Bande dessinée: le rock sauvage de Led Zeppelin

Obèse, cocaïnomane, volontiers manipulateur et parfois violent, Peter Grant a créé Led Zeppelin, en même temps que le management artistique. Tôlier, videur de boîte, lutteur, photographe de presse, machiniste de théâtre, figurant dans la série Le Saint, Peter Grant s’est fait tout seul. Il a pas mal zoné et roulé sa bosse avant de forcer les portes dorées du show-biz. En 1963, il a réussi à faire tourner les Animals, puis à s’improviser manager de Jeff Beck et surtout des Yardbirds. Pas de bol, le groupe promis à la gloire future du Rock and Roll Hall of Fame explose en vol et le guitariste prodige, Jimmy Page se retrouve seul à bord… Flair ou coup de génie ? Peter Grant persuade Jimmy d’honorer tout de même les contrats de la tournée bookée en Scandinavie. Jimmy embarque son pote bassiste John Paul Jones dans le trip et Peter leur présente un chanteur à la virilité primitive, Robert Plant, et un batteur fou, John Bonham. Pendant la tournée, ils vont écrire ensemble le premier album d’un nouveau groupe : Led Zeppelin. Au bluff, Peter Grant leur décroche un contrat chez Atlantic. Il refuse toutes les interviews pour assurer le buzz. Il décide aussi qu’ils n’enregistreront pas de singles pour mieux vendre les albums. Et ils ne passeront jamais à la télé pour que les fans s’arrachent leurs tickets de concerts. Peter Grant vient d’inventer le concept de « control freak ». Sous sa griffe, Led Zeppelin sera le premier groupe à tout maîtriser, de l’enregistrement au merchandising. En 1974, Peter Grant parachèvera son œuvre en fondant Swan Song Records, un label musical indépendant des maisons de disque, qui assurera à Led Zeppelin le contrôle financier à 100 % de leur empire musical. Mais tout s’écroule à la mort de John Bonham, le plus grand batteur de l’histoire du rock, en 1980… Led Zeppelin disparaît. Peter Grant se retire dans un manoir du Sussex, où il veillera à l’éducation de Jason, le fils de John. Les auteurs belges de bande dessinée Johan De Moor et Stephen Desberg ont grandi avec Led Zeppelin. Ils racontent aujourd’hui, dans un roman graphique, comment leurs idoles ont « baisé les Beatles » au top des hit-parades, en faisant passer les ventes de « Whole Lotta Love » devant celles de « All You Need is Love ». Surfant sur les rumeurs de messes noires et de rites démoniaques collées à la légende des dieux du hard rock, les deux artistes ont choisi de représenter le groupe en « sauvages animaux ». Jimmy est un loup-garou, Robert un lion, John Paul un puma et John un fameux zèbre. Peter Grant se mue en Peter Grump, un ours de cent kilos, qui boit, qui fume et qui carbure aux substances. Le roman graphique des Sauvages Animaux a été présenté au Festival international d’Angoulême, le 16 mars. Nous avons chopé les auteurs sur le stand Casterman, avant leur affrontement avec les chasseurs de dédicaces. Vous n’aviez plus bossé ensemble depuis vingt ans. Vous avez reformé votre duo en mémoire de vos années Led Zeppelin ? Stephen : On s’est retrouvés au Maroc, où Robert Plant avait écrit les paroles du célèbre morceau « Kashmir », dont on évoque d’ailleurs la composition dans l’album… Nous étions là-bas pour parler de l’espace mystérieux entre le texte et le dessin. On m’avait demandé de venir avec un dessinateur et j’ai pensé à Johan. La journée, on donnait des masters classes. On a passé des bonnes soirées. On avait été dans la chorale du même collège. On s’est rappelé les Beatles et Led Zeppelin que, personnellement, j’avais vu trois fois en concert… J’ai même eu mon propre groupe de hard rock, les Bad Sneakers. On était quatre nous aussi. Et on reprenait évidemment du Led Zep. Johan : On avait envie de retravailler ensemble, de remettre de l’humour dans notre travail aussi, de rebondir ensemble, quoi. Stephen m’a parlé de la biographie de Peter Grant, le manager de Led Zeppelin… Je me suis dit woaw ! Là il y a une histoire. Si le projet avait été uniquement d’illustrer la carrière de Led Zeppelin, ce n’était pas intéressant. C’est la vision du manager, le cinquième homme du groupe, qui m’a intéressé. Son point de vue est totalement original sur ces « bêtes de concert ». Pourquoi avez-vous choisi de mettre le manager, Peter Grant, ou plutôt Peter Grump, à l’avant-scène ? St. Raconter un génie, c’est toujours compliqué. Je pense, par exemple, à la vie d’Amadeus, c’est sous le regard de Salieri qu’elle devient intéressante. C’est pareil ici. Peter Grant a vu que Led Zeppelin avait du génie. Il s’est mis à leur service pour les aider à monter au sommet. Dans notre époque très formatée, c’est extraordinaire de se pencher là-dessus. J. : Il les aimait. Il s’est servi au passage, évidemment. Mais il a inventé le métier de manager et, grâce à lui, ils ont pu dire et faire tout ce qu’ils voulaient. Ce projet fou de créer une bande dessinée réaliste dont les héros, les musiciens de Led Zeppelin, sont des animaux parmi la foule des êtres humains, vous est venu naturellement à l’esprit ? J. L’éditeur ne nous a pas beaucoup posé de questions. Mais tout était très