La liberté d’être libre

Invité par Pascal Vrebos, dans son émission dominicale du 19 décembre dernier, le président du CDH a déclaré ne pas être d’accord « avec l’approche de la laïcité qui condamne et méprise le fait religieux ». En soi, rien de bien grave, et Maxime Prévot a parfaitement le droit d’être en désaccord avec la laïcité, et de le faire savoir urbi et orbi. Si ce n’est que la seconde partie de sa phrase est fausse, et qu’il ne peut l’ignorer. La laïcité ne condamne pas le fait religieux – et ne méprise aucun pratiquant, de quelque religion que ce soit : elle réclame seulement pour chacun, le droit de croire ou de ne pas croire, ainsi que de pouvoir changer de religion. Et elle exige la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Maxime Prévot, président d’un parti humaniste, qui a abandonné le qualificatif de chrétien pour être pleinement politique et pleinement humaniste, ne peut ignorer cette nuance de taille. Il ne peut ignorer non plus qu’il y a dans les rangs de la laïcité, des chrétiens, des musulmans et des juifs laïques – refusant tout dogme, pratiquant le libre examen, et se conformant à la loi civile, même s’ils ont gardé des convictions religieuses. Qui serions-nous pour sonder les cœurs et les reins ? Mais nous voulons construire ensemble un monde plus libre. Est-ce un crime ?
En ces temps troublés il semble bien que oui. Dans un livre sorti discrètement aux éditions La Découverte en 2021 (1), Mohamad Amer Meziane, déroule, durant plus de 400 pages, une thèse complotiste pseudo-historique qui conclut « C’est la critique du Ciel qui a bouleversé la terre ». En fait, Meziane pointe du doigt le sécularisme qui est tout à la fois responsable du pillage des ressources naturelles, du dérèglement climatique, du colonialisme, de l’esclavage et du racisme – et sans doute des inondations de Liège, qu’on se le dise. L’auteur invente un concept pour définir ce phénomène : le « Sécularocène ». Dans sa proximité avec « Anthropocène », le terme vise à exprimer le lien indissociable selon l’auteur entre sécularisation, laïcité et bouleversement climatique.
En outre, le livre laisse transparaître l’obsession de l’auteur sur la haine atavique que l’Occident – qu’il soit « chrétien » ou « sécularisé » – vouerait à l’islam : il en fait le principal (unique ?) moteur de l’Histoire. Encore une fois, que Mohamad Amer Meziane s’exprime, c’est légitime. Mais qu’une maison d’édition de qualité comme La Découverte mette une telle thèse complotiste sur le marché, sans introduction critique, est plus étonnant. Et qu’à part le Centre d’action laïque, qui en a fait la recension, un silence de plomb ait accompagné sa parution est tout aussi étrange. Les intellectuels, si diserts ordinairement, semblent tétanisés devant la rhétorique de Meziane qui touche à l’islam, un sujet sensible s’il en est.
Jean François Kahn n’a peut-être pas lu Meziane, mais il est loin d’être tétanisé : on lui doit une superbe chronique dans Le Soir du 21 décembre, « », qui pourfend Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies (2). Leur ouvrage caracole en tête des meilleures ventes, et traite de quoi ? Des preuves incontestables de l’existence de Dieu. Et oui, on en est là ! Aux anti-vaccins, au rejet du progrès, à la platitude de la Terre, à la candidature d’Eric Zemmour, à la progression de l’extrême droite et au retour des néofascistes… et à la preuve de l’existence de Dieu. Et Kahn de conclure sa chronique par « Peut-être se souviendra-t-on de cette époque, la nôtre, le début des années 20, comme celle de la grande régression ». Et d’un recul de la Raison.
C’est ce devoir de Raison qui incite aujourd’hui le mouvement laïque à vouloir inscrire la laïcité dans la Constitution. Pas un sursaut laïcard contre le « fait religieux ». S’il y a des transformations fondamentales à apporter à notre société pour que chacune et chacun puissent y vivre dans la dignité – et il y en a, c’est indéniable et c’est urgent –, ce n’est pas en multipliant les différences et les clivages, en les essentialisant, en déclenchant des polémiques d’une violence inouïe sur les réseaux sociaux, en pratiquant le tweet et l’invective, que cette société nouvelle verra le jour. C’est en unissant nos efforts. En gardant notre capacité critique mais en mariant la sensibilité à la raison. La violence aveugle qui se lève aujourd’hui, son pouvoir de fragmentation de la société, son instrumentalisation par des forces politiques et religieuses même pas occultes, et sa progression dans les médias sont inquiétantes. En ce 21e siècle, marqué par une pandémie sans précédent, marquée aussi par le réchauffement climatique et l’éco-anxiété qu’il génère, ces menaces planétaires demandent des réponses globales et porteuses d’avenir. Les jeunes l’ont compris depuis longtemps. La liberté d’être libres – et libres ensemble – n’est plus simplement la devise du mouvement laïque : c’est aussi un guide de survie.
(1) Des empires sous la terre. Histoire écologique et raciale de la sécularisation. Editions la Découverte
(2) Dieu, la science, les preuves. Editions Tredaniel La Maisnie.
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Mme De Keyser est psychologue de l'ULB et s'est fait jeter par son parti (le PS) pour son initiative d'avoir rencontré Bashar El Assad en plein conflit syrien. C'est assez savoureux qu'elle nous parle ici de "liberté", soit. Mohamed Amer Meziane est agrégé et docteur de philosophie, actuellement chercheur et lecteur à l'Université Columbia de New York, pas moins. Je n'ai pas lu l'ouvrage de 352 pages mais je m'étonne qu'il se fasse dézinguer en quelques lignes de ce billet. En particulier, philomag.com présente l'ouvrage tout autrement et je me rends compte combien l'approche de Meziane semble proche de celle de l'Église catholique (écologie, pillage de la terre, épuisement des ressources et perte du lien sacré). J'ai une éducation catholique dont je me suis affranchi depuis longtemps mais j'ai eu la grande chance de renouer avec la Foi. Comme beaucoup de monde, Mme De Keyser confond ici foi, religion et prosélytisme. À cet égard, le prosélytisme du CAL est certainement destructeur de liberté, quoiqu'elle en pense. Je ne connais que les Quakers à qui le prosélytisme est interdit. Et ils sont très proches des groupes internationaux pacifistes qu'ils ont souvent eux-mêmes fondés.
On confond de plus en plus la liberté octroyée et garantie par un système démocratique, avec un libertarisme égoïste, stupide, sans limites et totalement méprisant des autres... et de leurs libertés.
"... il y a dans les rangs de la laïcité, des chrétiens, des musulmans et des juifs laïques – refusant tout dogme, pratiquant le libre examen, et se conformant à la loi civile". ??? Tout croyant accepte forcément des dogmes et réfute de ce fait le libre examen. Et contrairement au christianisme, l'islam n'admet pas la séparation du religieux et de l'Etat.
@ Moriaux Il est question dans cet article de musulmans, juifs ou chrétiens qui auraient la foi tout en pratiquant la liberté de penser... ce qui est une impossibilité manifeste puisque toutes les religions ont des dogmes et des consignes qui doivent être respectés. Quant à avoir la foi sans appartenir à une religion ou à une secte, à moins de s'imaginer être en contact direct avec un dieu...
Collin. Vous confondez foi et religion. C'est hélas fréquent.