): 678 votes

Pass sanitaire (passe sanitaire) : 590 votes

Kiffance : 507 votes

Ksaar : 506 votes

Woke : 438 votes

Covidé, -ée : 303 votes

Hater : 270 votes

Vaxxie : 51 votes

 

Les mots de l’année: knaldrang, prikspijt, vax, perseverance…

La plupart des pays européens ont leur opération du « mot de l’année ». Presque tous les termes plébiscités en 2021 font référence à la pandémie.

Journaliste au service Forum Temps de lecture: 2 min

Différents pays s’adonnent en fin d’année à l’exercice du mot de l’année ou du nouveau mot de l’année. Sans surprise, la crise sanitaire apparaît presque à chaque fois à l’avant-plan ou l’arrière-plan des termes plébiscités.

En Flandre, c’est le terme knaldrang qui l’emporte. Soit cette envie irrépressible de se laisser aller à la fête et, dans le contexte de la crise sanitaire, d’oublier cette dernière. Le mot a été popularisé par une chanson d’une artiste néerlandaise qui, dans un de ses titres, décrit avec un fort parfum de nostalgie les ingrédients de cette fête idéale.

Aux Pays-Bas, le mot de l’année 2021 est prikspijt que l’on peut traduire par le « regret de s’être fait injecter un vaccin contre une certaine maladie ». Un terme aux accents « antivax » dont le choix s’explique par une très forte mobilisation des personnes opposées au vaccin contre le covid. Sur les réseaux sociaux, celles-ci ont notamment multiplié les appels à voter.

En Angleterre, le mot vax a été désigné « mot de l’année » par l’Oxford Dictionary. Non pas vaccine donc mais bien vax, la forme abrégée qui s’est imposée au cours des derniers mois dans l’usage outre-Manche. Dans une même référence à la crise sanitaire, le Cambridge Dictionary a pour sa part désigné perseverance « mot de l’année 2021 ».

En Allemagne, Wellenbrecher a été plébiscité. Un terme que l’on peut traduire au sens littéral par « brise-lames ». Mais la pandémie a sorti le terme du domaine de la construction navale et de la protection côtière dont il est issu pour lui donner une nouvelle signification. Ainsi, Wellenbrecher fait aussi désormais référence aux mesures prises pour tenter de contrer le virus.

La Suisse romande est une exception dans ce concert de termes faisant directement ou indirectement le lien avec la pandémie, puisque c’est iel qui sort gagnant de l’opération devant les termes précarité et le pluriel variants, respectivement deuxième et troisième.

À lire aussi «Malaisant» sacré nouveau mot de l’année par les lecteurs du «Soir»

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15 Commentaires

  • Posté par Legarou Marcel, mercredi 12 janvier 2022, 21:32

    A force de confisquer le droit de parole aux masses moins éduquées et moins conformes que l’élite bobo correctement pensante, à coup d’anathèmes en isme synonymes de mépris, on s’étonnera très bientôt de l’émergence d’un fascisme ( en isme ) populaire que les mêmes élites bobo commenteront très doctement avant de le prendre dans la gueule

  • Posté par Legarou Marcel, mercredi 12 janvier 2022, 21:32

    A force de confisquer le droit de parole aux masses moins éduquées et moins conformes que l’élite bobo correctement pensante, à coup d’anathèmes en isme synonymes de mépris, on s’étonnera très bientôt de l’émergence d’un fascisme ( en isme ) populaire que les mêmes élites bobo commenteront très doctement avant de le prendre dans la gueule

  • Posté par Deroubaix Jean-Claude, samedi 1 janvier 2022, 20:12

    Le mot de l'année : Ultracrepidarianisme. dérivé d'une expression du dédain, du mépris de l'aristocratie romaine envers les cordonniers et les artisans. Je propose pour le mot de l'année : Pètoutrecul, pour désigner ces dignes successeurs des aristocrates de tous temps.

  • Posté par Giefvan Agathe, vendredi 31 décembre 2021, 11:55

    Quel concours idiot ! Quelques milliers de non-experts autosélecionnés "votent" sur un domaine qu'ils ignorent. Pas de plus bel exemple de ce que dénonce le mot qu'ils ont mal choisi.

  • Posté par Giefvan Agathe, vendredi 31 décembre 2021, 11:52

    "Ultracrepidarianism" est un mot inventé par autodérision dans un milieu d'Anglais cultivés à la Oscar Wilde. En effet il procède du défaut même qu'il dénonce. La citation originelle est "Sutor, ne supra crepidam". Pas d'ultra. Pas de crepidARIUS (puisque le cordonnier est Sutor), encore moins de crepidARIANUS (?), a minimi de crepidARIANISMUS ou ISTUS. — Mais comme toujours, quand l'érudition et la finesse sont livrées au vulgum pecus, comme les perles aux pourceaux, elles perdent vite leur brillant dans la soue. Ainsi ceux qui l'utilisent ne font que prouver leur propre ignorance de ce dont ils parlent. Il faudrait un mot pour "autoridicule" !

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