Sol LeWitt continue à faire bouger les lignes

Ça tangue, ça vibre, ça éblouit, ça hypnotise… Dans la première grande salle de l’exposition Sol LeWitt, un long Wall Drawing accueille les visiteurs en brouillant instantanément le regard. « C’est drôle, on dirait que ça bouge », s’étonne un adolescent accompagné de ses parents. « Je ne sais pas si ça bouge mais moi en tout cas, j’ai l’impression de tanguer », rétorque le père. Ils sont nombreux à éprouver le même genre de sensations face à l’œuvre colorée du géant américain de l’art conceptuel. Dès la fin des années 60, celui-ci bouscule le petit monde de l’art contemporain avec ses peintures gigantesques réalisées directement sur les murs des lieux qui l’accueillent. Né en 1928, il a tout juste quarante ans lorsqu’il écrit en 1968 un texte essentiel (Sentences on Conceptual Art) dans lequel il revendique le fait que le concept d’une œuvre soit plus important que l’œuvre elle-même. Et il le prouve avec ses Wall Drawings pour lesquels il rédige systématiquement un protocole précis permettant à d’autres que lui de réaliser l’œuvre en l’adaptant chaque fois aux spécificités du lieu où elle doit être présentée. [scald=28815951:sdl_editor_representation] C’est ainsi qu’il est possible aujourd’hui de présenter au Musée juif de Belgique une exposition dont certaines œuvres sont peintes directement sur les murs près de 15 ans après la disparition de l’artiste. Respectant scrupuleusement les indications du protocole rédigé par celui-ci, des étudiants de trois écoles d’art bruxelloises ont travaillé à leur réalisation sous la houlette d’un assistant professionnel. Le résultat est superbe et instantanément reconnaissable. Car l’univers de Sol LeWitt, bien que basé sur des éléments aussi simples que les lignes, la géométrie, la sérialité, se distingue nettement de celui des autres artistes travaillant dans la même veine. Un art éphémère et reproductible L’intérêt de l’exposition est de l’expliquer intelligemment tout en montrant les différentes facettes de son travail. Au rez-de-chaussée, on découvre donc ce grand Wall Drawing divisé en cinq parties égales contenant chacune des lignes partant dans « les quatre directions de base » selon les termes de LeWitt. Son titre : Wall Drawing # 368 fait simplement référence au numéro d’ordre de cette création figurant parmi les 1.350 dessins muraux que l’artiste réalisa durant sa carrière. Comme ses prédécesseurs, il disparaîtra à la fin de l’exposition pour renaître ailleurs, sous d’autres mains, dans un autre lieu. [scald=28815954:sdl_editor_representation] Travaillant sur les lignes, les couleurs, la géométrie, Sol LeWitt créait des œuvres dont la rigueur n’élimine nullement la poésie ni la pulsion de vie. Au contraire. On le constate dans la petite salle voisine où des plans, photos et dessins préparatoires accompagnent une passionnante vidéo racontant comment il conçut la synagogue de Chester dans le Connecticut : un mélange de recherches historiques, de voyages en Europe autour des anciennes synagogues polonaises en bois et d’application de ses principes sur la géométrie et la couleur. Le tout donne naissance à un bâtiment extraordinaire dont l’étoile de David soutenant la toiture ne doit rien à la religion mais tout aux anciens moulins à eau… En montant au premier étage, on peut passer un peu distraitement devant une série de dessins, photos et autres documents dont les reproductions sont projetées à même le mur. C’est pourtant l’un des moments forts du parcours, non par la qualité intrinsèque des documents, mais par la manière dont leur succession retrace la manière dont un lien indéfectible est né entre l’artiste et la Belgique. Cartons d’invitation et autres documents témoignent de ses premiers pas dans notre pays à la Galerie MTL en 1972 et nous emmènent jusqu’à ses dernières visites à la Galerie Meert-Rihoux en 2005, deux ans avant sa disparition. Entre les deux, c’est toute une histoire qui déborde largement du simple cadre des expositions. Sol LeWitt en Belgique : des amis de 30 ans On découvre ici de petits dessins préparatoires pour certaines réalisations, des lettres, des cartes postales dans lesquels l’artiste raconte son séjour belge, une photographie lors d’un colloque à La Cambre où on le retrouve aux côtés de Nicole et Herman Daled et de Jacques Charlier. Le même Charlier dont un savoureux dessin résume l’ambiance de ladite réunion faisant apparaître les pensées plus ou moins avouables de chacun des participants. [scald=28815953:sdl_editor_representation] D’autres documents témoignent de ses expositions au Palais des beaux-arts, au Musée d’Ixelles, à Gand, à la Galerie Vega à Plainevaux, mais aussi et surtout de ses réalisations belges en collaboration, le plus souvent, avec l’architecte Charles Vandenhove. Du pavement du hall d’entrée de La Monnaie à ses réalisations pour le CHU de Liège ou la Maison heureuse à Ans, en passant par le gigantesque Wall Drawing du Mamac à Liège (aujourd’hui La Boverie), c’est toute une histoire s’étendant sur plus de trente ans qui défile sous nos yeux. Les œuvres en trois dimensions sont également de la partie. On découvre notamment un de ses fameux Incompleted Open Cube dans une salle aménagée par la fondation Vandenhove et revenant sur diverses collaborations entre l’artiste et l’architecte. D’autres Wall Drawings, conçus dans les années 80 et réalisés par tamponnage, montrent comment, au fil du temps, LeWitt intégra d’autres formes et d’autres couleurs à sa palette de base, créant une œuvre bien plus variée qu’on ne le pense. Sans oublier les superbes gouaches sur papier réalisées, elles, de la main de l’artiste et lui permettant de déborder de son cadre habituel. On découvre ici des lignes ondulantes, soit colorées, soit noires sur fond noir pour une des pièces les plus fascinantes d’un parcours permettant véritablement de toucher du doigt la réalité de l’art conceptuel au vingtième siècle. « Sol LeWitt. Wall Drawings/Works on Paper/Structures » jusqu’au 1er mai au Musée juif de Belgique, rue des Minimes 21, www.mjb-jmb.org

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