«Plus belle la vie» a fait son temps

Son sort n’est pas encore définitivement scellé mais de gros nuages noirs colorent l’horizon marseillais de Plus belle la vie a annoncé ce jeudi Le Figaro : après 17 années à l’antenne sur France 3, et la bagatelle de 4.500 épisodes diffusés, un point final serait mis à la série emblématique en juin. Au conditionnel puisque l’information n’a pas été confirmée par France Télévisions qui, interrogée par Le Parisien, s’est empressée de tempérer : « Notre contrat avec Newen (la société qui produit le feuilleton, NDLR) s’arrête le 31 décembre 2022. Passée cette date, la fin de Plus belle la vie (PBLV), dont les audiences sont en baisse, est une possibilité. Mais ce n’est pas la seule. Nous avons simplement rouvert les discussions, comme il y a deux ans. » Si le couperet n’est pas encore officiellement tombé, la série qui a pour cadre le quartier imaginaire du Mistral à Marseille pourrait tout de même faire les frais de l’érosion des audiences constatée depuis plusieurs saisons. Alors qu’elle comptait 4,5 millions de fidèles en 2016-2017 (pour 18 % de parts d’audience) en moyenne, la série aurait graduellement perdu depuis une bonne part de ses inconditionnels, tombant à 3,7 millions en 2018-2019, 3,4 millions en 2019-2020 et, pour la saison en cours, à 2,5 millions (soit 10 % de parts de marché). Insuffisant, semble-t-il, pour un programme diffusé dans la tranche stratégique du 20 heures en France et qui est un des plus chers de l’antenne, rapporte le Figaro, avec un budget de 30 millions d’euros par an. En Belgique, PBLV est diffusé sur Tipik en milieu d’après-midi avec des audiences largement inférieures à 100.000 spectateurs. Outre une certaine usure, le plus vieux feuilleton quotidien de la télévision française subirait aussi la concurrence directe de Demain nous appartient et d’Ici tout commence diffusés depuis 2017 et 2020 sur TF1. Vents contraires Tout n’a pas toujours été rose du côté du bar du Mistral, quand il a ouvert ses portes fin août 2004 sur France 3. A ses débuts, la série essuye même plutôt des mistrals contraires avec des audiences qui peinent à décoller. Les critiques pleuvent, auxquelles le directeur de France 3 de l’époque Remy Pfimlin fait face. « Au début, ce n’était qu’un truc ennuyant à mourir, centré sur les valeurs républicaines, citoyennes et nobles », notait un ancien directeur des programmes de France Télévisions. [scald=28883999:sdl_editor_representation] C’est précisément sa réactivité et sa capacité d’adaptation qui expliquent le succès et la longévité, inédite pour un feuilleton français, de Plus belle la vie. Souplesse quand, en pleine période covid, en novembre 2020, l’actrice Malika Alaoui (Mila dans la série) est « cas contact ». Enregistrée à flux tendu, la série ne peut se permettre de s’arrêter le temps de la quarantaine de l’actrice. Elle a recours à la technologie du deepfake, utilisée notamment par Laurent Canteloup dans son émission sur TF1, pour les épisodes diffusés du 26 novembre au 28 décembre, grâce à laquelle l’actrice est numériquement remplacée dans les séquences où elle devait apparaître. On n’arrête pas une machine qui représente, rapporte alors la productrice de la série, de « 800 à 1.000 contrats d’intermittents chaque mois ». Souplesse, mais surtout réactivité. En 17 saisons, Plus belle la vie, qui a fait des carrières de comédiens, a embrassé et parfois anticipé des questions sociétales en abordant les thèmes de l’homosexualité, du racisme et de l’euthanasie, encore tabous en France en 2004. Conçue dès l’origine en réaction à la téléréalité pour exposer une autre facette de la société française, elle s’est volontairement inscrite dans une veine réaliste même si les personnages affrontent des situations parfois tordues et souvent violentes – ce qui lui vaut à l’occasion d’être rebaptisée Poubelle la vie. « On n’a jamais entendu des sujets comme le Ramadan, les sans-papiers, le sida, l’avortement, etc., tous dans une même série française », se réjouissait la spécialiste des séries Marjolaine Boutet, il y a une dizaine d’années sur Slate. Un miroir Elle a ainsi réussi à coller au plus près des préoccupations des Français et à l’air du temps – ou à rester dans le « politiquement correct », selon le point de vue – grâce notamment à son mode de production : les épisodes sont tournés très peu de temps avant leur diffusion et chacun se déroule sur une journée, souvent en phase avec le calendrier. Dans PBLV, on célèbre Noël, la victoire des Bleus à la Coupe du monde de football, ou vote pour les présidentielles, quasiment à l’unisson avec les téléspectateurs. Il est même arrivé que certaines scènes soient ajoutées en dernière minute, comme l’incendie de Notre-Dame de Paris, pour mieux coller à l’actu. [scald=28884000:sdl_editor_representation] « Nous n’avons pas la prétention d’être le journal télévisé », rappelait néanmoins son producteur Hubert Besson, « on ne peut pas montrer d’images de guerre. On peut parler d’un attentat, mais seulement sur son côté sentimental, sur la tragédie, pas sur un type qui se fait exploser. Nous sommes dans la réalité sociale, mais avec un prisme. La réalité est trop dure. On ne peut pas parler frontalement des gens qui meurent de froid dans la rue. Il faut trouver un angle, via nos personnages. » Et l’originalité de PBLV est d’avoir mis en scène des personnages à part entière, pour tendre un miroir à la société française, et non des « cas » (l’homosexuel typé, le musulman, le toxicomane…). Pour certains d’entre eux (Blanche Marci, Mirta Torres ou encore Roland Marci), ils sont d’ailleurs présents depuis la saison 1, ce qui en fait des compagnons de longue date pour les spectateurs, attentifs au moindre changement de casting ou à la moindre déprogrammation ; France 3 s’est déjà attiré les foudres du public quand certains matchs de Roland Garros s’éternisaient, occasionnant un retard dans la diffusion du feuilleton. Chaque chose en son temps. Mais pour Le Figaro, c’est entendu, Plus belle la vie a fait le sien.

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