François Hollande sur l’Ukraine: «Poutine pensait qu’il n’y aurait pas de réaction majeure»

L’ancien président français a bien connu Vladimir Poutine, avec lequel il a négocié en 2015 les accords de Minsk. Il a reçu Le Soir et les journaux de LéNA. [scald=28907872:sdl_editor_representation] Comment jugez-vous la réaction de l’Union européenne ? Les Européens sont allés au-delà de ce qui se faisait habituellement après une agression. Que manque-t-il encore pour être à la hauteur de la gravité de l’acte commis par Vladimir Poutine ? De suspendre les livraisons de gaz et de pétrole. C’est le plus douloureux, pour l’économie russe mais aussi, je le reconnais, pour les consommateurs européens. Mais c’est la seule manière d’assécher les ressources financières de la Russie, même si hélas, depuis plusieurs années, Vladimir Poutine a constitué des réserves importantes pour faire face à un éventuel embargo. Vladimir Poutine n’a obtenu, en quelques jours, que l’exact contraire de ce qu’il souhaitait. Oui. Il a provoqué une Union européenne comme il n’était pas évident de l’imaginer il y a encore quelques jours, un renforcement de l’Otan, ce qu’il redoutait, et une échelle de sanctions qu’il n’avait jamais connue jusque-là, sans oublier un isolement international dont il aura à souffrir. Même la Chine, d’une certaine façon solidaire de la Russie, ne l’est pas au point de voter contre la résolution à l’ONU, puisqu’elle s’est abstenue. Elle n’est pas ravie de voir une remise en cause des frontières en Europe, elle qui est si attachée à la sécurité de l’ordre juridique. Cette crise peut-elle renforcer l’idée d’une défense européenne ? Oui. Tout conflit produit le pire, on le voit en Ukraine, et peut aussi préparer le meilleur, une sécurité supplémentaire pour les Européens. La prise de conscience est forte, dans tous les pays, que nous ne pouvons pas simplement nous en remettre au bouclier américain pour garantir notre sécurité. Nous devons, au sein de l’Otan, disposer d’une Europe de la Défense. Cette idée a considérablement progressé ces derniers jours, avec les décisions majeures du chancelier Scholz. Sur deux points, il marque une rupture avec la politique de l’Allemagne : fournir des équipements militaires à un pays en conflit et accepter de porter l’effort de défense à plus de 2 % du PIB. Cette exigence vaudra pour l’ensemble des pays européens. L’Ukraine demande l’adhésion à l’UE : qu’en pensez-vous ? L’urgence n’est pas de faire rentrer l’Ukraine dans l’UE, mais de faire sortir la Russie de l’Ukraine. Quand cet objectif sera atteint, il y aura des procédures sans doute très accélérées pour permettre d’accueillir l’Ukraine dans l’Union, mais nous n’en sommes pas là. Faut-il envisager une intervention des forces alliées ? Nous n’avons ni la volonté ni les moyens d’intervenir militairement en Ukraine. C’est déjà une évolution importante pour les pays de l’UE ou de l’Otan de livrer des armes à l’Ukraine, mais nous ne sommes pas des pays belligérants. C’est d’ailleurs ce que cherche Vladimir Poutine. Sa déclaration sur le nucléaire est faite pour nous provoquer, créer à la fois une pression contre la livraison d’armes et nous désigner comme belliqueux pour nous conduire à un conflit que nous ne voulons pas voir dégénérer. Il veut faire peur à notre opinion publique et créer un état de tension qui pourrait fragiliser nos démocraties. Pour l’instant, il n’y parvient pas, si j’en juge par la mobilisation citoyenne en faveur de l’indépendance de l’Ukraine. Vous connaissez Vladimir Poutine : tout cela était-il inscrit dans l’Histoire ? Ce qui était inscrit dans la tête de Vladimir Poutine depuis longtemps, c’est de retrouver l’influence de la Russie sur les pays de l’ex-Union soviétique. Il ne savait pas très bien comment y parvenir, ni dans quel délai. Il procédait par étapes et en saisissant toutes les opportunités. Or, reconnaissons que depuis quelques années, il a marqué des points face à un Occident indifférent ou tétanisé : en Syrie, c’est lui qui s’est imposé et a sauvé le régime de Bachar el Assad ; il a continué en Libye, a poursuivi en Afrique ; et surtout, il a pu mettre au pas la Biélorussie, il a été opportuniste au Kazakhstan en faisant intervenir son armée et a laissé faire le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan pour mieux mettre sous tutelle ces deux pays. Avec la somme de tous ces gains, il s’est senti sans doute ivre de ses succès, prêt à agir en Ukraine, en pensant qu’il n’y aurait pas de réaction majeure. Il s’est trompé. Tout cela procède d’une rationalité, pas d’une paranoïa que certains évoquent ? Non, hélas, il est assez lisible et ne comprend que le rapport de force. Et quand il n’y a rien qui résiste, il avance ! Ce fut le cas quand le président Obama n’est pas intervenu après avoir parlé de ligne rouge en Syrie, quand la présidence Trump a été complice de Poutine pour ne rien exiger de lui, et quand la présidence Biden a opéré un retrait pur et simple d’Afghanistan, il a alors pensé que son principal rival, les Etats-Unis, était en position de faiblesse. Cela a-t-il été une erreur ou une naïveté d’essayer de négocier jusqu’au dernier instant ? Ce n’est jamais une erreur de dialoguer et négocier. Si erreur il y a eu, ça a été de penser que Vladimir Poutine disait la vérité et qu’il ouvrait une porte à la discussion, alors qu’il claquait la porte sur les doigts des Occidentaux. Vous avez passé des heures de négociations avec Vladimir Poutine : comment cela se passe face à un tel dirigeant ? Il fallait prendre beaucoup de temps. Parfois passer une nuit entière, et puis encore une matinée, sans avoir dormi pour faire pression jusqu’au bout. Ne pas tomber ni dans le jeu de ses colères, plus ou moins feintes, ni de sa douceur, plus ou moins sincère. Il fallait rester convaincu qu’on pouvait aboutir à condition que le rapport de forces s’exerce et que l’Europe soit cohérente. Le fait d’être deux dans la négociation, avec la chancelière Merkel, était aussi un atout important.

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