Risquer sa vie au travail, une réalité qui doit être reconnue
La pandémie de Covid-19 aura fait office de signal d’alarme, en montrant clairement que le travail est un vecteur essentiel de la propagation du virus. Ici aussi, il faut écouter les travailleurs, plaide l’Institut syndical européen de recherche.

Le travail peut être et est malheureusement encore trop souvent une cause de maladies. Malgré cette évidence, le travail n’est pour ainsi dire jamais pris en compte comme facteur causal dans les données de santé publique. Sur ce point, la pandémie de Covid-19 aura fait office de signal d’alarme, en montrant clairement que le travail était un vecteur essentiel de la propagation du virus. Les décisions en matière de santé restent cependant adoptées sur la base d’éléments de santé publique dans lesquels la santé et sécurité au travail (SST) constitue un angle mort.
Imaginez un peintre qui consulte son médecin. Il souffre régulièrement de maux de tête – surtout en fin de semaine –, s’évanouit parfois au travail et a de plus en plus de troubles de la mémoire. Sa femme se plaint par ailleurs de ses accès d’agressivité qui ne lui ressemblent pas du tout. Le médecin ne demande pas à son patient le type de travail qu’il effectue et lui prescrit quelques semaines de repos. Après cela, le peintre reprend son travail, alors même que – ce qui aurait été évident pour n’importe quel expert en SST – c’est l’exposition aux solvants présents dans la peinture qu’il utilise qui est la cause de ses problèmes de santé. Le peintre passe par plusieurs de ces cycles de travail et de repos forcé jusqu’à ce que, finalement, sa femme lise quelque chose sur le syndrome psycho-organique (POS), ou « maladie des peintres », dans un magazine et en reconnaisse les symptômes. Mais il est déjà trop tard pour faire disparaître la maladie et le peintre reste gravement handicapé pour le reste de sa vie.
Si les systèmes de surveillance et d’enregistrement des données sanitaires incluaient la SST comme un facteur causal possible, à l’instar des facteurs comportementaux individuels comme le tabagisme, l’abus d’alcool et les régimes alimentaires malsains, ils seraient davantage en mesure de rendre compte dans toute leur complexité des causes des maladies et des inégalités en matière de santé de la population. Les systèmes d’enregistrement des cancers constituent un bon exemple à cet égard. Si les études tenaient compte des antécédents professionnels des patients, elles permettraient de mieux comprendre dans quelle mesure les agents cancérigènes et mutagènes présents sur le lieu de travail sont responsables de (certains) cancers dans la population générale. Ces données contribueraient à renforcer les arguments justifiant l’adoption de mesures de prévention des travailleurs (personnel infirmier, ouvriers, agents de nettoyage…) mis en danger sur leur lieu de travail par leur exposition à des substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques mortelles qui causent désormais plus de 100 000 décès par an dans l’Union européenne.
La pandémie braque les projecteurs
En montrant clairement que le travail était un vecteur essentiel de la propagation du virus, et que les travailleurs de nombreux secteurs et professions couraient un grand risque de contamination, la pandémie de Covid-19 a fait office de signal d’alarme. Les contaminations sur le lieu de travail ont compromis le fonctionnement de services essentiels tels que les soins de santé et les transports publics, et elles ont créé un risque pour la santé de la population dans son ensemble. Il suffit de penser, par exemple, aux travailleurs du secteur de la transformation de la viande qui ont été mis en quarantaine après qu’un grand nombre d’entre eux avaient été infectés, pour éviter qu’ils ne contaminent d’autres personnes.
Ce lien manquant entre SST et Santé publique reste néanmoins d’actualité. Cela a clairement été démontré lors du processus de classification du virus de Covid-19 dans le cadre de la directive sur les agents biologiques. Un panel exclusivement composé d’experts en santé publique n’a considéré que le taux de mortalité de la maladie, en négligeant totalement les facteurs de contagiosité et les conditions de travail.
Pour les experts en SST, il était clair dès le départ que les conditions de travail présentaient un risque intrinsèque de contagion, tant en raison des caractéristiques inhérentes aux différents types de travail (contacts avec les clients/patients, proximité des collègues, impossibilité d’appliquer les règles d’hygiène de base, basses températures, etc.) qu’en raison de certains facteurs liés au travail (comme les déplacements vers le lieu de travail dans des transports publics bondés ou les mauvaises conditions de logement, avec un trop grand nombre de personnes vivant très près les unes des autres). Mais les spécialistes de la SST n’ont pas été impliqués dans le processus de classification. Résultat : le coronavirus ne s’est pas retrouvé dans la catégorie de risque la plus élevée (4), mais dans la catégorie inférieure (3), alors qu’il a tué bien plus de personnes que le virus Ebola, par exemple, classé dans la catégorie de risque la plus élevée.
On ne peut qu’en conclure que les experts en SST devraient être impliqués dans les processus de décision sur les questions de santé publique. Les considérer comme des parties prenantes importantes ne serait pour le moins que de la bonne gouvernance. Il ne faut pas oublier non plus l’expertise des travailleurs eux-mêmes. Le travail tel qu’il est mis en œuvre dans la pratique est souvent très différent du travail tel qu’il est conçu – un constat bien connu en ergonomie. Souvent, les travailleurs sont non seulement les meilleurs, mais aussi et surtout les seuls experts capables de signaler les risques pour la santé et la sécurité au travail dans un contexte professionnel spécifique.
*Chef d’unité à l’Institut syndical européen (ETUI) de recherche
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Titre idiot: tout le monde risque sa vie partout, pas seulement au travail.