clair dans notre esprit. Le projet était à maturité. C’est une histoire touchante, optimiste, malgré la mort du batteur, John Bonham. Ce n’est pas un livre nostalgique ni didactique non plus. Ce sont des animaux parce qu’ils ont réellement eu un comportement sauvage… St. S’ils avaient été humains, le dessin aurait perdu en mystère, en expressivité… Et puis c’étaient des gars à part, toujours habillés et maquillés bizarrement… Il y a eu toutes ces rumeurs étranges autour de la personnalité de Jimmy Page, du coup on joue sur le doute… Vous accordez beaucoup d’importance aux textes des chansons dans le récit ? St. Au vu de leur immense célébrité, la presse s’est mise à chercher toutes sortes de significations cachées aux paroles de leurs chansons. En réalité, ça partait vraiment dans tous les sens et il ne pouvait pas y avoir d’interprétation unique… J. On a vu des émissions à la Bernard Pivot, avec des panels d’experts et de journalistes pour disséquer tout ça. Eux-mêmes ne connaissaient pas forcément le sens des paroles. Ils utilisaient des éléments cabalistiques, dont ils ne maîtrisaient pas non plus toujours la signification. Jimmy Page a fumé tellement de trucs ! Surconsommation de groupies, d’alcool, de drogues, chambres d’hôtel dévastées… vous leur pardonnez tout ? J. On y allait à fond à l’époque dans la liberté sexuelle. Rien n’était politiquement correct. Ils ont été jusqu’au bout du foutage de gueule. C’était comme si les jeunes étaient tous des enfants de Hara-Kiri ! Et puis n’oubliez pas qu’ils ne sont pas humains ! J’ai essayé de rendre la dramaturgie de leur musique palpable, tout en restant dans une évocation joyeuse. Il fallait que tout ça remue, qu’on sente l’électricité, l’énergie du groupe. St. Ils ne voulaient pas vieillir comme leurs parents. Les jeunes avaient envie d’être en rébellion. Tout le monde se lâchait. Les rockeurs des années 1970 étaient dans l’extrême. En même temps, Led Zeppelin, ce n’était pas du hard rock basique, il y avait de la place pour des harmonies subtiles et compliquées. Jimmy avait un jeu de guitare unique. Un groupe comme Greta Van Fleet essaie aujourd’hui de refaire du Led Zeppelin mais sans arriver à la même hauteur artistique, sans intégrer les échos au folk anglais… Johan a réussi la gageure de rendre l’atmosphère musicale des concerts de Led Zeppelin palpable sans être passéiste. Pour peu, on entendrait presque le son sortir des cases… Les références historiques sont recoupées. Tout est vrai dans cette histoire ? St. C’est d’abord une déclaration d’amour à un groupe, à une époque et à son manager, sans qui le groupe n’aurait pas existé. Toutes les anecdotes sont vraies ou, quand elles ne le sont pas, elles sont dans l’esprit. Par exemple, quand Peter Grant repère un vendeur de tee-shirts au nom du groupe, il se dit merde, on devrait faire ça nous-mêmes, il détruit sa marchandise… et puis il l’engage ! Il a inventé le merchandising officiel sur le tas ! J’ai une fascination pour cette inventivité spontanée. J. Stephen m’a fourni des disques, fait voir des films, des photos, écouter des interviews de Jimmy Page et de Robert Plant. Et puis la musique a toujours beaucoup compté dans ma vie. Bruxelles, ce n’était pas la Californie mais on avait quand même Forest-National ! Faire ce bouquin, c’était un retour vers le futur de l’adolescence. Il restait encore beaucoup de choses à raconter. Vous n’avez pas eu envie d’aller plus loin ? J. Non. Nous n’avions aucune intention de réaliser un documentaire en forme d’exégèse du rock des années 1970. La bande dessinée, c’est fait pour être publié et diffusé largement. Là, ça ne serait jamais sorti si on avait voulu tout raconter dans le détail ! Et puis au prix du papier aujourd’hui… St. Nous ne sommes pas nos propres managers et, au-dessus de 70 pages, les éditeurs ne nous paient plus. Ah ! Ah ! Le risque financier aurait été trop important. On peut trouver dans les rapports entre les firmes de disques et les stars du rock, des points communs avec les relations que les éditeurs entretiennent avec les auteurs de bande dessinée… On peut raconter, fantasmer la vie des membres de Led Zeppelin, sans devoir demander ni obtenir d’autorisation particulière ? J. La ligne rouge concerne principalement les textes des chansons. On ne peut pas faire une traduction littérale des paroles écrites par Led Zeppelin en français. Si on respecte les textes à la lettre, alors il faut payer des droits exorbitants… Par contre, si on reste dans la citation… St. Il faut effectivement prendre des précautions avec les textes des chansons. Au départ, j’avais opté pour une traduction assez littérale des paroles et le service juridique de Casterman m’a recommandé de m’en éloigner davantage. Pour le reste, comme le manager est un ours et que le groupe s’appelle les Sauvages Animaux, l’œuvre est suffisamment imaginative pour écarter tout risque. Ceci dit, j’avais proposé à Casterman de contacter l’agent de Jimmy Page et de Robert Plant pour leur envoyer des albums dédicacés mais on nous l’a déconseillé. [scald=28963098:sdl_editor_representation]

