Eric Lammers: «Pour mes livres plus que pour mes bêtises»

Eric Lammers est un personnage. Avant de le rencontrer, on sait qu’il fut sulfureux. Ancien membre du Front de la jeunesse, militant du Westland New Post, des mouvements d’extrême droite, condamné à mort en 1991 pour le meurtre de deux bijoutiers à Anvers, en prison jusqu’il y a peu. Dans ce café où on s’est donné rendez-vous, le cliché patibulaire de la figure du grand banditisme et de son surnom, la Bête, s’évanouit dès son arrivée. L’homme est souriant, ses yeux bleus sont pétillants de sagacité et d’ironie, il est mais oui sympathique. Je le rencontre parce qu’il écrit. Et qu’il a publié un recueil de nouvelles l’année passée, puis un ensemble de lettres cette année. Des ouvrages de qualité, indéniablement. Dans le recueil, Lammers raconte des petites histoires de prison, exemplaires et attachantes. Dans les lettres, Lammers raconte son projet de roman et se raconte en même temps à l’écrivaine Caroline Lamarche, avec qui il a longuement correspondu. Elles sont classées par ordre chronologique, ce qui nous montre l’évolution du personnage, dans l’écriture comme dans la pensée. C’est un document captivant. Le portrait d’un homme qui a trouvé une passion. Et ce n’est, comme dit Caroline Lamarche, « que la partie émergée d’un iceberg de centaines, voire de milliers de pages, son activité principale dès qu’un clavier fut mis à sa disposition par un codétenu. Dès lors, comme le dit ce forcené de la cavale, j’ai oublié de m’évader. L’insoumis avait trouvé son maître : l’écriture ». Comment vous est venue cette passion d’écrire ? C’est à la prison de Namur en 1997. Un ami en perpète y vivait en ermite dans le fond de sa geôle. J’avais déjà subi un processus mental profond, ça faisait quelques années que je mettais en doute la vie que je menais. Les décès de ma mère, de mon petit frère sont survenus quand j’étais en prison, la souffrance que j’en ai ressentie m’a fait ressentir la souffrance que les autres ont éprouvée avec les actes que j’ai pu commettre, parce que j’ai commis des actes épouvantables. Ça m’a amené à prendre conscience de moi. Je suis devenu écrivain, si je puis dire, par défaut. Je me suis rendu compte que j’avais un certain pouvoir avec les mots. Un pouvoir sur les femmes avec l’écriture. Mais qu’en faisais-je ? Ça a produit sur moi des échanges épistolaires à n’en plus finir et des années de frustrations. Mais ça m’a permis de peaufiner mon écriture. Et ce copain avait un ordi dans sa cellule. Il m’en montre les possibilités. Tu peux écrire là-dessus, me dit-il. Autant de pages que je veux ? Oui. Alors je vais te faire un roman. Je connaissais la violence, la prison et la montagne, où j’ai souvent été avant mes méfaits. J’ai mélangé tout ça et c’est mon premier roman. Jamais publié, comme les quatre autres que j’ai écrits depuis, et je suis occupé à en faire un sixième. Vous écrivez pour être reconnu autrement que comme criminel ? Ai-je le droit de m’exprimer, de parler, d’être lu, avec un passé tel que le mien, avec les monstruosités que j’ai commises ? Je me pose ces questions tout le temps. Mais les romans où je parle de mon expérience méritent peut-être d’être lus parce qu’ils peuvent prévenir les lecteurs. Et puis je ne vais pas passer l’entièreté de mon existence à rabâcher, à me justifier. Je ne suis plus l’être humain que j’étais il y a trente ans. Ce nouvel être a-t-il le droit de s’exprimer et de vivre ou pas ? Je n’ai pas la réponse. Je sais que je ne parviendrai jamais à effacer le passé, que je le traîne avec moi. Il date de trente ans et dans trente ans on en parlera encore. Qu’est-ce que ça vous a fait de voir votre nom sur la couverture d’un livre ? Je n’ai pas marché sur l’eau, je n’ai pas changé l’eau en vin, mais je me suis senti emporté, j’ai eu des frissons. Vous avez des moments extrêmement forts dans votre vie, la première fois que vous êtes arrêté, quand on vous condamne à mort, quand on vous apprend le décès de votre maman, quand vous apprenez que vous êtes libéré. Ceci en fait partie. Et j’espère que ce n’est pas fini, que ce n’est que le début d’une aventure. Que je serai davantage connu pour avoir mon nom sur un bouquin plutôt que pour le reste. [scald=1149939:sdl_editor_representation] lettres Une âme plus si noire : lettres de prison Eric Lammers Les Impressions nouvelles 252 p., 17 € ebook 9,99 € [scald=1149938:sdl_editor_representation]

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