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L’experte Aude Merlin sur la guerre en Ukraine: «Bien malin qui pourra faire changer d’avis Poutine»

Vladimir Poutine a annoncé ce jeudi une opération militaire en Ukraine pour « défendre les séparatistes » de l’est du pays, malgré le tollé international et les sanctions infligées par l’Occident.

Temps de lecture: 6 min

Des forces terrestres russes sont entrées sur le territoire ukrainien ce jeudi matin. Dans ce contexte, Le Soir a invité Aude Merlin, chargée de cours en science politique et spécialiste de la Russie et du Caucase à l’ULB, à répondre à vos questions. En voici le résumé.

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Question de Michel : qu’est-ce qui a déclenché cette opération ? Pourquoi maintenant ?

Ce qui a déclenché cette opération, c’est une succession d’événements depuis de nombreuses années. Et, notamment, le fait qu’une part du peuple ukrainien ait souhaité, par l’exercice de ses droits de citoyens, exprimer son souhait : voir son pays être un peu plus régi par l’Etat de droit et un peu moins par la corruption. En d’autres mots, se rapprocher des valeurs européennes, et non pas suivre un chemin qui se rapprocherait du « modèle russe », à savoir un pays autoritaire où l’Etat de droit est mis à mal. Nous pourrions développer pendant des pages ce qui a conduit à cette opération. Plus directement, pourquoi maintenant : il y a sans doute une part d’opportunité pour Poutine : la nouvelle administration Biden, le nouveau chancelier allemand, la présidentielle en France. Un calcul, peut être, sur le fait que l’Ukraine continuant à moderniser son armée, c’était le moment pour l’armée russe avant que l’Ukraine se consolide davantage. Il y a aussi le calendrier interne russe et l’échéance de 2024, avec en Russie même, une érosion de l’adhésion de la population.

Question de Amina et Arthur : est-ce que la Russie a les moyens d’envahir « militairement » l’Ukraine ou d’autres pays ? Peuvent-ils réellement gagner sur le terrain ? Qui peut vraiment résister à l’armée russe ? Est-ce que les soldats ukrainiens peuvent faire le poids ?

Les deux armées, russe et ukrainienne se sont fortement modernisées ces dernières années. L’armée russe a fait un bond gigantesque (cf. le nouveau livre d’Isabelle Facon) depuis 2008, l’armée ukrainienne depuis 2014. Les experts militaires disent que pour envahir toute l’Ukraine il faudrait 500.000 hommes russes sur le territoire ukrainien. Une chose est d’attaquer, une autre est de tenir un pays. La motivation des Ukrainiens est très grande, et des bataillons volontaires existent en parallèle. L’opinion publique russe n’est pas fortement euphorique en soutien à cette campagne militaire, cela peut aussi, peut-être, jouer un rôle.

Question de Stefaan : Poutine risque-t-il, à un moment, de perdre le soutien de la population russe ? L’a-t-il d’ailleurs ?

Dans un régime autoritaire, il est très compliqué de savoir exactement ce que pense l’opinion publique. Mais ce que l’on parvient à identifier, c’est que contrairement à l’élixir puissant en termes d’adhésion patriotique qu’a été pour la population russe l’annexion de la Crimée en 2014, cette fois-ci, la population russe est mitigée. Elle soutient mollement, et je pense même qu’elle a peur. Les Russes ont perdu des milliers d’hommes en Tchétchénie au cours des deux guerres (1994-1996 ; 1999-2009). De plus, la population russe n’est pas hostile à la population ukrainienne. Cela dit, il est très difficile d’exprimer son opinion aujourd’hui en Russie. Les manifestants qui sortent dans la rue sous forme de « piquets isolés » pour dire non à la guerre se font arrêter immédiatement. Et le pouvoir n’est que peu influençable par l’opinion publique.

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Question de Japhy et Cécile : qui peut raisonner Poutine ? Comment peut-on le faire changer d’avis ? des sanctions trop fortes cela se retournerait également contre l’Europe et serait difficilement tenable sur le long terme pour nos économies et nos sociétés ?

Faire changer d’avis Poutine, bien malin qui peut savoir comment faire. L’Ukraine a une dimension obsessionnelle chez lui. Il ne peut se résoudre au fait qu’un Etat indépendant ukrainien ait vu le jour. Nul ne sait ce qui se serait passé si les exigences posées par Poutine en décembre 2021 avaient rencontré l’assentiment de l’Otan et des USA. Pour Poutine, l’UE n’existe pas. Tant qu’elle n’a pas de politique de défense, ce qui pourrait être dissuasif, elle n’est pas prise au sérieux par Poutine. En 2014, certains analystes disaient : « La Russie est l’otage de M. Poutine. M. Poutine est l’otage des décisions qu’il a prises ». Je crois qu’il veut laisser une trace, et pour lui l’émancipation de l’Ukraine est impensable, insupportable.

