La Belgique découvre les Invictus Games: «La perte de mon bras gauche m’a rendu invincible»

Entouré de ses amis de l’équipe belge, Thierry Dutrieux a enfilé sa tenue de cyclisme blanc immaculé flanquée des couleurs nationales et barrée d’un fier « Military Team ». Père de famille de 47 ans, le sous-officier s’entraîne d’arrache-pied au Centre national des sports de Défense de Fontainebleau, en France, dans l’optique des prochains Invictus Games qui vont avoir lieu en avril à La Haye, aux Pays-Bas. Il compte bien y briller, mais il a d’autres objectifs. Il rêve aussi d’obtenir les résultats qui lui permettront de participer aux Jeux paralympiques de Paris en 2024. Un nouvel objectif pour Thierry, qui en a déjà franchi de nombreux depuis son entrée dans l’armée belge. « L’armée est une vocation pour moi depuis l’enfance », explique ce père de deux enfants. « Dès que je l’ai pu, à 18 ans, j’ai passé les tests pour m’engager. J’étais d’abord parti sur le Génie, puis je me suis orienté vers l’infanterie quand j’ai intégré l’école de sous-officiers. Au fil du temps, j’ai voulu devenir paracommando. Au terme de plusieurs formations, je suis devenu sniper et je suis parti en mission en Afghanistan, où j’ai surveillé des check-points mobiles et où j’ai effectué des missions de recherche. » Son besoin d’action assouvi, le jeune para n’en est pour autant pas encore rassasié. Il veut encore franchir un palier. « J’étais déjà dans l’élite, mais je voulais l’élite de l’élite », sourit-il aujourd’hui. « J’ai donc passé et réussi l’examen d’entrée des Forces spéciales. » Vient alors l’heure du stage de formation pour la jeune recrue. Celui-ci consiste notamment en une marche d’orientation de 120 km à boucler en 48 heures maximum. « Pour y arriver, on dispose de plusieurs cartes. Il y a des cartes routières classiques, mais d’autres sont trouées ou consistent en des morceaux de cartes. » Un train silencieux Soudain, au cours de la marche, Thierry a une hésitation. Il s’arrête et plonge dans ses cartes. Sa vie bascule en quelques secondes. Rien ne sera plus jamais pareil. « Je me trouvais dans la région de Pepinster », se souvient le sous-officier. « Un point sur la carte représentait un pont de chemin de fer comme il y en avait plusieurs dans la zone. Comme, sur nos cartes, un millimètre représente 250 m, il faut être précis. Je me suis donc arrêté pour faire un check carte. C’est alors qu’un train silencieux est sorti du tunnel. Ce sont des trains que l’on n’entend pas, car la locomotive est à l’arrière et pousse les wagons. Il aurait dû klaxonner en sortant du tunnel, mais il ne l’a pas fait. Or, il arrivait à 120 km/h. » Thierry a tout fait pour éviter le convoi, mais la configuration des lieux limitait fortement les possibilités de fuite. « Je me suis collé à la passerelle du pont », se souvient-il avec émotion. « Je portais ma tenue militaire, mon gros sac à dos et mon arme. Lors du passage du train, la bretelle de mon fusil-mitrailleur a accroché le marchepied d’un wagon. Ça m’a arraché le bras. Je me suis retrouvé allongé sur le sol sur le dos, avec mon bras sous moi. Le fémur sortait de ma jambe gauche. » Conscient qu’il venait de se passer quelque chose de grave, un membre de l’équipage arrête le train. Toujours conscient, Thierry ouvre son sac et en sort son téléphone d’urgence avec lequel il appelle le 112, qui, dans un premier temps, ne croit pas son récit. Un appel du conducteur du train débloquera la situation. Secouru, le jeune sous-officier passera 4 mois et demi à l’hôpital, où il sera amputé du bras gauche. Il passera ensuite par deux ans de revalidation. Deux ans qui l’ont changé. Comme en témoigne