Votre compte

Bande dessinée: le rock sauvage de Led Zeppelin

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en Livres

Constance Joly est «Over the rainbow»

Podcast – «Petiote»: Papa cabossé et prise d’otage

Critique Mohamed Mbougar Sarr, Anne Tyler, Rolando Villazón... Les Livres du Soir en bref

Céline, Appollo et Brüno, Rives, Philippon, Mosby: les cinq livres à ne pas manquer cette semaine

Critique Arturo Pérez-Reverte: des journalistes et des chiens

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Vers un permis à points en Belgique? «C’est à l’étude», selon Georges Gilkinet

Roland-Garros: David Goffin remporte le premier set, suivez la rencontre face à Lehecka en direct

Entretien Garry Kasparov: «Une victoire finale de l’Ukraine pourrait représenter un coup mortel pour Poutine»

Incarcéré pour viols sur mineures, l’un des PDG les plus riches de France démissionne

Une infectiologue rassure: «Avec la variole du singe, nous ne sommes pas dans une situation comme avec le covid»

Il y a trop de seniors en bonne santé dans les homes belges

« Nos collaborateurs sont des empereurs, les clients sont rois »

6 Belges sur 10 sont de plus en plus sensibles à la politique climatique de leur emploi

« Nous donnons de la valeur aux idées et encourageons à les transformer en projets concrets »

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel