John Turturro: «Aborder un nouveau genre apprend beaucoup»

Il fut le visage de Pino, le raciste détestant les Afro-Américains de Do the Right Thing de Spike Lee. Celui aussi de Jesus Quintana, dans The Big Lebowski des frères Coen. Du frère d’Adrian Monk dans la série du même nom. Ou l’acteur américain de Mia Madre de Nanni Moretti. Mais aussi la tête pensante des films comme Mac (caméra d’or à Cannes, en 1992), Illuminata ou Apprenti Gigolo. John Turturro est de ces artistes qui semblent capables de tout faire, ou presque. Et qui, surtout, continuent de prendre des risques malgré leur carrière établie. Ainsi, alors qu’on ne l’y attendait pas forcément, il a dit « oui » lorsqu’on lui a proposé de mettre en scène son premier opéra : Rigoletto de Verdi. Une production créée à Palerme, en 2018, et présentée à Liège dès ce jeudi. « Disons que c’est un petit “écart”, mais j’ai fait beaucoup de théâtre », sourit Turturro par Zoom interposé (il n’a pas fait le déplacement à Liège pour les répétitions, son assistant s’en chargeant pour lui, NDLR). « Je suis aussi un grand amateur de musique. J’ai réalisé Romance and Cigarettes, un film qui contient beaucoup de musique. Un documentaire : Passione (sur l’héritage musical napolitain, NDLR). Lorsqu’on m’a contacté pour faire cette mise en scène de Rigoletto, je travaillais sur un scénario inspiré de la chanteuse d’opéra noire Leontyne Price. Et la musique de Verdi faisait partie de ce scénario. Je me suis donc dit que ce serait quelque chose d’intéressant à explorer pour moi. A chaque fois qu’on vous donne la chance d’apprendre quelque chose de nouveau, il faut simplement y aller. Il y a beaucoup de choses à apprendre lorsque vous abordez un nouveau genre. » Il faut dire que ce fils d’immigré italien, né à Brooklyn en 1957, a toujours baigné dans la musique. Chez lui, on écoute de tout : de l’opéra, du jazz, du R&B, de la musique italienne, espagnole, de la soul, de la pop, du folk… « J’ai grandi dans une maison remplie de musique. Mes oncles étaient musiciens professionnels. Ma mère chantait avec eux. Mon premier souvenir d’opéra remonte à mes cinq ans environ. C’était un album qui regroupait 40 ténors chantant Di quella pira d’Il Trovatore. Je me souviens que mes oncles et certaines de mes tantes se réunissaient et analysaient tous ces enregistrements. Comparaient les ténors allemands et les ténors italiens. Discutaient de qui était bon, qui ne l’était pas. C’était comme une compétition olympique où chacun essayait de tenir le contre-ut le plus longtemps possible. » Retour en enfance L’événement le marque tellement qu’il utilise cet aria dans Mac, son premier film en tant que réalisateur. « Et j’ai dû “l’interpréter” dans The Man who Cried de Sally Potter. Bien sûr la voix était celle de Salvatore Licitra et pas la mienne, mais c’était génial d’apprendre cette chanson et de la faire sur scène. Ça m’a rappelé des souvenirs d’enfance… » Une enfance qu’il retrouve aujourd’hui d’une certaine manière en travaillant sur Rigoletto. Pour trouver sa vérité dans la mise en scène, John Turturro a décidé de se concentrer sur la vérité du jeu, chose qu’il connaît bien, tout en situant l’action au XVIIIe siècle. « Au départ, j’ai écouté et réécouté cette musique que je trouve magnifique. Puis j’ai commencé à imaginer des choses. Je n’ai pas d’éducation de musicien classique, donc j’essaie simplement de servir l’histoire. Il existe des versions modernes. Des mises en scène à différentes périodes. Mais l’histoire reste l’histoire. Je ne voulais pas “l’actualiser” de trop. Des personnes qui ont mis en scène un tas d’opéras prennent plus de libertés. Peut-être que c’est juste une question d’expérience… Pour moi, le plus important, c’est le travail entre les gens. On peut avoir le bon costume sans qu’il ne se passe rien. Alors que vous pouvez faire quelque chose d’extrêmement simple qui est très profond. » Au fil du processus, Turturro a aussi appréhendé cette nouvelle expérience qu’est le travail avec les chanteurs. « J’ai beaucoup appris sur ce que l’on pouvait faire ou pas. Certaines personnes peuvent chanter dans toutes les positions, d’autres pas. Et je peux comprendre pourquoi. » Et rien ne semble l’avoir découragé. Car lorsqu’on lui demande s’il a l’intention de reproduire l’exercice, la réponse est plutôt positive. « Ça dépend d’où et avec qui. Les personnes avec qui je travaille importent plus que l’idée de faire telle ou telle chose. » Une manière de voir les choses qui colle en fait assez bien à l’ensemble de sa carrière. John Turturro est un collaborateur fidèle, qui aime retrouver des artistes qui ont compté pour lui. « J’ai travaillé avec un tas de réalisateurs avec qui j’ai eu envie de travailler une seconde fois mais avec qui ça n’a malheureusement pas été possible à cause de leur âge, de leurs projets… ou simplement du fait que la vie nous mène parfois dans des directions différentes. D’une certaine manière, c’est triste lorsque vous sentez une connexion avec quelqu’un mais que vous ne pouvez plus retravailler avec cette personne. Mais cette connexion est quelque chose de significatif et ça n’arrive pas si souvent dans une vie. Pour moi, ça s’est produit avec les frères Coen, Spike Lee ou Francesco Rosi. Et si j’ai la chance de trouver ce genre de connexion avec un chanteur, ce serait super de pouvoir travailler dans la continuité. » « Rigoletto », mis en scène par John Turturro, du 3 au 13 mars à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège. Infos : www.operaliege.be

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