Philippe Gilbert: «Champion olympique, c’est comme président, on le reste toute sa vie»

Le cadre est enchanteur. A flanc de montagne, la résidence de Philippe Gilbert offre une vue imprenable sur le massif alpestre. Perdue dans le parc national du Mercantour, la station de ski d’Isola 2000 a récemment dit adieu aux derniers skieurs pour laisser place à la quiétude de l’intersaison. C’est là qu’on retrouve Philippe Gilbert. Seul et donc tranquille depuis une dizaine de jours, le coureur de BMC a le temps de revenir sur un printemps capricieux et se projette sur les championnats de Belgique et les JO. Deux objectifs qui pimenteront son été et devront lui servir de tremplin pour la suite. Philippe, on vous attendait sur le Giro, on vous retrouve à Isola 2000 pour un stage de préparation individuel. Avec quel objectif à moyen terme ? J’ai l’habitude de faire des stages, donc me retrouver seul pendant plusieurs jours, faire la mécanique, me faire à manger, cela ne me dérange pas. Je fais ma petite vie et à partir du moment où vous roulez déjà entre cinq et six heures par jour, je peux vous dire que les journées filent. Je ferai le Tour du Luxembourg à partir du 1er juin, j’enchaînerai ensuite avec le Tour de Suisse avant d’arriver au championnat de Belgique. Justement, cette année le circuit des championnats de Belgique aux lacs de l’Eau d’Heure semble taillé pour un coureur comme vous ? Je l’ignore, le parcours est vallonné, mais on sait tous qu’un championnat, c’est avant tout une loterie. On l’a vu l’année passée (avec la victoire finale de Preben Van Hercke, NDLR). Je ne sais pas combien de mecs il y avait devant, mais c’était vite très compliqué de réagir. D’autant quand on est confronté, depuis plusieurs années, au problème de l’infériorité numérique… Je pense qu’il vaut mieux, des fois, être seul que quatre ou cinq. L’avantage d’être complètement seul, c’est qu’on sait d’avance qu’on ne devra pas travailler. Si vous être quatre ou cinq, vous devez malgré tout assumer votre part du travail. C’est le problème des Belges de BMC. Le Tour du Luxembourg débutera le 1er juin, le but c’est d’y arriver dans quel état de forme ? C’est la première fois que je le fais, donc c’est un peu le flou. Ma position sur le vélo n’est plus la même (suite à sa triple facture du majeur gauche, NDLR), mais il faudra voir en course parce qu’à l’entraînement, vous avez beau enchaîner les heures, c’est complètement différent. Je ressens encore des douleurs, mais je préfère avancer et voir au fur et à mesure ce dont je serai capable. Vous regrettez d’avoir fait l’enchaînement Amstel-Flèche Wallonne sans être à 100 % après cet incident avec un chauffeur à l’entraînement ? Oui, c’était une grosse erreur évidemment. Mais quand tu as travaillé pendant des mois pour arriver au sommet de ta forme, que tu as consenti tous les sacrifices et que tu as toute une équipe qui te pousse, c’est dur de dire non. J’ai voulu essayer, mais je n’aurais pas dû partir. Le problème, c’est que tant que ce n’est pas une jambe cassée qui nous empêche de bouger, on a toujours envie d’essayer, mais je pense que, des fois, les conseils doivent venir de gens plus expérimentés. Je pense au directeur sportif ou au docteur. Ne pas aller à Liège, c’était ma décision, pas la leur. Ce n’était pas prévu au départ, mais, avec les derniers événements, la question que tout le monde se pose, c’est de savoir si on a une chance de vous voir sur le Tour de France. Je connais le programme, mais je ne sais pas si je peux déjà en parler publiquement. Après, le Tour, je m’en fous complètement et depuis quelques années déjà… J’espère ne pas devoir y aller en tout cas, c’est tout ce que je peux dire. [scald=1071556:sdl_editor_representation] A défaut du Tour, on imagine que les JO de Rio constituent un réel objectif par contre ? Je ne suis pas allé en repérage pour les pré-olympiques où il n’y avait pas grand monde. Il est donc difficile de savoir qui en sera le favori. Ce qui est sûr, c’est que ce sera dur. Après, cela reste une course d’un jour. Ils sont beaucoup dans le peloton à comparer cela à une course d’étape dans un grand Tour. Mais avec cinq coureurs maximum pour les meilleures nations, c’est impossible de contrôler. On