Accueil Opinions Cartes blanches

Tour de Babelge

Les francophones sont toujours à la traîne dans l’apprentissage du néerlandais. Pour l’auteur de cette carte blanche, le problème est davantage socioculturel qu’institutionnel.

Carte blanche - Temps de lecture: 5 min

Ces derniers temps, les téléspectateurs flamands sont de plus en plus souvent les témoins de l’éloquence politique, ainsi que des diatribes de Georges-Louis Bouchez. Certains observateurs flamands s’étaient peut-être déjà délecté des tweets électriques du président du MR, tous peuvent donc maintenant l’entendre critiquer un des gouvernements dont son parti est membre dans les studios de Terzake , De afspraak ou encore De zevende dag . En français, nota bene. Monsieur Bouchez a beau étudier le néerlandais depuis quelque temps, il se contente pour l’instant d’écouter les questions dans la langue de Vondel et d’y répondre dans la langue de Molière. C’est déjà pas mal, penserez-vous, et on ne peut nier que prend un air de belgitude décontractée. Mais il est pourtant de coutume que les politiciens francophones échangent leur éloquence naturelle contre une rhétorique bien plus laborieuse, simplement pour faire l’effort de s’adresser à nos voisins du nord dans leur langue. Si « GLB » ambitionne vraiment de devenir Premier ministre, le pin’s noir-jaune-rouge ne suffira pas et il devra bien se lancer un jour en espérant faire un peu mieux qu’Élio Di Rupo avant lui. Mais précisons-le tout de suite : il s’agit ici d’une minorité de valeureux politiciens wallons et bruxellois, l’écrasante majorité évite les micros de la VRT et de VTM comme si c’était un nouveau variant du coronavirus.

Etre élève francophone : un drame ?

Il ne serait donc pas correct de vouloir lyncher le patron des bleus francophones à ce sujet car, au contraire de bien d’autres, il fait au moins mine de s’intéresser à la plus grande communauté du pays (notons toutefois que son analyse de « ce qui vit en Flandre » témoigne par moments d’une grande ignorance des réalités sur le terrain). D’ailleurs, il est le premier à admettre et regretter avoir été victime de l’enseignement francophone belge, point sur lequel il devrait être sur la même longueur d’ondes que son ex-ministre bilingue Jean-Luc Crucke. En effet, quel drame pour une personne ambitieuse que d’être née sur le sol wallon ! Il y a une forte probabilité qu’elle termine ses études sans parler d’autres langues que le français, ce qui constitue un handicap non négligeable dans cette Belgique de plus en plus néerlandophone. Sans même parler de l’Europe et du reste du monde où, faut-il le souligner, le multilinguisme est la norme et non pas l’exception. Comment expliquer à nos voisins du nord (flamingants et belgicains) que la majorité des Wallons et Bruxellois soient autant attachés à la Belgique, alors qu’ils ne manquent pas une occasion de casser du sucre sur la prétendue tonalité « barbare » de notre plus grande langue officielle ? Langue qu’en outre la plupart négligent d’apprendre. À quoi ces gens sont-ils donc attachés ? Pas aux Flamands ni à leur culture, me semble-t-il.

Un problème socioculturel

Avec un peu de recul, il semble tout à fait logique et raisonnable que l’apprentissage du néerlandais soit obligatoire en Wallonie. Mais le vrai problème n’est pas institutionnel, il est socioculturel. Nos politiciens, même s’ils sont conscients du problème et enclins à le résoudre, ne peuvent forcer leur peuple à apprendre une langue dont ils ne veulent pas sans que cela ait des conséquences pour eux aux prochaines élections. Et même si, par un réel souci d’équité ou pour faire preuve de bonne volonté envers la Flandre, les Georges-Louis Bouchez et autres repentis se décidaient à choisir la voie du courage politique en obligeant l’apprentissage d’au moins deux des trois langues officielles, les jeunes wallons n’en deviendraient pas forcément plus polyglottes. Non pas parce que l’étude du néerlandais prendrait trop de place sur les disques durs des petits wallons par rapport à la langue anglaise si cruciale, ce qui est un argument faisant montre de peu de connaissances linguistiques. Mais plutôt parce que l’apprentissage des langues étrangères à l’école doit être accompagné d’une exposition à ces mêmes langues dans la vie de tous les jours pour avoir un minimum de sens. D’ailleurs, les jeunes flamands ne parlent plus aussi bien le français que leurs aïeux ! À l’image du président de Vooruit Conner Rousseau, la présence de notre langue s’évapore toujours plus au nord du pays, malgré les nombreux francophiles qui y résident. En revanche, ils comprennent et parlent en général bien mieux l’anglais que leurs homologues francophones, parce qu’ils sont plus souvent en contact avec cette langue. À lire aussi #VisapourlaFlandre: du miel aux oreilles

Ignoré par les chaînes francophones

Voilà bien le cœur du problème : promouvoir la francophonie et sa tradition littéraire internationalement est un projet merveilleux qui mérite notre soutien, mais est-il vraiment nécessaire d’entendre James Bond et Homer Simpson parler français ? Je n’oublierai jamais mon effroi, la sensation d’avoir été trahi, la première fois que j’entendis, assis sur un canapé anversois, la vraie voix de Will Smith et non pas celle de son doubleur. Ou encore : pourquoi n’entend-on jamais, mais alors vraiment jamais, de chansons flamandes à la radio, ne voit-on jamais de films et émissions belges néerlandophones sous-titrés à la télévision francophone ? Cela causerait-il vraiment des maux de tête au Wallon moyen de rêvasser sur les chansons de Madou ou de rire aux éclats aux sketchs de De Ideale Wereld ? Certains diront qu’il n’est pas dans l’intérêt de la RTBF de diffuser des créations de la communauté flamande, mais il n’y a alors pas plus d’intérêt pour la chaîne publique de partager les productions hollywoodiennes et françaises, ce qu’elle fait pourtant assez souvent.

