«#visapourlaflandre»: Ode à Caroline

Une maladie lourde et une mission exceptionnellement belle mais exigeante comme rectrice ne sont plus combinables désormais à ce stade de ma maladie. » C’est par ce communiqué diffusé la semaine dernière par la VUB, son université, que Caroline Pauwels (57 ans) faisait connaître sa démission des fonctions qu’elle occupait depuis plus de cinq ans et sa décision de se concentrer sur le traitement de son cancer, ses enfants, sa famille et ses amis. Communiquée la veille à son Conseil d’administration, l’annonce de ce départ créait une onde de choc. Des personnalités connues ou non, de tous horizons, twittaient leurs encouragements et lui disaient leur profonde admiration. Ainsi, le virologue Marc Van Ranst - « Beaucoup de force, Caroline ! Tu es un exemple pour beaucoup, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’université » ou Michael De Cock, le directeur du KVS, le théâtre flamand de Bruxelles, qui saluait celle avec laquelle il a lancé nombre de coopérations originales : « Un recteur hors catégorie sur tant de points de vue. Tant de vision, tant appris. Des souvenirs magnifiques de nos collaborations. Merci chère Caroline ». Le soir même de l’annonce, le média bruxellois Bruzz relevait la vague impressionnante de signes de soutien venus d’étudiants, de collègues, d’amis, d’anonymes, telle un cordon tissé autour de celle qui est vue par beaucoup comme « une source d’inspiration ». Tout qui a rencontré ou parlé à Caroline Pauwels vous le dira : cette femme est solaire. Tout qui a travaillé ou négocié avec Caroline Pauwels, vous le dira aussi : cette femme veut faire changer les choses. Comme professeur en communication, elle monte ainsi les « Difference Day », consacrés à la liberté d’expression et à la défense du journalisme de qualité avec une ambition et un rayonnement international. Élue rectrice en 2016, elle va là aussi faire bouger les lignes. La semaine dernière, De Standaard consacrait une page à son bilan inachevé mais extrêmement riche, saluant son impact sur l’université et sur la ville de Bruxelles. « Caroline a réussi à donner un visage à la VUB », remarquait le conseiller en politique académique de l’université, « la VUB a longtemps nourri un complexe de Caliméro. Nous étions toujours le petit frère. Délaissé. Elle a apporté ici de la fierté et de l’amour-propre. » Le quotidien se mouille : Pauwels incarne comme personne les valeurs humanistes de l’université, ouverture, respect, tolérance, solidarité et une positivité inébranlable, des valeurs désormais scotchées à l’image et la politique de l’université. Un nouveau rôle pour la VUB à Bruxelles Autre mérite reconnu, le fait d’avoir incité la VUB à chercher et à trouver un nouveau rôle dans la ville. On sait la difficulté en Flandre de mettre Bruxelles au centre, la peur aussi de certains de venir avec ce label peu porteur devant le monde politique et l’opinion publique du nord du pays. « Même pas peur » pour celle qui a fait de Bruxelles non plus une simple localisation, mais une colonne vertébrale de l’action de sa « urban engaged university ». Cela débouche sur des études scientifiques, ou le déplacement de remises de prix et de cours dans des lieux situés en pleine ville. Même pas peur non plus de faire cause commune avec l’ULB qui devient en fait très demanderesse : l’apport de la nouvelle rectrice est porteur, dynamisant et soutenant pour son confrère (et aujourd’hui sa consœur) francophone. « Bruxelles comme une opportunité et pas une charge », précise le vice-recteur Jan Danckaert qui lui succède aujourd’hui ad interim. La liste des initiatives est sans fin : création de l’Institut Hannah Arendt (à qui elle a consacré sa thèse et dont elle vénère la pensée, avec celle de Camus), ambassadrice des « Grands-parents pour le climat », multiplication des liens avec la culture devenue un fil directeur de ses deux mandats, combat forcené pour plus d’égalité et d’inclusion dans son université et défense, jusqu’il y a quelques jours encore, du professeur de la VUB emprisonné en Iran. Et pour chacune de ces actions, une implication et une accessibilité peu communes.[scald=28912319:sdl_editor_representation] Dans une longue rencontre consacrée à ses racines et son histoire personnelle en août 2018 à Grauw, le village néerlandais au bord de l’Escaut lié à son enfance, elle s’était définie comme une « possibiliste » : « Je vois les possibilités plus que les problèmes ». C’est cette attitude qu’elle a appliquée à tous les domaines, y compris sa maladie. Interrogée sur son état de santé en décembre dernier sur la Première, elle expliquait : « Je me concentre sur ce qui est possible, il ne faut pas se concentrer sur ce qui est impossible. Je fais cet exercice chaque jour. Je ne suis toujours pas guérie, je progresse à petits pas, j’espère qu’à un moment, j’y arriverai. Pas garanti. » Avec sa petite tête blonde et ses yeux qui dégagent autant de gaîté et de gourmandise que de détermination, Caroline Pauwels devrait en fait apparaître dans une rubrique intitulée non pas « Visa pour la Flandre », mais « Visa pour la vie ». Cette femme est une raison de se lever, un moteur pour se battre. Nous lui devons de croire encore et toujours qu’on peut déplacer les montagnes. Cynique ? Jamais ! Dans notre interview « Racines élémentaires », elle lançait dans un grand rire, ce message aux jeunes : « Changez le monde. Je pense qu’il est temps. » L’ex-rectrice a démissionné de son poste, mais depuis son lit d’hôpital et de combat, à travers son fil facebook, ses SMS, sa présence, elle est plus que jamais notre réservoir des possibles, notre source d’espoir : « Où va le monde ? Parfois j’en pense peu de bonnes choses. Et puis une lumière, un message, une action qui fait croire que oui : on peut créer un monde meilleur ». En journalisme c’est connu : il faut fuir les compliments, les annotations trop positives et se méfier de l’empathie. Nous avons décidé cette fois d’y faire exception, empruntant la voie tracée par un livre, Odes (Actes Sud) qui cartonne en librairie et dans lequel l’écrivain David Van Reybrouck ne fait que rendre des hommages. A la page 67, dans son « Ode au plus bel être humain », il écrit ceci : « Il transporte tant de lumière avec lui. Il transporte tant de lumière ». Pas mieux, Caroline.

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