«Artifacts», l’enfance de l’art

Voilà un moment que Zach Condon s’est installé à Berlin. Précisément, dans l’extrême est de la capitale allemande. « Comme toutes les grandes villes, c’est très mélangé », note celui qui a vu le jour à Albuquerque au Nouveau-Mexique et pratique avec Beirut un multiculturalisme assez inédit dans le paysage musical américain. « Et donc, elle connaît les mêmes problèmes ces temps-ci : la crise, des difficultés pour les artistes… » Comment avez-vous vécu ces deux dernières années ? Ça n’a pas fait de grande différence pour moi. En 2019, j’ai dû annuler cette tournée parce que j’étais tombé malade : mentalement, je m’écroulais. Et j’ai en quelque sorte voulu disparaître. J’ai passé la quasi-totalité de l’hiver 2020 dans le nord de la Norvège, pour essayer de me remettre, et écrire de la musique. Quand je suis revenu, la pandémie s’est déclarée et on a imposé le confinement… Je me suis installé ici peu de temps après, c’était difficile à l’époque. Mais j’avais ce plan de ne rien faire d’autre que de me consacrer à la musique, me remettre, de manière générale, faire un peu d’exercice, bien manger, ce genre de choses. Et finalement, j’ai fait ce que j’aurais quand même fait s’il ne s’était rien passé. En réalité, je me sens mal pour d’autres gens tandis que pour moi, c’est juste une bonne excuse pour fonctionner avec beaucoup moins de pression. A l’origine d’« Artifacts », il y a l’idée de ressortir votre tout premier EP, « Lon gisland », d’abord paru en janvier 2007 ? Oui, mais il aurait tenu sur une seule face d’album (NDLR : comme en 2007 d’ailleurs). La seconde devait être occupée par quelque chose que les gens puissent trouver intéressant. Je suis allé fouiller dans mes disques durs pour choisir quatre ou cinq chansons et, en fait, j’en ai retrouvé cent, deux cents… Quand j’étais ado, je passais mes nuits à écrire. Par la suite, c’est devenu une chanson par semaine mais, en tout cas, c’était une sorte d’expérience sans fin. Je me suis dit qu’en faire une archive officielle avait plus de sens. Il ne restait plus qu’à en sélectionner, écrire des notes d’accompagnement… Cette fouille vous a réservé quelques surprises ? Oh oui, absolument ! J’ai reconnu assez vite la plupart des chansons, certaines pas du tout et j’ai été heureusement surpris. Peut-être est-ce dû au fait que ça a aussi ramené de mauvais souvenirs. Tout ça remonte à une époque où j’avais vraiment du mal. Ado, je souffrais de dépression, de solitude, de frustrations. J’ai une famille dans laquelle on est très froid, distant. J’avais réellement le sentiment à ce moment-là d’être coupé de tout. En réécoutant ces morceaux, je me suis souvenu du feu qui brûlait en moi. Je voulais tellement que le monde soit différent, que ma famille soit différente… Voilà, ça c’était la partie pas agréable mais, comme on dit, à toute chose malheur est bon. Ce travail de compilation a donc eu en partie un effet libératoire ? Oui. Mais cette histoire fait partie de moi, je vis avec. Comme je le disais, en 2019, je m’écroulais. Et je me demandais : « Pourquoi suis-je comme ça ? » Il y a aussi le poids de la famille : chez moi, tout le monde souffre d’alcoolisme, de dépression, d’anxiété, de burn-out… Ma mère nous disait, quand j’étais enfant, que c’était génétique. C’est comme une loterie, en fait : quand tu nais, tu tires un billet, et nous, on a tous tiré ce billet-là. J’ai ressenti tout ça en grandissant, c’était comme une malédiction. Les seuls moments pendant lesquels j’y échappais, c’est quand j’écrivais de la musique.

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