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Limitons la médecine à la prestation, pas le nombre de médecins

La limitation des numéros Inami et plus largement l’accès aux études en médecine sont à nouveau à l’agenda politique. L’accès rapide et démocratique aux soins de santé pour tous doit être préservé.

Carte blanche - Temps de lecture: 5 min

Le 10 décembre, un projet de loi demandant le respect strict des quotas, et donc limitant très fortement le nombre de numéros Inami accordés, a été approuvé en commission santé de la Chambre. Dans un contexte de pénurie médicale qui s’aggrave d’année en année, et alors que la pandémie continue de menacer notre système de soins, le gouvernement s’obstine à vouloir à tout prix limiter les numéros Inami accordés aux jeunes médecins.

Selon les estimations, d’ici à 2024, les universités belges devraient diplômer entre 100 et 400 médecins « de trop ». De trop par rapport à ce que demandent les hôpitaux ? De trop par rapport à ce dont la population belge a besoin ? Rien de tout cela. Ces étudiantes et étudiants sont « surnuméraires » par rapport à un système de quota de numéros Inami que délivre le gouvernement fédéral, et sans numéro Inami, impossible d’exercer la médecine.

Un accès aux soins limité

Depuis 1997, l’autorisation de pratiquer la médecine est soumise, via l’octroi de numéros Inami, à une limitation au niveau fédéral, qui est ensuite réparti entre les communautés . À l’époque, l’idée derrière le fait de limiter le nombre de médecins était de limiter les coûts pour la sécurité sociale (théorie de la « demande induite par l’offre »). Avec moins de médecins, moins d’actes, moins de prescription… et donc moins de coût ! Mais moins de médecins, loin de permettre en réalité de diminuer les coûts, a surtout limité l’accès aux soins de santé pour un nombre croissant de personnes.

Aujourd’hui, la pénurie médicale continue de s’amplifier, comme le démontrent de nombreux rapports depuis des années . Pour les gens, cela signifie des mois et des mois d’attente pour des rendez-vous chez des spécialistes, des villages qui perdent leur dernier médecin généraliste ou encore des dizaines de familles sur liste d’attente pour s’affilier à une maison médicale.

La médecine générale, une première ligne forte

L’importance de la médecine générale a été particulièrement visible depuis le début de la pandémie covid qui touche notre pays. Une première ligne forte permet par exemple une meilleure pédagogie en matière de vaccination, un accès plus rapide au testing, un contact tracing proche des gens ou une meilleure prévention. Il est donc clair que la force de la première ligne est une des clefs pour la lutte contre la pandémie.

Enfin, un nombre trop faible de médecins ne menace pas seulement la santé des patients, mais également les conditions de travail des soignants. Moins de médecins n’entraîne pas moins de coût, mais moins de santé, une pratique dans de moins bonnes conditions, et in fine une gestion des soins de santé plus chaotique et contre-productive.

Un cadastre nécessaire

Les étudiants, à qui on demande tant lors de leurs études et dont les bras et les cerveaux sont si indispensables à notre système de soins, ne peuvent pas être menacés par des jeux politiques. Ils doivent être respectés et recevoir toutes et tous un numéro Inami en fin de parcours.

Notre pays a besoin d’une planification réellement calquée sur les besoins de la population, sur base d’un cadastre dynamique et intelligent de l’offre médicale actuelle et à venir. Ceci ne peut être obtenu qu’à travers un système de planification plus local, en fonction des besoins de zones de soins réellement connectées à la réalité, et en particulier dans le cadre d’une première ligne forte et accessible.

Cette demande correspond aux avis émis dans le passé par plusieurs académiques, syndicats professionnels et organisations étudiantes. Les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités, et arrêter d’aggraver la situation d’un système de soins de santé à bout de souffle.

La régionalisation croissante des compétences de santé, en particulier avec la sixième réforme de l’État, ne permet pas de mener une politique efficace. Confier aux communautés l’application de quotas eux-mêmes fixés par le fédéral, ou encore scinder la médecine préventive (gérée par les régions et communautés) de la médecine curative (fédérale) n’a aucun sens.

Débattre d’une médecine « à l’acte »

La médecine « à l’acte », qui consiste à rémunérer les médecins en fonction d’une série d’actes précis, doit pouvoir être débattue. De par sa nature, elle mène non pas à une adéquation entre soins et besoins, mais à une médecine à deux vitesses (surconsommation de soins d’une part, sous-consommation de l’autre), et mène à des inégalités absurdes de rémunération entre médecins. Bien souvent, elle empêche de prendre le temps d’une prise en charge holistique et de qualité. Il faut laisser aux médecins le temps et les ressources de déployer une médecine de qualité. Des alternatives doivent pouvoir être soutenues, comme l’avait proposé il y a quelques années le Pr Jan De Maeseneer (3) .

Nous demandons que chaque étudiant en fin de cursus puisse bénéficier d’un numéro Inami, et la suppression du système actuel de quotas, au profit d’une planification alternative. Les besoins doivent être évalués clairement au moyen d’un cadastre dynamique et précis. Enfin, la première ligne doit être renforcée dans son rôle de pierre angulaire du système de soins de santé.

(1) Selon la clef de répartition dite « clef d’Hondt ».

(2) 75 % des communes en Flandre et 50 % des communes wallonnes sont en pénurie de médecins généralistes, 40 % des Bruxellois n’ont pas de médecin traitant, et les spécialités comme la gériatrie et la psychiatrie voient leur situation s’aggraver :

« Jaarverslag 2008 », Federaal Kenniscentrum voor de Gezondheidszorg , 2008, p46.

VRT NWS, « Drie Op de Vier Gemeenten Zijn ‘Arm Aan Huisartsen’, Maar

Hoe Problematisch Is Dat ? En Zijn Er Oplossingen ?, » VRT NWS : Nieuws, September 28, 2021

« Wallonie : La Liste Des 146

Communes En Pénurie Ou En Pénurie Grave de Médecins Généralistes, » 2021.

VRT NWS, « Tandarts Uit Herenthout Start Zelf Met Facebookgroep ‘Ik

Vind Geen Tandarts’ Om Tekort Aan Te Klagen, » VRT NWS : Nieuws, October 12, 2021.

Frieda Matthys, « Ja, Er Is Nog Steeds Een Tekort Aan Psychiaters, » Artsenkrant, December 12, 2018.

« België Kampt Met Tekort Aan Geriaters », De Standaard, 2016.

(3) Ancien Vice-Doyen de la faculté de médecine de l’Université de Gand.

 

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2 Commentaires

  • Posté par Dupont Vincienne, mercredi 9 février 2022, 20:47

    C'est amusant de voir les marxistes défendre le marché (laissons ceux qui le souhaitent étudier la médecine et s'installer et laissons ensuite faire la concurrence) tandis que les libéraux qui nous gouvernent, les De Croo et autres De Block défendent le rationnement et la planification de ce secteur économique par l'Etat.

  • Posté par Moriaux Raymond, lundi 14 février 2022, 10:01

    Dupont. Je dirais plutôt que "la gauche" souhaite que tout le monde ait accès, aisément, à des soins de qualité et que "la droite" se soucie avant tout de préserver le niveau de vie de sa clientèle de médecins +/ fortunés. Sans parler de la guérilla communautaire, présente ici comme ailleurs, qui oppose les bons et intelligents Flamands aux idiots et fainéants francophones...

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