le tatouage sur son avant-bras droit : « Invictus ». « Ça veut dire invincible. Vu d’où je viens, c’est un peu comme ça que je me sens. » Thierry d’avant et Thierry d’après « Il y avait le Thierry d’avant l’accident et il y a celui d’après », poursuit le cycliste militaire. « Celui d’avant n’avait pas confiance en lui, l’actuel sait ce qu’il vaut. En perdant un bras, j’ai perdu des choses, mais je fais d’autres choses que je n’aurais jamais faites sans lui. Je ne serais, par exemple, pas ici à Fontainebleau, à me préparer pour des Jeux militaires, voire paralympiques. J’ai vite fait mon deuil de mon bras. » Loin de se sentir diminué, le militaire surprend alors tout le monde en demandant à rester au sein des Forces spéciales. Un souhait exaucé. « Je suis devenu opérateur radio dans les transmissions tout en gardant mon statut de sniper », détaille Thierry. « Très vite, je suis parti en exercice, puis en mission en Irak. J’ai continué à tirer. J’ai une prothèse, mais je ne l’utilise pas pour tirer. Ça n’apporte que 20 % en plus et c’est trop sensible, car elle fonctionne grâce aux impulsions électriques données par les terminaisons nerveuses. C’est moins instinctif. » Cette fameuse prothèse, le militaire est cependant bien conscient de la chance qu’il a de l’avoir : « Vu que j’ai perdu mon bras dans un accident de travail, elle est en grande partie payée par la Défense et ma mutuelle. Dans le civil, les assurances sont beaucoup plus frileuses. Certains blessés sont incapables de se payer des prothèses, car celles-ci ne sont pas suffisamment remboursées. » En 2019, l’organisation des Invictus Games invitait la Belgique à venir gonfler les rangs des pays participants. Une proposition vite acceptée. Un chef de projet, Bernard Bolly, était nommé. « Il m’a contacté pour rejoindre l’équipe qu’il mettait sur pied », se remémore Thierry qui poursuit, depuis lors, sa carrière dans l’administratif. « J’ai accepté immédiatement, car j’avais envie de m’investir à fond dans le sport. J’ai d’abord couru, fait de la musculation puis du crossfit. Depuis la crise sanitaire, je me focalise sur l’athlétisme et le cyclisme. En 2020, j’ai participé aux tests de détection en cyclisme pour les Jeux paralympiques de Paris 2024. Je suis repris dans la New Generation. » Langer ses enfants Cette nouvelle vie dans laquelle il s’épanouit malgré son accident, Thierry Dutrieux sait qu’elle est possible parce que la politique de la Défense vis-à-vis de ses blessés a changé. « Avant, on les mettait de côté et on les pensionnait rapidement », rappelle le sous-officier. « Ils ont appris de leurs erreurs et cherchent à mieux nous intégrer avec notre handicap. On galère moins, même si la lourdeur de l’administratif est toujours bien présente. Il faut quand même toujours se battre. » Le calme, c’est au sein du foyer familial que Thierry le trouve. Il a rencontré son épouse après son accident. « Elle n’a connu que le nouveau Thierry », s’amuse-t-il. « Elle a très vite compris que j’étais autonome. Ensemble, on a deux enfants de 8 et 11 ans, qui sont venus s’ajouter à un fils qu’elle avait déjà. Bébés, j’ai pu les langer avec un seul bras. C’est venu tout seul. Ils m’ont toujours connu comme ça. Pour eux, rien n’est anormal. C’est plus compliqué avec les enfants à l’extérieur, car je sens que je les mets mal à l’aise. Avec les adultes, c’est plus facile. S’ils ne sont pas respectueux, je peux être assez direct. » Sous le soleil de Fontainebleau, l’ambiance est au beau fixe. Les deux-roues sont de sortie, et les éclats de rire sont légion. L’entraînement peut commencer. Invictus, les voilà…

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