En France, comment le pavillonnaire a changé d’image

Jean-Laurent Cassely est l’auteur, avec Jérôme Fourquet, du livre « La France sous nos yeux » (Seuil). Journaliste à L’Express et à Slate, il est spécialiste des modes de vie et des territoires. Il analyse la mutation des lotissements pavillonnaires, un monde hérité du modèle américain. [scald=28855961:sdl_editor_representation] Vous parlez d’un modèle « Plaza majoritaire » en France. De quoi s’agit-il ? C’est un clin d’œil à l’animateur de télé Stéphane Plaza. Ce n’est pas anodin que l’animateur préféré des Français soit un agent immobilier ! Ça dit quelque chose de l’obsession des Français pour le logement alors que ce thème ne fait jamais débat dans les présidentielles. La moitié des Français habitent une maison individuelle. Mais quand on les interroge dans les sondages, ce sont plus de 80 % d’entre eux qui aspirent à ce mode de vie. On y retrouve toujours les mêmes constantes : l’importance du foyer, du cocon, du jardin et surtout de la voiture sans laquelle rien n’est possible, ni le travail, ni les courses au centre commercial. Le pavillon, c’est le logement typique de la classe moyenne ? Souvent, mais pas toujours. Une maison individuelle peut en fonction de son standing et de sa localisation valoir de 200.000 à un million d’euros. C’est donc dans certains cas un habitat bourgeois. Ce sont les lotissements plus anciens, plus éloignés des grandes métropoles ou situés en périphérie des villes moyennes, qui sont habités par les classes moyennes et populaires. Des zones qui font le lit de l’abstention voire des populistes ? Oui, même si ce sont encore souvent des zones perçues comme de droite parce qu’elles apparaissent comme le prolongement d’un état d’esprit individualiste, d’autant que les zones pavillonnaires sont des mondes de propriétaires alors que les grandes villes sont des mondes de locataires. Les grandes métropoles abritent à la fois les très riches et les très pauvres, bénéficiaires de logements sociaux. Les familles de classes moyennes optent pour le périurbain parce qu’elles y ont plus d’espace. A noter que les classes intellectuelles et les élites politiques résident plutôt dans les centres-villes, d’où un décalage culturel entre ces deux France. Ces lieux ont souvent été décriés. La ministre du Logement a parlé des zones pavillonnaires comme d’un non-sens écologique… Il y a longtemps eu un imaginaire négatif, lié à une forme d’aliénation individualiste. Une critique récurrente, c’est qu’il n’y aurait pas de lieux de vie, d’espace de rencontres, de socialisation, hormis dans les grandes zones commerciales avoisinantes. C’est très intéressant de voir que les gilets jaunes avaient justement investi les ronds-points, qui sont comme un indice archéologique, un « carbone 14 » de ces zones pavillonnaires. Les ronds-points en sont devenus les nouvelles places publiques. [scald=28855974:sdl_editor_representation] Mais les choses évoluent ? Oui et la crise du covid a encore accentué cette évolution. On assiste dans les premières couronnes des villes, mais aussi dans les territoires périurbains à une forme de gentrification. Juste avant le premier confinement, des Parisiens ont fui la capitale pour des locations saisonnières au vert, y compris dans des pavillons. Certains ont même décidé de s’y installer. Je suis convaincu que cela donnera lieu à des hybridations. On verra des espaces de coworking dans les lotissements et de la permaculture dans les jardins des maisons Phénix. Ce métissage social se traduira sûrement aussi sur le plan politique. Les lotissements sont encore amenés à s’étendre ? Politiquement, c’est un modèle devenu difficile à défendre, notamment à cause du tout voiture. Mais les Français continuent de le rechercher. En revanche, ce sont des logements qui se prêtent très peu au marché secondaire. C’est presque un urbanisme « jetable ». Les ménages veulent du neuf. Du coup, on construit souvent de nouveaux lotissements, en extension des anciens. On pourrait voir apparaître des friches pavillonnaires comme on a vu apparaître des friches industrielles puis des friches commerciales. Les zones pavillonnaires bénéficient d’un nouveau regard ? Il y a quelques années encore, « Télérama » parlait de « la France moche »… Il y a une sorte de retour en grâce du pavillonnaire. On ne parle plus comme on parlait avant de ces zones qui restent pourtant encore des terres inconnues pour beaucoup de citadins qui n’y ont pas grandi et qui n’ont pas le permis. Il n’y a pas d’Uber là-bas ! Mais je suis frappé de voir qu’il y a toute une nouvelle génération, une « deuxième génération » qui a grandi dans ces pavillons qui est aujourd’hui fascinée par ces espaces. Des auteurs comme Nicolas Mathieu ou Olivier Adam ont très bien décrit ces univers. Et les créateurs des séries télévisées « Les Revenants » ou « Mytho » leur ont même conféré une aura poétique.

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