Marc Wilmots: la vie mouvementée depuis les Diables rouges

On a tout écrit sur l’entraîneur Marc Wilmots. Vanté l’homme de poigne et le meneur d’hommes formidable, critiqué le tacticien hésitant et le décideur encombrant. Une description caricaturale parce qu’elle oublie de dire que Marc Wilmots est probablement à la base un fan de football comme les autres. Aussi bien capable de griffonner des onze de base approximatifs sur des post-it que de vous certifier détenir la solution unique à un problème complexe. Marc Wilmots était un footballeur qui ne calculait pas et est logiquement devenu un coach qui a toujours préféré agir à l’instinct. Quitte à y perdre une partie de son auditoire. L’homme ne s’est jamais caché être de ceux qui disent trancher en écoutant ce qui se passe « là-dedans ». À ce moment-là, du temps de l’équipe nationale et entre deux cafés noirs, le coach à la chemise blanche montrait son ventre comme pour indiquer que sa boussole à lui était interne. Une école comme une autre dont les référents contemporains pourraient être David Moyes, Sam Allardyce, voire en forçant un peu le trait Sir Alex Ferguson. Ceux-là, sans trop savoir comment, ont réussi à faire entrer dans le jargon footballistique courant l’expression selon laquelle une victoire se gagnerait d’abord « avec les tripes ». Un drôle de concept un peu fourre-tout censé vanter les succès acquis de haute lutte, plus rarement ceux traduisant une domination globale. [scald=28965709:sdl_editor_representation] Une analyse uniquement faite à base de testostérone et de tapes sur l’épaule serait grotesque. Et trompeuse. Ceux qui ont éprouvé la méthode Wilmots le disent régulièrement. Derrière le coach, il y a l’homme et les deux ne seraient visiblement pas forcément incompatibles. « Son maître, c’était Robert Waseige », décortique Dimitri De Condé, l’un des premiers à avoir expérimenté le Wilmots entraîneur. C’était à Saint-Trond entre juillet 2004 et février 2005. « Comme lui, il était très fort sur tout ce qui touchait à la concentration, à l’engagement. C’était son dada. Et comme Waseige, il voulait quasiment être le père ou le frère des joueurs. Avec lui, le sentiment prévalait sur les chiffres. » Le parallèle tentant entre un sélectionneur mythique et son meilleur élève. Jamais, avec la Belgique, Marc Wilmots ne sera apparu aussi indispensable que sous l’ère Waseige (1999-2002). Une analyse sportive factuelle dans laquelle celui qui se faisait appeler le Taureau de Dongelberg semblera puiser la conviction selon laquelle un coach avait avant tout le devoir d’être un homme capable de transcender son vestiaire. Comme Robert Waseige avait à l’époque sublimé les qualités de finisseur de Wilmots. « Je crois que c’est Pep Guardiola qui disait récemment qu’il ne pouvait pas apprendre grand-chose à un joueur comme Kevin (De Bruyne) », détaille Christian Benteke, attaquant numéro un dans la hiérarchie de Wilmots pendant les deux tiers de son mandat à la tête de l’équipe nationale. « En disant cela, il part du principe qu’on apprend peu aux très grands joueurs. C’était pareil chez les Diables. On ne demandait pas à Marc Wilmots d’apprendre à dribbler à Eden (Hazard) par exemple. C’est une philosophie qui tient à l’instinct. Le travail d’un entraîneur doit aussi parfois juste être de chercher à laisser s’exprimer ses talents. » Raja Casablanca, le denier désaveu Du Marc Wilmots dans le texte et une recette éprouvée. Sous Wilmots, rappelons-le, les Diables passeront du 44e au premier rang du classement FIFA. Avec comme principale idée directrice celle de fédérer et de laisser s’épanouir librement des talents offensifs pourtant encore en rodage. À la clé, des succès et un joli CV censé ouvrir quelques portes. Mais qui aura surtout fini par en refermer de trop nombreuses. La dernière en date mène au Raja Casablanca. Le 20 février dernier, seulement quatre petits mois après son arrivée, mais aussi deux jours après avoir gagné sa deuxième rencontre de rang en Ligue des champions africaine, Wilmots se voit une nouvelle fois montrer la sortie. Un départ qui, dit-on, serait « plus politique que sportif », mais un énième désaveu quand même pour un coach dont la cote de popularité n’avait pas besoin de ça. Pour trouver l’un des derniers à avoir pris le temps de se forger une opinion construite sur Marc Wilmots, il faut donc désormais franchir la Méditerranée direction Casablanca où l’ancien coach du Raja réside toujours après y avoir fait scolariser sa fille en cours d’année. Arrivé mi-janvier au Maroc, l’ancien liégeois Beni Badibanga n’aura eu que trois semaines pour se faire son idée sur les vertus du coach Wilmots, mais salue l’homme qui aura su lui « rendre la confiance ». « Il m’a redonné envie alors que je n’arrivais plus à penser positivement. Il a su m’aider à faire le switch parce qu’il savait comment me parler. Tactiquement, ce n’était pas révolutionnaire. Il recherchait surtout l’abnégation d’un point de vue défensif et offensivement, il me demandait de ne pas calculer mes efforts, de percuter, de provoquer en un contre un, en gros de jouer libéré. Avec le Raja, ça suffit parce que c’est une équipe qui est dessinée pour dominer son adversaire. » « Pas de lobbying » Mais qu’en est-il un cran plus bas ? Quand il reprend la sélection iranienne en mai 2019, le Team Melli se classe 21e au classement FIFA, coincé entre le Pérou et le Sénégal. L’Iran est un géant asiatique, mais