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Dans des conditions scandaleuses, les travailleurs de l’ombre font aussi le succès de l’Expo universelle de Dubaï

Dubaï est un paradis pour les touristes et les investisseurs. En revanche, les travailleurs de la construction venus de l’étranger, essentiellement d’Asie, y vivent un véritable enfer.

Carte blanche - Temps de lecture: 4 min

Avec l’approche de la Coupe du monde de football en décembre 2022 organisée au Qatar, les projecteurs médiatiques sont tournés depuis des années sur les conditions de travail longtemps difficiles des travailleurs étrangers. Le Golfe est un vaste chantier à ciel ouvert qui nécessite l’immigration de millions d’ouvriers venant en grande partie d’Asie, sans qui il serait impossible de surmonter de tels défis logistiques. Longtemps, le Qatar a été montré du doigt comme le vilain petit canard en matière de droits élémentaires de ces travailleurs, en oubliant largement qu’il n’existait absolument aucun embryon de droit du travail dans l’ensemble des pays du Conseil de Coopération des pays du Golfe. Alors que le progrès est en marche au Qatar, avec l’édification du premier droit social de la région grâce au soutien et l’accompagnement de l’Organisation internationale du travail, la focale est beaucoup moins faite sur ce qui se passe aux Emirats arabes unis, qui sont à la peine par manque d’une véritable prise de conscience sur le terrain de l’urgence de faire de même notamment à Dubaï. Les intérêts que nous avons avec ce pays semblent souvent condamner nos dirigeants au silence. Il est dommage que l’Exposition universelle, où ils se rendent tous en fanfare, ne recueille que des tresses de lauriers dans les médias internationaux, en oubliant d’alerter sur la face noire et les coulisses sombres de cet événement mondial.

Car depuis 20 ans, la ville est la vitrine du pays, construite de toutes pièces, surgie du désert, et est devenue un « paradis » pour les touristes. On en vante les atouts régulièrement, on s’y rend par avions complets depuis le monde entier. Mais tout n’est pas rose : absence de droit du travail, prostitution étrangère, blanchiment d’argent, repaire d’anciens dirigeants internationaux peu fréquentables, etc. Dubaï, c’est beaucoup moins ce « havre de paix » pour les travailleurs étrangers qui l’ont bâtie sous la coupe des Emiratis et des entreprises étrangères.

Des millions de travailleurs exploités

En effet, le rapport récent du cabinet de conseil international Equidem coordonné par Mustafa Qadri, qui vient de paraître, souligne la batterie d’irrégularités qui ont eu lieu lors de la préparation de Dubaï 2020. Dans « EXPOsed, discrimination and forced labor practicies at Expo 2020 Dubai », on y découvre encore qu’à l’image des 70 personnes interviewées, des millions de travailleurs sont toujours en réalité confrontés à l’exploitation et à des conditions de travail apocalyptiques. Comme le mentionne le cabinet basé à Londres et spécialisé dans les droits sociaux, dans ces pays, il y a souvent d’une part la loi qui peut changer et son application sur le terrain qui est souvent rendue difficile et demande du temps. Du coup, on passe souvent outre pour gagner du temps. Mais au fond, les gouvernements sont toujours responsables en cas d’échec et de violation patente du droit : le rapport a en effet déclaré que le gouvernement des Émirats Arabes Unis n’avait pas réussi à démontrer suffisamment depuis des mois que ses engagements en faveur du bien-être des travailleurs lors de l’Exposition universelle, avaient progressé de manière significative.

Abolir cet esclavage moderne

Hélas, on retrouve en vrac nombre d’infractions classiques que l’on retrouve dans la région et dont on accusait obsessionnellement le Qatar avant : paiement de frais de recrutement illégaux, confiscation des passeports par les employeurs, travail forcé et mauvaises conditions d’hébergement et d’alimentation. Mais Doha a aboli le système ancestral de « kafala » depuis cinq ans, ce système de parrainage qui rendait dépendant totalement le travailleur de ses « parrains », les Emirats ne l’ont jamais fait. Nombre de travailleurs interviewés dans le cadre de ce rapport se sont plaints de ne pas avoir touché de salaires pendant des mois en pleine pandémie. Tout cela devient d’autant plus inacceptable qu’il est impossible désormais de cacher tout cela, surtout si l’on est dans la stratégie du « soft power », et que l’on se lance depuis des années dans l’organisation d’événements à fort retentissement international. C’est cela l’exposition avant tout.

Nos dirigeants qui viennent visiter l’Expo universelle qui dure encore jusqu’au 31 mars 2022, doivent d’urgence se saisir de la question. La région du Golfe tout entière a à y gagner : chaque pays du Conseil doit se moderniser et s’ouvrir, qui plus est dans des sociétés majoritairement d’immigration, à la fois procurant un haut potentiel de travail et d’argent, mais source aussi inédite de développement. Le rapport d’Equidem représente une analyse complète de la situation du travail à l’Exposition universelle, qui peut servir de base de discussion et d’échange. Alors que les Emirats ont une image souvent écornée au Moyen-Orient, par des ingérences à tout va et le soutien au retour de dirigeants autoritaires dans la région, l’événement international géant a aussi pour but de redorer son blason. C’est donc aussi l’occasion de pouvoir dire les choses à leurs dirigeants et qu’il faut sortir au plus vite de ce système d’esclavage moderne, dont nous profitons tous indirectement.

 

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1 Commentaire

  • Posté par Lecocq Annie, mardi 8 février 2022, 8:08

    "Dans des conditions scandaleuses, les travailleurs de l’ombre font aussi le succès de l’Expo universelle de Dubaï" Ca n'a pas empêché Philippe et Mathilde de s'y rendre. Elle avait mis de grandes lunettes foncées, peut-être pour ne pas voir ce qui s'y passe en coulisses. Elle a aussi changé X fois de tenues, ça non plus ça ne la dérange pas !

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