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Question de Dimitri : pouvons nous esperer que la diplomatie gagne ou tout l’inverse que Poutine est lance dans une guerre sans merci face au monde ?

Comme vous le dites, il faut que la raison triomphe pour éviter ces atroces pertes humaines. Il ne faut pas oublier que la volonté de l’Ukraine de porter sa candidature à l’Otan est directement liée aux menaces qui pèsent sur sa sécurité. Avant 2013, 20 % seulement des Ukrainiens disaient vouloir voir leur pays intégrer à terme l’Otan. Après l’annexion de la Crimée (18 mars 2014) et le début de la guerre dans le Donbass (avril 2014), la part de la population ukrainienne souhaitant voir l’Ukraine à terme dans l’Otan a augmenté jusqu’à plus de 60 % aujourd’hui (avant cette nuit). Le scénario d’une forme de « finlandisation » a été évoqué par certains experts. En tout cas, il faut trouver une solution qui garantirait à la fois la souveraineté et la survie de l’Ukraine comme État indépendant et qui permettrait à la Russie de sortir la tête haute, de retirer ses troupes, et aux autorités russes de revenir à la raison. Rappelons que l’Otan ne menace pas l’intégrité territoriale de la Russie, qu’il y a un partenariat Otan-Russie depuis 1994, que l’Acte fondateur Otan-Russie de 1997 a précédé l’intégration de la Pologne, de la République tchèque et de la Hongrie, que M. Eltsine était présent lors des cérémonies d’adhésion de ces 3 États. Et que dans les années 1990, les autorités russes n’excluaient pas que la Russie rejoigne elle même la communauté euroatlantique.

Question de Valérie : est-ce le plus grand conflit en Europe depuis la 2e guerre mondiale ?

Attention, sous le choc de la nouvelle, certains observateurs utilisent des superlatifs. Que veut dire le plus grand conflit ? En ex-Yougoslavie, en Tchétchénie, dans les Grands lacs en Afrique, en Erythrée, au Yémen il y a eu des guerres très meurtrières, effroyables et qui ont fait plus de morts qu’en Ukraine qui est en guerre depuis 2014. Sous cette formule, je crois qu’il y a l’effroi et la conscience que cette déflagration concerne tout le continent européen. D’où cette formule, mais que je trouve abusive. Je vous renvoie à la phrase de Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ».

 

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3 Commentaires

  • Posté par Philippe Lambert, jeudi 24 février 2022, 11:41

    Il semble qu’aucune option militaire ne soit disponible pour aider l’Ukraine. Dès lors et malgré une résistance héroïque des forces ukrainiennes, on peut prédire une invasion complète du pays, l’exil du gouvernement Zelensky et l’établissement d’un gouvernement fantoche aux ordres de Poutine, voire l’annexion de l’Ukraine à la Fédération. Les décisions du Conseil de sécurité de l’ONU se voient opposer un veto de la part de la Russie. De « terribles » sanctions diplomatiques et économiques sont cependant prises par l’Occident, mais anticipées par Moscou elles n’ont qu’un effet très relatif. En mesure de rétorsion, la Russie suspend notamment l’approvisionnement en gaz de l’Europe et conduit des cyberattaques inventives et vicieuses contre les entreprises et institutions, en Europe et d’autres pays, dont nombre sont encore insuffisamment protégées. Question : nous sommes là le 15 mars 2022, qu’est-ce qu’on fait après ?

  • Posté par Jeanine Delhait, jeudi 24 février 2022, 11:17

    encore une fois les mauvais politiciens sont responsables d'une guerre qui était évitable, mais leurs egos démesurer, intérêts financiers immoraux et le non respect du droit international sont prioritaire sur la vie de gens innocents. décidément ils n'apprennent rien de l'histoire ou de la vie ces gens. quant a la legalitee ou non de la chose est ce quelqu'un a mi des sanctions aux americains pour leurs occupation de la syrie? c'est un pays qui m'est pas en guerre contre l'otan que je sache. donc les américains peuvent occuper des pays et tuer des innocents sans aucune répercussion ou conséquences mais les russes ne peuvent pas faire la même chose? ou est la logique?

  • Posté par dams jean-marie, jeudi 24 février 2022, 10:33

    En overdose d'experts ! Tout le monde il est "crédule " tous les grands de ce monde décadent cachés derrière les traités , les alliances , les réunions se sont moqués de Poutine qui n'oserait pas ! Eh bien il l'a fait !! Triste pour toutes les victimes qui ne seront pas de politiciens qui créent ces guerres !!

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