l’a bien vu en 2012 à Londres (victoire de Vinokourov, NDLR) sur un parcours facile, les Anglais ont voulu contrôler, mais, après 140 bornes, c’était déjà fini et la course a été très ouverte. Ce n’est pas forcément un circuit promis à un grimpeur comme beaucoup le disent ? Si, c’est dur, mais c’est un peu comme le Tour de Lombardie. On dit toujours que c’est une classique pour les grimpeurs et, à la fin, il y a des mecs comme moi qui arrivent à se placer quand ils sont bien. Je crois que ça reste possible donc. Ça représente un rêve, les Jeux ? C’est la chose la plus importante qu’on puisse faire dans notre sport, donc oui. Même si, en Belgique, on n’a pas cette culture des olympiades à l’échelon des cyclistes, pour moi, une médaille olympique, ça reste le rêve ultime. Je me rappelle avec Axel (Merckx, NDLR) en 2004 à Athènes, les retombées étaient énormes pour lui. Ce n’était “qu’une troisième place”, mais c’est là qu’on s’est rendu compte de l’impact que cela pouvait avoir sur une carrière. Axel est plus connu pour sa médaille que pour n’importe laquelle de ses victoires. Vous êtes de nature discrète, vous n’avez jamais cherché à être dans la lumière, mais, en revanche, l’or olympique vous fait rêver pour tout ce qu’il représente en termes d’image. C’est paradoxal, non ? Si dans cinquante ans quelqu’un me demande ce que j’ai fait dans la vie et que je lui réponds que je suis champion olympique, je pense que j’ai tout dit. Il n’y a rien de comparable. Allez, peut-être gagner trois fois le Tour de France, oui… Ça veut dire qu’une médaille olympique, c’est mieux qu’un Tour des Flandres, dans votre esprit ? Oui, c’est beaucoup plus important en termes de retentissement. Je le vois avec Samuel Sanchez qui a été champion olympique en 2008 à Pékin. Il est connu mondialement et partout où on va, il y a des Espagnols qui viennent le saluer. Champion olympique, c’est comme président, on le reste toute sa vie. Quel regard portez-vous sur la jeune génération ? Il y a quelques années, je me posais des questions, mais là je pense qu’il y a un bon vivier qui arrive. Et puis, depuis quelques années maintenant, la Ligue belge a mis en place un travail plus professionnel. Tous les jeunes passent leurs vacances scolaires en stage aujourd’hui, mais en montagne alors que, nous, on allait à Butgenbach ou à Spa. On ne montait jamais de col, par exemple. Les choses sont en train de changer. [scald=1071547:sdl_editor_representation] Vous n’avez pas l’impression de revoir vos jeunes années dans la façon de courir que peut avoir Tim Wellens ? Oui, c’est vrai, il commet un peu les mêmes erreurs que j’ai pu faire au début par excès d’enthousiasme. Il y a une part de panache aussi. Pareil, je partais dans le final de la Flèche wallonne à cinquante bornes de l’arrivée, mais à la régulière contre les mecs de l’époque, je savais que j’allais me prendre quarante secondes rien que sur le Mur. Maintenant, les jeunes peuvent gagner, nous, on savait qu’on ne pouvait pas. Souvent, je me disais qu’avant d’exploser, j’allais tenter quelque chose. Il y a peu de temps, on a cité votre nom chez Astana. Ce qui est certain, c’est qu’à bientôt 34 ans, vous abordez le dernier chapitre de votre carrière. Vous en savez déjà plus sur votre avenir ? Je m’étais dit que si j’allais jusqu’au championnat du monde en 2019, cela ferait vingt ans de championnats sans interruption (championnats du monde espoirs compris, NDLR). Cela aurait été un record. Malheureusement, je crois qu’avec les Mondiaux de cette année au Qatar, ça va tout mettre en l’air. Parce que j’ai cru comprendre que ceux qui iront aux Jeux n’iront pas au championnat du monde. On verra de quoi mon avenir sera fait, mais une chose est sûre, c’est que j’ai envie de continuer et de connaître encore quelques belles années. Pour l’instant, je cherche la meilleure possibilité. Ça vous stresse, cette situation ? Je ne pense pas avoir la pression, parce que l’envie et la passion sont là. Cela fait quelques années que j’ai des pépins tout le temps et, malgré ça, je me bats toujours pour revenir au plus haut niveau et, à chaque fois, j’y arrive. C‘est la preuve que le goût du sacrifice est toujours là.

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