un figurant sur la scène internationale. Pour l’accompagner à Téhéran, Wilmots mise sur Manu Ferrera. L’ancien disciple de Michel Preud’homme se laisse tenter par cette aventure exotique et jure avoir découvert sur place un autre homme que celui éternellement « vendu par les médias ». « En fait, et j’ai été le premier surpris par ça, mais Marc est très pointu tactiquement » décrypte un Ferrera devenu depuis recruteur en free-lance pour le club de La Gantoise. « Pour moi, il n’a rien à envier à tous ceux qui se présentent eux-mêmes comme de grands stratèges. Ce qui le dessert, c’est qu’il n’a jamais accepté de perdre son temps à expliquer dans les détails sa méthode de travail. Lui ne fait pas de lobbying et il est toujours resté très superficiel vis-à-vis de la presse. Du coup, on pense que comme il n’explique pas, il ne sait pas. Mais il a toujours eu un plan. » Celui mis sur pied en Iran n’aura malheureusement tenu que six mois. Le temps nécessaire pour obstruer le début de la campagne de qualification iranienne en vue de la Coupe du monde 2022, puis pour claquer la porte de la Fédération locale pour « manquement à ses obligations contractuelles ». En août 2020, le verdict de la FIFA condamnait de fait l’Iran à verser une indemnité de six millions d’euros à son ancien sélectionneur. Trop cependant pour la Fédération iranienne qui se tournera dans la foulée vers le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) pour faire valoir ses droits. Deux ans plus tard, l’épisode ne connaît pas encore son épilogue, mais a abîmé pour de bon la réputation de Wilmots en Iran. « Cadeau empoisonné » « Quand je vois son parcours, je me dis parfois que c’est du gâchis », essaie Émile Mpenza, qui assistera à la mue de l’attaquant en entraîneur au mois de mars 2003 avec Schalke 04 avant de le retrouver dans la peau de l’adjoint de Dick Advocaat plus tard chez les Diables. « Je pense que Dick était la bonne personne pour lui. C’est dommage qu’il n’ait pas eu l’occasion de rester T2 plus longtemps, ça lui aurait servi. Rétrospectivement, le fait de prendre les rênes tout de suite après le départ de Georges (Leekens), je crois que ça a peut-être été un cadeau empoisonné. Il n’était pas encore formé. » Entre une fin de saison manquée comme T1 à Schalke 04 et ses premiers pas avec les Diables, Wilmots passe un temps par la case Saint-Trond. Dans le Limbourg et concomitamment à une carrière politique de sénateur qui ne fera pas florès, Wilmots apprend le métier dans un groupe qui voit encore en lui le buteur vedette des Diables époque Robert Waseige. « On le voyait comme le grand joueur qu’il avait été », valide un Dimitri De Condé reconverti depuis 2015 en directeur technique du Racing Genk. « C’était difficile de faire la part des choses. Dans mon cas, j’avais déjà connu ça quelques années plus tôt avec Enzo Scifo à Charleroi. Mais ce qui a surtout été difficile pour lui, c’était de se rendre compte que chaque joueur n’était pas empreint de la même hargne que lui. Que ce n’était pas naturel d’arriver sur un terrain avec la volonté de tout casser. » D’une prise de conscience aboutira un style de coaching « à la Waseige », la gouaille et les bons mots compris. Jusqu’à la copie conforme du 1er juillet 2016 en quart de finale de l’Euro français contre le pays de Galles. Avec une défense décimée par les blessures et les suspensions, Wilmots s’en réfère ce soir-là au Brésil-Belgique du huitième de final de la Coupe du monde 2002 et à ce qu’il considère encore quatorze ans plus tard comme le chef-d’œuvre tactique de son mentor. [scald=28965708:sdl_editor_representation] Un copier-coller assumé, mais aux retombées critiques du grand public radicalement opposées. Placé dans la peau de l’outsider, Robert Waseige était reparti du Japon la tête haute après avoir subi la loi du futur champion du monde brésilien. Marc Wilmots lui, quitte la France en victime désignée d’un naufrage imprévu. « Les attaques ont été trop dures à son encontre », rejoue encore Benteke. « On ne peut pas se cacher derrière la tactique avec l’équipe qui était la nôtre. Reste que nous, ce qu’on a aimé chez lui pendant toutes ces années, c’était son honnêteté. Il n’avait pas de filtre et ça plaisait. Pour avoir connu beaucoup d’entraîneurs, je peux vous dire que c’est assez rare. Personnellement, il m’a amené beaucoup de confiance, mais je retiens aussi qu’il tenait toujours un discours respectueux, très franc. Il me disait quand j’étais nul. Il me disait quand j’étais bon. Il était psychologiquement très fort. » En 2014, lors du Mondial brésilien, Marc Wilmots parvient même à faire passer cet art de la gestion de groupe comme une forme de petite révolution tactique. Au Brésil, ses changements précoces et la très large utilisation de son groupe font du sélectionneur belge une sorte d’attraction estivale. Le temps d’un été et malgré un fonds de jeu sur lequel les spécialistes trouvent déjà à redire, la curiosité transforme Wilmots en coach bankable. Comparé à Jurgen Klopp par Simon Mignolet dans Sport Foot Magazine en novembre 2015, quelques mois après avoir fait languir toute la presse nationale autour d’un potentiel débauchage de la part de Schalke 04 à un an de l’Euro 2016, Marc Wilmots était au sommet de sa gloire, mais a eu le défaut de ne pas l’avoir compris. Ou d’avoir cru que l’état de grâce durerait éternellement.

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