Les mesures allant dans le sens du multilinguisme en Wallonie sont gratuites et faciles à prendre, ne reste donc qu’un manque de volonté comme seul obstacle. Si elles étaient implémentées de façon systématique dans notre vie culturelle, les bénéfices pour la connaissance des langues étrangères seraient énormes, bien plus que par le biais d’une obligation de tel ou tel cours à l’école. La curiosité est le moteur principal d’un apprentissage efficace et cette curiosité doit être stimulée, en trempant régulièrement dans le grand bain des langues et cultures qui nous entourent. Il est temps de briser la cage de verre médiatique qui nous fait croire que la planète tourne autour du soleil selon les règles du Bescherelle. Il en va de l’avenir économique wallon, mais aussi de l’avenir belge tout court. Sinon, je ne vois pas de quel droit les francophones pourraient s’offusquer le jour ou la Flandre dira pour de vrai Bye Bye à la Belgique. Georges-Louis, can you hear me ?

 

À lire aussi #VisapourlaFlandre: du miel aux oreilles

Le fil info

La Une Tous

Voir tout le Fil info

5 Commentaires

  • Posté par Moriaux Raymond, vendredi 4 février 2022, 11:08

    Oui bon, d'accord. Ceci dit, une langue s'apprend avec d'autant plus d'entrain qu'on y trouve, sinon du plaisir, au moins un intérêt identifiable et qu'on y est pas contraint. Or, si on voit assez vite l'intérêt d'avoir appris le français quand on a été Flamands, la réciproque n'est pas vrai du côté francophone. De plus, être placé de facto dans l'obligation d'apprendre le néerlandais parce qu'il s'impose de plus en plus partout et avec une arrogance certaine, ça n'est pas du tout une stimulation positive. Dans cette perspective, apprendre le néerlandais s'apparente à une sorte de soumission, de renoncement, d'abandon face à un ennemi supérieur en nombre, en recherche permanente de revanche et qui ne connaît qu'une seule devise : "vae victis". Je sais que tout est toujours mieux au nord qu'au sud de ce pays et que, parfois, c'est vrai. Mais faire semblant d'accepter ou d'ignorer cette conception impérialiste de l'usage de la langue qu'on parle, fait exception à ce principe.

  • Posté par Schoenaers Jeffrey, mardi 8 février 2022, 9:41

    Merci à vous, c'est bien dommage qu'il soit exceptionnel de répondre aux commentaires car c'est quand même ça qui ouvre le débat. Je comprends votre lassitude au sujet de la surenchère entre régions, dans bien des cas les ministres respectifs cherchent plus à se démarquer de leurs homologues francophones et inversement plutôt que de penser à la meilleure solution. Mais je préfère séparer le socio-culturel de la politique, la vie est plus belle ainsi.

  • Posté par Moriaux Raymond, vendredi 4 février 2022, 19:14

    M. Schoenaers. Merci de votre réaction. Il est exceptionnel que l'auteur réponde à un commentaire. Mais, pour faire court, l'actualité du jour (booster de ados en Flandre) me semble amener de l'eau à mon moulin ...

  • Posté par Schoenaers Jeffrey, vendredi 4 février 2022, 14:48

    Entièrement d'accord avec votre deuxième phrase, c'est d'ailleurs le message principal de cette carte blanche. Stimuler l'intérêt d'apprendre le Néerlandais (mais aussi d'autres langues!) de façon plus palpable par la culture et autres plaisirs qui nous viennent de Flandre (et si vous en douteriez, je vous assure qu'il y en a beaucoup) sans forcément le rendre obligatoire à l'école. L'obligation tue l'envie, on est d'accord. Néanmoins, vous m'accorderez qu'un "intérêt identifiable" ne peut naître dans la méconnaissance quasi totale de l'autre et de sa culture. Si le Néerlandais est réduit à l'état de "langue du nationalisme flamand", il est évident qu'aucun Wallon ne voudra s'y attaquer. Avec un peu de bonne volonté, on devrait pouvoir voir plus large. Toutefois, vous avez raison: l'entêtement des nationalistes flamands sur les questions linguistiques, frôlant parfois la schizophrénie, n'est effectivement pas une stimulation positive. Mais je ne peux que regretter votre utilisation du mot "soumission", car c'est à mes yeux la même sorte d'emphase utilisée par la NV-A et autres, qui confine tout échange culturel aux aléas des joutes communautaires. Beaucoup de nationalistes flamands ne se rendent plus compte de la richesse intellectuelle accumulée au fil du temps par leur francophilie, eux aussi voient cela comme une faiblesse qui n'a plus lieu d'être. Mon espoir, c'est que les francophones arrivent à s'élever au-dessus de ce genre de pensées pour saisir la valeur qu'une langue historiquement liée à la nôtre et économiquement attractive peut avoir sur leurs vies. Ce serait une victoire sur le revanchisme flamand plutôt qu'un abandon. Du reste, je vous remercie pour votre commentaire qui donne à penser!

  • Posté par collin liliane, mercredi 2 février 2022, 11:56

    Un petit rappel, juste pour rire un peu... Laurette Onkelinx en 1996: "Tous les élèves seront bilingues au sortir du secondaire en 2001".

Aussi en Cartes blanches

Voir plus d'articles

Le meilleur de l’actu

Inscrivez-vous aux newsletters

Je m'inscris

À la Une