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Les bonus consacrent l’inégalité entre les sexes!

On pourrait penser que les bonus récompensent simplement le mérite, il s’avère qu’ils récompensent principalement les hommes.

Carte blanche - Temps de lecture: 5 min

Les inégalités existantes entre les femmes et les hommes, notamment sur le plan salarial, sont apparues comme un thème crucial pendant la pandémie. Voilà à peine moins d’un an, la Commission européenne a proposé une directive sur la transparence salariale, visant notamment à combler l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes qui reste important (14,1 %) et n’a diminué que de moins de 2 % au cours de la dernière décennie, selon Eurostat.

La rémunération liée à la performance, toutefois, n’a guère retenu l’attention de l’UE en tant que facteur contribuant à cet écart. Des études récentes montrent pourtant que ces dispositifs sont de plus en plus répandus dans l’UE et qu’ils contribuent aux inégalités salariales entre les femmes et les hommes. En effet, alors que le nombre de récipiendaires de bonus est passé d’1/5e en 2000 à près d’1/3 des travailleurs européens, en 2015, le gain pour les hommes a représenté plus du double de celui des femmes !

Soi-disant déterminisme

Plusieurs raisons expliquent que ces bonus soit moins élevés pour les femmes. Premièrement, elles occupent beaucoup plus fréquemment des postes dans lesquels les possibilités de rémunération à la performance sont moindres. Elles travaillent dans des entreprises de plus petite taille, dans des secteurs comme les services publics, ou les services d’hébergement et de restauration, qui recourent nettement moins aux dispositifs fondés sur les bénéfices. Les femmes sont aussi bien plus susceptibles d’être embauchées en contrat temporaire ou d’occuper des emplois à temps partiel, qui proposent une rémunération à la performance plus faible.

Deuxièmement la rémunération à la performance est davantage utilisée pour les hauts revenus, qu’il s’agisse des entreprises offrant des salaires élevés ou des plus hauts revenus au sein d’une entreprise – là encore, les femmes sont sous-représentées. Même lorsque les femmes sont rémunérées à la performance, leur salaire est plus bas que celui des hommes : aux taux de salaire les plus élevés, la prime de performance touchée par les femmes est nettement inférieure à celle perçue par les hommes.

Malgré tout, les études ne corroborent pas l’idée que les femmes ont elles-mêmes tendance à renoncer aux postes rémunérés à la performance, soi-disant parce qu’ils peuvent être plus prenants ou plus stressants. Il semble plus plausible que les systèmes de rémunération à la performance sont davantage à la discrétion de la direction – notamment lorsque la « performance » est difficilement quantifiable – et qu’ils peuvent ainsi véhiculer des stéréotypes. Ils sont en outre proposés dans le cadre d’un dispositif d’incitation salariale et vont donc principalement aux travailleurs qui gagnent déjà plus que les autres, c’est-à-dire ceux qui ont un contrat classique et occupent des postes hautement qualifiés, qui sont les plus instruits et qui sont, en général, des hommes.

Discrimination indirecte

Ni la stratégie de l’UE en faveur de l’égalité hommes-femmes ni le plan d’action 2017-19 destiné à éliminer l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes ne mentionnent ces questions. Certains dispositifs de rémunération à la performance qui bénéficient davantage aux hommes qu’aux femmes pourraient être considérés comme constituant une discrimination salariale indirecte fondée sur le sexe, laquelle est interdite par l’article 4 de la directive de 2006 sur l’égalité entre les hommes et les femmes. Suivant la jurisprudence (comme l’arrêt Kachelmann) de la Cour de justice de l’UE, il peut y avoir discrimination indirecte lorsqu’une mesure, apparemment neutre, risque néanmoins de désavantager un pourcentage beaucoup plus élevé de femmes que d’hommes.

La proposition de directive sur la transparence salariale de mars 2021 contient de nouvelles dispositions utiles. Elle impose ainsi aux employeurs comptant au moins 250 travailleurs de communiquer des données concernant – entre autres – l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes par catégories de travailleurs accomplissant un travail de même valeur, ventilé en salaire de base et en composantes variables ou complémentaires. Elle ne distingue pas, toutefois, la rémunération à la performance des autres composantes variables sachant que les deux tiers environ des travailleurs de l’UE sont en poste dans des entreprises de moins de 250 personnes.

Combler les écarts

Le recours à la rémunération à la performance va probablement se développer plus avant et sa contribution aux inégalités femmes-hommes ne peut plus être ignorée. Des mesures plus efficaces devraient être mises au point pour combler les écarts dans les cadres politiques et juridiques. Il pourrait s’agir notamment de dispositions introduites dans les statuts ou les conventions collectives pour que les dispositifs de rémunération à la performance soient transparents et tiennent compte de la problématique femmes-hommes, d’une sensibilisation aux effets sexués de ce type de rémunération ou de collecte de données et de travaux de recherche permettant de mieux comprendre ces effets. À lire aussi Une femme enceinte témoigne: «Au travail, c’est comme si ma grossesse était une bombe à retardement»

Naturellement, la rémunération à la performance n’est que l’un des divers facteurs qui contribuent aux inégalités salariales entre les femmes et les hommes. La ségrégation professionnelle horizontale et verticale, le travail à temps partiel et le travail temporaire, la dévalorisation du travail habituellement accompli par les femmes ou la discrimination salariale accentuent tous l’écart existant entre les femmes et les hommes en matière de rémunération, ainsi que de revenu global et de retraite. Enfin, le fait que les femmes prennent en charge une part plus importante du travail familial non rémunéré continue d’influer sur leur situation sur le marché du travail et sur leur rémunération. Les stratégies en faveur de l’égalité femmes-hommes doivent comporter des mesures solides et globales visant les différents aspects de ce désavantage structurel.

 

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1 Commentaire

  • Posté par Chalet Alain, mercredi 9 mars 2022, 10:35

    En raisons de leurs différences, hommes et femmes font en moyenne des choix professionnels différents. Veut-on leur enlever cette liberté au nom d'un égalitarisme dogmatique et obligatoire? Regardons ce qui se passe en Ukraine: ce sont les femmes qui fuient avec leurs enfants. Anormal? Condamnable au nom de cet égalitarisme idiot?

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